Gnawa Diffusion, l'activisme d'Amazigh Kateb
Manifestement attendu par un public nombreux, acquis à la cause du mariage musical célébré depuis 1992 par les Grenoblois de Gnawa Diffusion, son leader Amazigh Kateb a profité de ce concert, le 21 septembre dernier lors du festival montpelliérain Arabesques, "pour rendre au peuple algérien l’hommage qu’il n’a jamais reçu depuis 60 ans de mensonge, de gabegie, de corruption et de rapine", et nous parler en coulisses, de ses multiples projets… et, évidemment, de l’Algérie.
Quand on interroge Amazigh Kateb sur le peu d’actualité de Gnawa Diffusion ces dernières années, il répond du tac au tac par un "j’ai eu 3 enfants depuis le début de la décennie. J’ai donc souhaité prendre du temps pour les voir grandir". Une réponse qui peut suffire à clore le débat. Mais dans la foulée, presque sans prendre sa respiration, il ajoute : "Avec le groupe, nous avions commencé à travailler un nouvel opus et allions attaquer la pré-prod’, quand, dans toute l’Algérie, des manifestants se sont retrouvés vendredi après vendredi pour dire leur refus d’une 5e candidature Bouteflika.".
Observateur attentif de la vie politique des pays du Maghreb et tout particulièrement de l’Algérie où ce fils du militant poétique et politique Kateb Yacine a vu le jour et a grandi jusqu’à l’âge de 16 ans, Amazigh Kateb ne peut rester insensible à ce mouvement (hirak en arabe) qui au-delà de la non-réélection du Président grabataire, pose des questions essentielles pour l’avenir du plus grand pays d’Afrique par sa superficie et plus généralement pour l’ensemble de ceux qui, à travers le monde ont choisi la démocratie comme mode de gouvernance. "C’est une opposition réellement populaire, une opposition de personnes qui ne descendent pas dans la rue pour réclamer du pain, mais plus de liberté" précise celui qui se considère comme "un accompagnateur du mouvement en Algérie, un passeur d’idées.".
Écris ta Constitution
"Depuis l’indépendance, on nous a bercés de Respublica, alors qu’on était en Resprivata" analyse le chanteur. "Aujourd’hui, des cadenas sautent. Forcément, je suis concerné" commente-t-il avant de remonter le fil de son engagement : "Trois jours après le début du hirak, j’ai créé une page Facebook intitulé 'Écris ta constitution' pour que l’on puisse réagir et interagir", une page sur laquelle il avoue passer presque toutes ses soirées, "jusqu’à tard souvent.".
Lors d’un voyage en Algérie, il rencontre par le biais d’Étienne Chouard et d’une amie journaliste à Paris, Hicham Rouibah, "un doctorant en socio économie" comme ce chercheur se définit lui-même sur son compte twitter. Ensemble, ils animent ce lieu de débat sans frontière. "6 mois après sa création, des résidents de presque la moitié des Wilayas (division administrative) du pays et de nombreux Algériens de la diaspora, soit environ 350 personnes, collaborent à l’écriture d’une constitution transitoire" confie-t-il. "il est impensable de repartir dans une nouvelle ère politique sans avoir en amont changé les règles du jeu, sans une nouvelle constitution préalablement écrite par les citoyens et non par des technocrates. Si l’on conserve ce cadre constitutionnel, tu peux mettre Gandhi à la place de Boutef, ça ne changera rien !" lâche-t-il avec un sens certain de la formule.
"Ensemble, on a redessiné toute la mécanique politique et créé des leviers citoyens pour mettre fin à cette gabegie, à ce détournement des richesses nationales au profit de quelques-uns, avec par exemple l’introduction du contrôle citoyen dans les institutions, la reddition des comptes et le référendum citoyen à mi-mandat. C’est très excitant. N’importe qui est capable de comprendre, sans être juriste, qu’un candidat est corruptible et qu’il est très souvent corrompu, qu’il travaille pour celui qui a payé la campagne, plutôt que pour ceux qui ont voté". Actuellement, en phase de relecture par des hommes de loi, cette constitution transitoire devrait être révélée dans les jours à venir.
Nouveaux projets
Qu’Amazigh Kateb parle de l’Algérie et son propos trouve un écho ici en France. "On ne s’en rend pas toujours compte, mais quand les peuples luttent pour leur liberté, leurs luttes convergent, en général" clame-t-il, avant de s’expliquer : "Le mouvement d’idées autour de Sartre vis-à-vis de la guerre d’Algérie n’a pas seulement libéré les Algériens qui se sont affranchi du joug colonial, mais a aussi profité aux intellectuels français qui se sont décolonisés dans leur tête, qui ont commencé à voir les Algériens, à voir la France autrement, à sortir de ce carcan, à être des nouveaux Français. Tout peuple a besoin de se renouveler à un moment, sinon il vieillit.".
Lui ne semble pas décidé à vieillir. Outre l’album de Gnawa Diffusion, il prépare un nouvel album solo, travaille sur des textes de son père qu’il pourrait interpréter en studio pour son disque ou intégrer dans un projet de documentaire sur le militant que fut ce père mort en 1989 en cours de réalisation et dont il assurera la partie musicale.
Autre aventure, qui le ramène au cœur de l’aventure paternelle, au cœur des années "Indépendance", quand Alger et La Havane symbolisaient une troisième voie pour les pays du tiers-monde comme on les appelait à l’époque, un projet d’album entre musiciens des deux villes est en cours d’élaboration.