Le désert fécond de Tikoubaouine

Tikoubaouine. © Ostowana Music

Après s’être fait un nom en Algérie au cours des dernières années avec son blues touareg imprégné de nombreuses influences, le groupe Tikoubaouine part sur les traces internationales de ses glorieux aînés, porté par son deuxième album intitulé Ahaney.

Sur la carte des musiques ishumar, encore appelées assouf ("nostalgie") ou tichoumaren, l’axe reliant la ville malienne septentrionale de Kidal à sa voisine sud-algérienne de Tamanrasset fait volontiers figure d’autoroute incontournable, tant pour des raisons géopolitiques qu’historiques. Le zoom, comme souvent, s’avère réducteur, au point d’oublier que l’influence touarègue ne se limite pas à cette seule zone. Tikoubaouine vient le rappeler de façon évidente. Les six membres, âgés de 26 à 33 ans, ont pour une base In Salah, à une dizaine d’heures de route au nord de "Tam" – et à une quinzaine au sud d’Alger, la capitale.

Cette région du Tidikelt, un nom qui signifie la "paume de la main" et évoque sa situation géographique centrale dans le Sahara, "ne ressemble pas aux autres où vivent les Touaregs", explique-t-on dans l’entourage du groupe, en ajoutant qu’elle est "plus algérianisée dans la musique". Et cela s’entend dans le répertoire de Tikoubaouine, nettement moins aride que celui des principaux acteurs de ce courant incarné par Tinariwen. La singularité est aussi dans son parcours, effectué étape par étape en Algérie, jusqu’à maturité, alors qu’un grand nombre de ses alter ego se sont exportés rapidement.

D’abord constituée à la fin des années 2000 par une poignée de jeunes issus du même quartier, la formation dont les effectifs ont ensuite évolué rejoint en 2013 le giron de Dar el Imzad, "maison internationale d’artistes" inaugurée deux ans plus tôt à Tamanrasset par l’association Sauver l’Imzad (qui désigne une vielle traditionnelle). La structure se définit comme un "centre de rayonnement culturel » et joue un rôle majeur dans la préservation du patrimoine local qu’elle fait notamment vivre avec ses troupes folkloriques masculines et féminines.

Le soutien apporté à l’équipe de Saïd Ben Khira et Hosseyn Daggar, les coleaders du groupe, leur permet d’enregistrer un premier album Dirhan paru en 2016, et d’obtenir un écho significatif au sein de leur génération, en particulier avec la chanson Ligh Ezzaman. Avant de trouver leur place dans le mouvement de manifestations pacifiques de 2019, auquel fait référence leur chanson Samidoun sortie l’an dernier, fruit de leur collaboration avec le chanteur Chibane.
 

Sur sa route, Tikoubaouine rencontre aussi un nouveau partenaire, en l’occurrence le label algérois Ostowana géré par Amine "Aminoss" Hamerouche, guitariste respecté sur la scène locale pour son expérience auprès de nombreux artistes du pays. De nouvelles portes s’ouvrent pour le groupe qui participe en 2019 à des événements tels que le Festival international de la musique diwan à l’opéra Boualem Bessaih dans la capitale, ou encore le festival Orientalys à Montréal, sa première prestation à l’étranger. Ahaney, son tout nouvel album, lui offre ses débuts en Europe, dans le cadre du festival parisien Au Fil des Voix en ce mois de février 2020.

En studio, les six musiciens ont pu compter sur les conseils avisés d’Aminoss mais aussi de son complice bassiste Nadjib Gamoura. Surtout sur le plan technique. Dans ce domaine, les douze morceaux d’Ahaney ne souffrent guère de critiques et suscitent même une forme d’admiration : une basse percussive (Mazwan) qui rappelle les liens avec le tindé, un chant choral dont on connaît la puissance en live et qui restitue tout son effet à l’enregistrement en vous emportant dès Tiniri

Côté artistique, si la guitare qui donne sa couleur si caractéristique à cette musique tricote un fil que l’on ne perd jamais de vue, les idées exploitées en marge par les musiciens s’affranchissent aisément des conventions du genre (skank reggae prononcé sur Aksanagh Tarha et Elalem, tempo élevé et enlevé sur Tarha…).

Quels que soient les espaces utilisés, le résultat conserve toute sa pertinence et laisse entrevoir un renouveau forcément bienvenu sur cette scène touarègue qui bénéficie aujourd’hui d’une visibilité planétaire. Prendre un chemin différent, dans la gestion de sa carrière comme dans ses compositions et ses arrangements, est in fine une option payante pour Tikoubaouine.

Tikoubaouine Ahaney (Ostowana Music Algerie/Le Son 9 records labalme music France / Socadisc) 2019

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