Les pulsations américaines de Tinariwen

Le groupe Tinariwen, 2023. © Marie Planeille

Qui a dit que les déserts ne se rencontraient pas ? Certainement pas les membres du mythique groupe touareg Tinariwen. Amatssou, leur 9e album célèbre la rencontre musicale des nomades du Sahara et des cowboys du Far West. Un voyage majestueux, fidèle à leur identité, et engagé dans les confins du blues.

Amatssou, le titre de leur nouvel album, signifie "au-delà de la peur" en tamashek. Une peur dépassée face à des mots qui accablent leur peuple dont ces musiciens engagés sont un flambeau à travers le monde depuis trente ans. "Nous avons tellement de problèmes ! Il est important d’en parler, nous n’avons pas les réseaux sociaux, nous n’avons pas les médias qui peuvent parler de ce qui se passe chez nous, alors nous sommes là avec notre musique", nous explique Abdellah ag Alhousseini, l’un des membres fondateurs du groupe, pionnier de la musique assouf (qui signifie nostalgie en tamashek). Sur ce nouvel album, une chanson entraînante comme Iket Adjen aborde ainsi les difficultés de la vie quotidienne des Touaregs.

Ces problèmes sont bien sûr les dangers liés à la présence des djihadistes au Sahel et à toutes les interdictions auxquels ils doivent faire face. "Cela fait longtemps que des choses comme la musique ou même la cigarette sont empêchées chez nous. C’est de pire en pire, d’où le nom de cet album", poursuit ému Saïd ag Ayad, percussionniste et chœurs du groupe.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ce nouvel album a été enregistré à Djanet, une oasis du désert au sud de l'Algérie située dans le Parc national du Tassili N'Ajjer. Un endroit qui reste sécurisé pour les Européens (notamment leur manager et ingénieur du son) qui font partie intégrante de l’équipe, nous raconte Tinariwen.

Détour d’Amérique

Pourtant, ce disque aux sonorités captivantes, produit par le guitariste et chanteur canadien Daniel Lanois (Peter Gabriel, Brian Eno, Bob Dylan, U2) devait au départ être enregistré en Amérique, à Nashville. En raison de la pandémie, c’est à distance que les artistes ont travaillé.

Tinariwen a ainsi d’abord enregistré ces douze morceaux très blues, à l’instar de la mélopée Nak Idnizdjam, dont certains furent ensuite parés par des musiciens américains et par Daniel Lanois, de banjos, de violons et de pedal steel guitars, instruments emblématiques de la musique folklorique américaine.

"On a demandé des choses simples aux musiciens américains. On cherchait surtout les rencontres. Qu’un artiste puisse venir sur un morceau et y trouve quelque chose à jouer", se souvient Saïd ag Ayad. "Des connexions se sont faites, ils ont mis quelques sons de violon, de banjo et c’est tout", explique Abdellah ag Alhousseini, très attaché à ce que l’on n’en déduise par pour autant qu’Amatssou est un disque américain.

Une collaboration heureuse qui, sans dénaturer la musique de Tinariwen, lui apporte un petit frottement, un son parfois planant, qui flirte avec la transe sur des morceaux tels que Arajghiyine et sur Jayche Atarak. Quant aux chansons Tenere Den et Ezlan, elles sont accompagnées par la guitare fougueuse, tantôt blues tantôt country, du multi-instrumentiste new-yorkais Fats Kaplin.

Le mélange est subtil, pas toujours présent et parfaitement réussi. Une alchimie qui s’explique spontanément d’après Saïd ag Ayad. "La musique touarègue et la musique américaine sont proches. Quand on rencontre les artistes américains, on a l’impression de se connaître au bout de seulement trois ou quatre minutes à jouer ensemble". L’Amérique rurale, ce sont aussi les grands espaces, une certaine idée –relative- de la liberté et aussi un rapprochement musical pour le groupe, à travers le blues, le rock et la musique country américaines, nous expliquent Tinariwen.  

Mais ce disque, c’est avant tout un son très touareg, un hommage à ce patrimoine musical et aussi aux femmes. En témoigne Tinde, une chanson traditionnelle interprétée par Aïcha, une chanteuse de Djanet. Une façon pour Tinariwen de rappeler que dans la culture touarègue, la plupart des musiques sont jouées par des femmes. Une tradition dont ils sont fiers, mais qui se raréfie notamment à cause de l’exil de la population du Sahel, et qu’ils craignent de voir disparaître à terme de ce désert dans lequel ces infatigables ambassadeurs aimeraient pouvoir convier un jour leur public occidental. "On aimerait que vous puissiez venir chez nous comme on vient chez vous. Nous sommes à la recherche de la paix", explique Saïd ag Ayad.

Tinariwen Amatssou (Wedge) 2023

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