Les mythologies de Titi Zaro
Oriane Lacaille et Coline Linder, le duo qui compose le groupe Titi Zaro sort un nouveau disque, L’Hymne des louves, sept ans après son premier opus. Sur leurs pistes multicolores et nomades, les sons du monde et une poésie créole se donnent rendez-vous.
C’est un cirque foutraque, un bric-à-brac de sons nomades, une brocante joyeuse, où entrent en collision des tambours maloya, du créole réunionnais, des scies musicales, des poésies vagabondes et des chants de sirènes, cimentés par la tendresse et l’amour des routes aventureuses.
Sur les pistes de Titi Zaro, c’est le monde entier qui s’invite et danse, bariolé, audacieux, ses bruits, ses couleurs offertes, en pied de nez jubilatoire à ces frontières qui cloisonnent nos esprits.
Et pourtant, ce rendez-vous des mondes, cette imbrication de territoires se sont élaborés au creux d’une ville de 2000 âmes, près d’Angers : Rochefort-sur-Loire. Et c’est ici que nous retrouvons Oriane (Lacaille) et Coline (Linder). Enfin, plutôt sur le réseau social WhatsApp, où les deux trentenaires, collées telles les "siamoises" de leur chanson Gorgones, pour apparaître toutes deux à l’écran, décrivent l’invention de leur paysage commun.
Des deux filles, émanent cette complicité, cette sororité qui transparaît dans leur musique. Voilà plus de quinze ans qu’elles se fréquentent. Quinze ans, qu’elles ont décidé, à l’aube de leur vingtaine, de naviguer ensemble en chansons.
Enfants de la balle
Les deux se rencontrent sous le haut patronage du groupe Lo'Jo, qui leur a, à chacune, donné refuge dans leur maison communautaire à la Fontaine-du-Mont. Il n’y a pas de hasard. Les chansons de Titi Zaro s’imprègnent de cette filiation avec la tribu de Denis Péan.
À vingt ans, donc, les deux filles, enfants de la balle, unissent leurs bagages, conjuguent leurs morceaux d’identité, tel un patchwork pour coudre Titi Zaro, ce groupe au nom surgi d’un rêve.
Il y a, d’un côté, Coline, fille d’un sculpteur et poète, d’une peintre, et filleule du chanteur de Lo'Jo, qui délaisse les bancs de l’école à quatorze ans, pour s’adonner à la régie lumière, dans le théâtre, à Strasbourg. Une succession de coïncidences amène la jeune fille formée au violon, à créer des chansons, des bandes-son pour des spectacles. En parallèle, elle développe ses talents pour les arts plastiques, la réalisation, ce qui vaudra à Titi Zaro d’avoir, dès l’origine, une identité graphique singulière.
De l’autre côté, il y a Oriane, fille de l’accordéoniste réunionnais René Lacaille, qui accompagne son père en tournée, aux percussions, dès l’enfance, et baigne dans la musique, sans même y songer. "Il y avait toujours des invités à la maison, raconte-t-elle. Voilà, on prenait des instruments, et on chantait."
"On a toutes les deux la chance d’avoir grandi dans des milieux où se croisaient beaucoup de gens, raconte Coline. Cela nous a donné une liberté de cerveau et de l’audace..." Sur ce terroir partagé, les deux filles cultivent précieusement leurs différences, et leur complémentarité.
À Coline, le goût des mélodies et des textes. À Oriane, celui des percussions et de la mesure rythmique. Et puis, au fil des années, elles brouillent les pistes, et tout s’emmêle… À quatre mains, elles tissent leurs mots, leurs instrumentations, leur cadence, leur poésie.
Et ainsi procèdent-elles : au centre de la table, elles placent tous leurs instruments, leurs idées… Et se mettent au service de l’univers, à l’écoute de tout ce que ce petit peuple leur murmure. Ainsi Coline explique-t-elle : "Oriane a reçu en cadeau une Cigar Box de Bob Brozman. Du coup, nous avons composé une chanson à partir de cet instrument. Même procédé avec une Shruti Box offerte par un ami : la genèse de L’hymne des louves".
Après un premier disque en 2013, le duo complice a attendu sept ans, avant de sortir ce deuxième opus : les deux vaquent souvent à leurs occupations respectives et se retrouvent à l’envi, sur le chemin, autour de leur petite utopie.
Chansons chamaniques
Dans ce dernier disque, se croisent, comme dans une fête avec plein de copains, des invités – Alexis HK, Vincent Segal, le chanteur italien Giorgio Conte, les sœurs Nid El Mourid (Lo'Jo) –, les cendres de la bibliothèque de Tombouctou, des combattantes kurdes, des histoires d’amour et de départ…
Et, bien sûr, au sein de leurs mots, de leurs musiques, jaillissent des contes, des mythologies, comme ces "gorgones" qui ouvrent le disque. Oriane explique : "Ma mère, chercheuse en grec ancien et traductrice, m’a bercée avec des histoires de mythologies. Et puis, bien sûr, La Réunion se distingue aussi comme une terre de légendes". Coline complète : "Mon papa poète a favorisé en moi ce rapport aux mots, aux imaginaires, aux histoires. Et j’ai grandi avec Lo'Jo qui entretient un rapport mystique et spirituel au monde…"
Et dans la musique partageuse, inspirée des rêves et jeteuse de sorts de Titi Zaro, il y a de la magie, du chamanisme, une relation aux puissances supérieures. "On perçoit la musique comme des fluides, une énergie…" abonde Oriane. "Il y a une dimension incantatoire, de l’ordre de la prière ou du sacré, dans nos compositions, dit Coline. Nous entretenons un rapport fort aux forces invisibles. Et d’ailleurs, nous percevons le rôle de la musique comme tel : dans de nombreuses cultures, de nombreuses médecines, la musique et les sons s’utilisent comme des remèdes, des médicaments…" Et ainsi se déguste Titi Zaro : comme une tisane aux herbes folles, aux infinies vertus.
Titi Zaro L'hymne des louves (NoMadMusic) 2020
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