À Montréal, un festival pour faire rayonner l'innovation dans les musiques du monde
Depuis six ans, le centre des Musiciens du monde organise son festival à Montréal. Une série de concerts consacrée aux artistes accompagnés par le centre, qui promeut l'innovation et la recherche dans les musiques des diasporas du monde entier, souvent cantonnées au folklorique. Le festival a eu lieu du 19 au 21 mai dernier.
Le concert est donné dans l'église catholique Saint-Enfant-Jésus du Mile End, un quartier branché de Montréal. Près de deux cents spectateurs se pressent pour pénétrer sous les alcôves du lieu saint. Peu d'artifices sur la scène posée à la croisée du transept : un drap noir, quatre micros. Tout est pensé pour une chose : rendre honneur aux sons du monde.
C'est la soprano Janelle Lucyk, également violoniste et originaire de Nouvelle-Écosse, qui ouvre ce Festival des musiciens du monde, organisé par le centre du même nom. Les quatre musiciens sont en noir sur fond noir, leurs instruments ressortent par contraste : Deo Munyakazi et son inanga, Kerry Bursey avec théorbe, ainsi que Reza Abaee, au gheychak. "C'est notre premier concert ensemble. On s'est retrouvé l'esprit ouvert pour réimaginer nos musiques dans un programme unique", résume la musicienne au micro, qui sort d'une résidence au Centre avec ses trois collègues.
Durant 45 minutes, les cordes s'entremêlent, les voix de Janelle et Deo se répondent. D'une musique baroque réinventée pour mettre en lumière les cultures propres à chacun, aux entraînantes musiques folk, les styles se mêlent dans un équilibre fin et délicat, qui ne bascule jamais. "Je reviens tous les ans, le prix est un peu élevé, mais la qualité des œuvres proposées, l'amalgame complexe de différents styles musicaux et le travail sur le son dans l'église sont remarquables", avance, ravi, Julien, 45 ans, sur le parvis.
Mohamed Masmoudi, oudiste d'origine tunisienne, a annoncé à la fin du festival après son concert, la sortie de son premier album avec son quartet. "Cela fait huit ans que j'ai en tête de réaliser cet album, mais c'est beaucoup d'argent et de temps à investir, je suis très heureux de pouvoir enfin le lancer, grâce au centre", expliquait-il une semaine plus tôt à RFI Musique. Son album est le premier produit par le tout nouveau label du Centre des musiciens du monde.
Refuge émancipateur
Juste à côté de l'église, l'ancien presbytère accueille le Centre des musiciens du monde depuis sa création il y a cinq ans. Dans certains couloirs du bâtiment ancien, on entendrait même la musique qui résonne dans la nef. Le cofondateur, Frédéric Léotar, ethnomusicologue, nous ouvre ses portes.
Au sol, de nombreux tapis persans, des instruments anciens sont exposés dans les corridors. "Le but du centre est vraiment de faire travailler ensemble des musiciens immigrants étrangers ou qui sont installés ici, mais qui ne sont pas dans le panorama culturel du Québec et du Canada, pour créer de nouvelles œuvres à partir de leur diversité, leur singularité, leur tradition culturelle", explique le chercheur et directeur général du Centre dans son bureau, devant une bibliothèque remplie de livres sur les musiques de tous les continents. L'objectif affiché est de valoriser l'innovation musicale dans la maîtrise des systèmes de différentes traditions musicales, de tous les continents, sans l'appui de l'électronique.
Fondé en 2017 par le musicien Kiya Tabassian et Frédéric Léotar, il a fallu peu de temps pour le premier de convaincre le second de se lancer dans l'aventure. "Kiya est venu me voir pour me proposer cette idée. Il connaissait mon intérêt pour les traditions musicales de Sibérie et d'Asie centrale. D'origine iranienne et fondateur du groupe Constantinople, on se connaissait et se respectait, sans trop se connaître", se souvient le chercheur.
En deux ans, Frédéric Léotar se forme pour diriger une entreprise, tout en continuant l'enseignement : "J'ai dû côtoyer la communauté des entrepreneurs, puis la communauté culturelle de Montréal. C'est de l'ethnomusicologie appliquée que je fais, mais qui dépasse de très loin la dimension scientifique. J'invite même parfois des étudiants à développer des projets de recherche ou d'observation ici."
Le centre propose à quatre à six groupes en moyenne chaque année de venir faire des répétitions dans leurs studios durant 50 heures, rémunérées. On y retrouve des musiciens du Sénégal, d'Iran, d'Inde ou même de Nouvelle-Écosse. Pour les musiciens accompagnés, le centre est une grande opportunité. Surtout que lorsque l'on joue de la "musique du monde", on est souvent cantonné à la musique folklorique, commerciale ou festive, explique Mohamed Masmoudi : "C'est exactement ce que je recherchais, du monde qui croyait en moi, qui comprenait que je n'avais pas besoin de faire de la musique pour plaire, mais que j'avais juste besoin de faire de la musique pour la pousser plus loin", témoigne l'artiste.
Faire dialoguer les cultures
Loin de se limiter à l'accompagnement des musiciens en vue du festival, le Centre les accompagne toute l'année pour organiser des concerts. Une académie est née, ainsi que des ateliers, des concerts gratuits, des interventions dans les écoles, organisés par les musiciens intéressés. "Même quand je n'y joue pas j'y vais, et s'il y a besoin d'aider, pour n'importe quoi, pour des cours, des activités familiales, j'y vais", s'amuse Mohamed.
Toutes ces activités sont rémunérées. "On veut vraiment avoir les conditions optimales pour les artistes, dans un monde où ils sont souvent fragilisés. Ils sont toujours rémunérés pour tout ce qu'on leur propose avec des cachets qui sont au-dessus des normes qui se pratiquent." Un positionnement rendu possible grâce aux subventions accordées par l'arrondissement, Montréal, le Québec et le Canada, ainsi que par la billetterie et l'académie.
Le symbole du centre est le nœud de Salomon : quatre boucles infinies qui se lient, pour représenter les cultures musicales, et le centre dans lequel se réunissent les valeurs humaines universelles. La création interculturelle est au cœur du processus musical du directeur artistique Kiya Tabassian et de son ensemble Constantinople, et il accompagne les artistes peu habitués qui viennent en résidence au Centre. Mohamed Masmoudi, lui, savait déjà faire dialoguer les cultures de chacun : "Ça vient aussi du mélange de style que chacun a en soi. On rend le dialogue possible en multipliant les expériences avec les musiques de partout".
Pour le moment, le Centre se concentre surtout sur des activités au Québec et au Canada. Mais à l'avenir, il espère s'ouvrir à l'international, en multipliant les échanges avec des organismes du monde entier.