Babel Music XP : de nouveaux horizons pour les musiques du monde

De La Crau, folk-rock psychotropique provençal. © RFI/Anne-Laure Lemancel

Du 23 au 25 mars se tenait Babel Music XP, marché et festival autour des "musiques du monde". De quoi célébrer d'heureuses retrouvailles pour les professionnels du secteur, après cinq ans d'arrêt de cette manifestation... Et d'explorer les nouveaux enjeux auxquels la filière doit faire face.

"D'où que l'on vienne, on est chez soi à Marseille ! Alors, bienvenue 'chez vous' !" Sur ces mots, en partie empruntés au journaliste et écrivain marseillais Jean-Claude Izzo, le directeur de la manifestation Olivier Rey a lancé ces festivités en forme de retrouvailles. Car c'est bien la planète entière, dans sa joyeuse pluralité–2000 professionnels des "musiques du monde", venus de 48 pays et quatre continents–qui, du 23 au 25 mars, s'est sentie "chez elle" au cœur de la cité phocéenne, pour célébrer en grande pompe la résurrection, après cinq ans de mise à l'arrêt, suite au retrait du principal financeur, la région Paca, de Babel Med, devenu Babel Music XP. Soit un nouveau nom pour dépasser les seules rives de la Méditerranée et aborder, grâce au XP – eXPériences, eXPplorations, etc.–les contours d'un futur connecté, branché aux vibrations sociétales, pour ces musiques dites "de la diversité". 

Durant ces trois jours, le sentiment qui régnait sur les 90 stands du marché (bookers, programmateurs, labels, festivals, artistes, etc.), dans les conférences à la friche La Belle de Mai et le soir aux concerts dans les emblématiques Docks des Suds, était une émotion profonde : la joie de se retrouver, d'échanger sur des problématiques communes, de faire front, collectivement, dans un monde en pleine mutation... Une preuve de chaque instant de la nécessité cruciale de cet événement atypique, déclaré "d'intérêt général" par plusieurs de ses protagonistes.

Biodiversité culturelle

Ainsi, lors de l'ouverture des États généraux des Musiques du Monde (2023-2026), l'historienne Naïma Huber-Yahi, qui définit ces musiques comme "un lieu, une utopie commune" s'interrogeait : "À l'heure du mythe d'un 'grand remplacement', du repli sur soi, de la radicalisation des rapports sociaux, du spectre grandissant de l'extrême droite, comment promouvoir encore cette diversité ? Comment défendre et mettre à l'honneur les expressions des minorités culturelles et ethniques ?"

 Et la chercheuse de rappeler ce besoin d'une "égale dignité" entre les cultures des pays du "Nord" et celles des pays du "Sud". À ses côtés, Cédric Taurisson, directeur de la Maison des Cultures du Monde, évoquait cette exigence de défendre, au même titre que la "biodiversité naturelle", la "biodiversité humaine". 

Surtout, suite à la crise sanitaire, ces "musiques du monde" au nom éternellement questionné, devenues ici "musiques actuelles du monde", pour tenter de se départir de l'image poussiéreuse, voire ethnocentrique qui leur collent à la peau, ont dû se heurter à de nombreux défis : une relative désaffection des publics pour les concerts, une flambée des cachets des têtes d'affiche, une baisse des subventions, l'augmentation du prix de l'énergie, etc.

Autant de problématiques qui ont parcouru les conférences. Avec des stratégies évoquées pour, par exemple, redessiner les visages des festivals. Doivent-ils continuer à "ressembler, pour certains, à des fêtes foraines", selon les mots de Stéphane Krasniewski, directeur des Suds à Arles, tendre vers une expansion sans limites ou, au contraire, amorcer les virages de la décroissance et de la sobriété, se réinventer vers davantage de pluridisciplinarité, investir des lieux patrimoniaux, insolites, offrir une expérience inattendue au public plus respectueuse de l'environnement ? 

Les musiques face à l'écologie

Et puis, ces expressions doivent faire face à de nouveaux enjeux sociétaux salutaires, comme la parité homme-femme, ou la transition énergétique. Ainsi, en la matière, de nombreuses solutions ont été esquissées, au sein d'un secteur relativement énergivore, basé sur la circulation des artistes. Citons ainsi la Convention Climat, aux 148 propositions, éditée par l'association Zone Franche, premier réseau français des musiques du monde.

Au rang des préconisations ? Mutualiser les tournées des artistes, mettre fin aux clauses d'exclusivité pour limiter les transports aériens, etc. Ceci afin de réduire de 80% les émissions de gaz à effets de serre, d'ici 2040, en accord avec les recommandations du Giec

A également été questionnée la place réduite de ces musiques dans les médias. Et aussi les collusions de cet univers avec les nouveaux outils technologiques, souvent heureuses lorsque les musiques traditionnelles rencontrent avec pertinence les sons électro... À questionner lorsqu'il s'agit d'aborder leur relation avec des outils innovants, comme les réseaux sociaux TikTok ou Fortnite, l'Intelligence artificielle ChatGPT, les mondes virtuels (Métavers) ou la Blockchain, utilisée notamment par la Sacem.  

Ces trois jours ont donc révélé un marché des musiques du monde dynamique et bien vivant, en prise avec le temps présent, conscient des enjeux qui l'entourent. Le soir, aux Docks, comme autant d'illustrations de chair et d'os, de sueur et de saveurs, d'harmonies et d'accords, d'électricité et de racines, les 32 concerts, sélectionnés par plusieurs comités sur 1462 candidatures, ont révélé des musiques aux identités "mouvantes", absolument passionnantes et portées à 63% par des femmes...

En vrac : de la chanson créole, bouleversante et voyageuse avec Ariel Tintar ; un rock psychédélique, âpre et provençal, par les locaux de l'étape, De La Crau ; les chaloupes sensuelles et urbaines des afro-futuristes créoles, Dowdelin ; un électro-punk jubilatoire forgé par les as de la récup' made in Kinshasa (Fulu Miziki Kolektiv), etc. De quoi inspirer ces mots de conclusion à Olivier Rey : "Ces trois jours ont révélé une filière, certes affaiblie, mais résolument et joyeusementdebout."

© RFI/Anne-Laure Lemancel
Olivier Rey, directeur du festival Babel Music XP.

Trois questions à Olivier Rey, directeur de Babel Music XP

RFI Musique : Pourquoi la relance de Babel Music XP vous paraissait-elle essentielle ?
Olivier Rey
: La manifestation répond à un besoin de structuration du secteur, de connexions autour de–non, ce n'est pas un gros mot !–son économie. Par rapport à d'énormes salons comme le Womex, elle s'adapte peut-être davantage aux besoins des microstructures. Quand l'aventure a pris fin en 2018, après quatorze ans d'existence, c'est tout un écosystème qui s'est trouvé fragilisé. Ex-attaché de presse de l'événement, j'ai pris mon bâton de pèlerin pour convaincre d'autres financeurs...

Quelles évolutions étaient-elles, selon vous, primordiales pour cette renaissance ?
Ce sont des musiques qui racontent, plus qu'aucune autre, les mutations du monde. Il est donc essentiel qu'elles touchent un public élargi. Pour ce faire, il nous faut changer de paradigme, sortir de notre "niche", ouvrir les fenêtres... Par exemple, pour cette édition, j'ai invité Alex Stevens, programmateur du géant belge, le Dour Festival. Ou encore Olivier Laouchez, PDG de Trace TV, média phare sur les musiques urbaines en Afrique, dans les Caraïbes et l'océan Indien. Le maître-mot pour moi reste le "décloisonnement" : des styles, des esthétiques, des univers.... Je rêve, par exemple, de convier, pour une prochaine édition, des mastodontes tels AEG ou Live Nation, d'ouvrir le dialogue avec eux. Et j'espère attirer aussi des programmateurs de festivals électro, jazz, pour qu'ils diffusent "nos" musiques. 

Êtes-vous optimiste pour la suite ? 
J'ai confiance en l'être humain. Et le Babel Music XP est une source d'espérance inouïe, autant qu'une preuve de résilience. Du Canada au Burkina Faso, nous nous inspirons les uns les autres. Ce secteur se trouve sous le coup de crises plurielles–sanitaire, économique, écologique... Une conjoncture qui pourrait inciter au repli sur soi. Mais je fais le pari inverse : celui de nous reconnecter, de reconstruire d'heureuses passerelles... 

Site de Babel Music XP