Mayra Andrade, le Cap-Vert en itinérance
Pour son cinquième album intitulé Manga, la chanteuse Mayra Andrade a voulu davantage inscrire la musique du Cap-Vert dans son environnement africain tel qu’il est façonné aujourd’hui dans les studios ivoiriens ou nigérians. Un virage pour cette artiste installée depuis plus de quinze ans en Europe.
Longtemps, elle a résisté. Au Portugal, base européenne de la communauté cap-verdienne en raison des anciens liens coloniaux, Mayra Andrade a préféré la France pendant plus d’une décennie, le temps de sortir quatre albums qui lui ont permis de se faire une place dans le paysage musical. Mais l’envie de soleil, d’une autre forme d’énergie, et sûrement aussi l’appel du large hérité d’une enfance à suivre son beau-père diplomate ont fini par l’emporter.
Depuis 2015, la chanteuse désormais trentenaire vit à Lisbonne. "C’est une ville de plus en plus ouverte, cosmopolite, où tous les jours se crée un son moderne, actuel. C’est une ville qui m’a reconnectée avec la lusophonie, et notamment la lusophonie africaine", explique-t-elle.
Entre Lisbonne et Accra, le cœur battant de l’afrobeat
"Ce déménagement m’a réhydraté, redonné des vitamines et c’est comme ça que Manga – qui signifie mangue, mon fruit préféré – a trouvé son chemin", poursuit la jeune femme. Elle a tiré un trait, du moins provisoirement, sur l’autre projet de disque, diamétralement opposé ("Piano voix ou guitare voix. Très minimaliste."), auquel elle réfléchissait en même temps. "Je voulais tout et son contraire. Il a fallu du temps pour comprendre où je me trouvais dans tout ça", analyse-t-elle.
Son voyage effectué au Ghana il y a trois ans a servi de "révélation" pour donner corps à cet album gorgé de saveurs, dont le seul nom évoque les tropiques. Elle n’est pas ressortie intacte de cette "immersion" dans l’afrobeat du XXIe siècle made in Lagos, Accra ou Abidjan. "J’écoute ça tous les jours, ça me donne envie de danser."
Avec une task force de jeunes producteurs beatmakers devenus incontournables aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, elle a cherché un son qui définisse "une nouvelle étape" de sa carrière, tout en respectant sa culture cap-verdienne. "C’était un travail de laboratoire très riche et aussi risqué, parce qu’il fallait trouver un langage pour créer un endroit qui m’appartienne."
La démarche artistique prolonge celle qui avait prévalu en 2013 pour Lovely Difficult ("le surnom que me donnait mon copain de l’époque"). Soucieuse de faire évoluer son répertoire, Mayra avait travaillé dans le studio analogique de Prince Fatty, l’un des acteurs du reggae dub britannique, dont les productions ont des couleurs à la fois chaudes et vintage. Il en reste aujourd’hui quelques ambiances dans les concerts de la Cap-Verdienne, lorsque le moteur basse-batterie se met en marche, alimenté par Swaëli Mbappé et Tiss Rodriguez, issus de la scène jazz parisienne.
Étienne Mbappé, père de Swaëli et bassiste camerounais de référence, avait d’ailleurs participé au premier album de la chanteuse, en 2006, sur lequel elle n’interprétait pas moins de cinq textes de son compatriote Orlando Pantera, personnage marquant pour la jeunesse de l’archipel dont la disparition en 2001 fut suivie par l’émergence d’une "Génération Pantera".
En duo avec Aznavour
Navega comportait aussi deux des chansons qui avaient valu à Mayra, à 16 ans à peine, de remporter la médaille d’or du concours de la chanson lors des Jeux de la Francophonie au Canada en 2001. "Je savais que la musique n’était pas qu’un rêve d’enfant, que ça faisait partie de moi, mais cette première place était importante pour ma famille, qu’elle comprenne que j’avais besoin de tout son soutien pour me lancer dans cette carrière", confie-t-elle.
Sa première prestation remontait à l’année précédente, au palacio da cultura de Praia, la capitale située sur l’île de Santiago. Au culot. À l’occasion d’un concert réunissant des artistes ayant pris part à un album à vocation caritative, l’adolescente avait convaincu le directeur du centre culturel français, organisateur de l’événement, de l’ajouter à la programmation. "C’était la première fois que les gens me voyaient. Et ensuite, j’ai été invitée sur d’autres scènes, y compris hors du Cap-Vert." Puis, le chanteur portugais Carlos de Carmo, "la voix masculine du fado la plus connue dans le monde", la remarque et la recommande. "Je suis une fille pleine de chance", reconnaît-elle.
Quand elle est contactée pour enregistrer avec Charles Aznavour, peu après son installation à Paris en 2003, où elle était venue suivre des cours de chant, elle croit d’abord qu’il s’agit de poser sa voix sur une maquette. La fille du chanteur la rappelle cinq minutes plus tard : "Je pense que tu n’as pas compris : mon père voudrait que tu fasses un duo avec lui sur son album." La séance en cabine face au monument de la chanson française reste un souvenir inoubliable. "Il m’avait laissé choisir le morceau sur lequel je me sentais le plus à l’aise. C’était un monsieur plein d’élégance et de générosité, qui est venu me voir ensuite quand j’ai lancé mon premier album", tient-elle à rappeler.
Si elle ne réécoute jamais d’elle-même ses disques "une fois qu’ils sont sortis", elle se dit toujours "aussi émue, heureuse et fière" lorsqu’il lui arrive, ici ou là, d’en entendre certaines chansons. "Ils ont été faits avec beaucoup de sentiments, d’émotion et une grande qualité en termes de production d’arrangements, d’exécution", souligne Mayra, qu’on devine aussi exigeante que déterminée. Les apparences nonchalantes sont parfois trompeuses.
Mayra Andrade Manga (Sony Music France) 2019
En concert à La Cigale à Paris le 19 février
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