Les enfants de Cesaria Evora

Le succès international de Cesaria Evora stimule l'ensemble de la communauté cap-verdienne. Portrait des émules de la 'diva aux pieds nus'.

Le succès international de Cesaria Evora stimule l'ensemble de la communauté cap-verdienne. Portrait des émules de la 'diva aux pieds nus'.

Applaudie par tout le gotha américain, consacrée par une multitude de prix et considérée comme une des plus grosses ventes de la musique africaine (un million d'albums vendus dans le monde), Cesaria Evora peut se targuer d'être la première ambassadrice du Cap-Vert. Sa voix rauque a réussi à tirer cette poignée de rochers jetés en vrac au bout du nez de l'Afrique de leur anonymat. Désormais, on vante autant la beauté de l'archipel que la richesse de sa musique.

C'est que le succès de Cesaria a entraîné dans son sillage une flopée d'artistes cap-verdiens. "Tout gravite autour de Cesaria, elle a motivé beaucoup de musiciens, elle a un rôle central dans la communauté", explique le sociologue et journaliste cap-verdien Luis Silva. Un rôle central qui s'exerce très concrètement : les meilleurs compositeurs de l'archipel ont été sollicités pour concocter ses mélodies. Ainsi, certains anciens comme Morgadinho, l'un des fondateurs de Voz di Cabo Verde, le groupe de référence du Cap-Vert, lui a offert Cize, son grand classique : "Je suis arrivé en Europe en 1968, j'ai beaucoup tourné. En 1981, j'ai enregistré un album, mais je n'ai alors trouvé ni producteur, ni distributeur. Aujourd'hui, je compose pour Cesaria, Dulce Mathias et je viens de participer à un album collectif, 'Exil du Cap-Vert'". "Il y a de grands artistes cap-verdiens qui vivent depuis vingt ans à Paris où à Lisbonne et que l'on commence seulement à découvrir", complète Luis Silva.

Pour certains, la collaboration avec Cesaria a permis le lancement d'une carrière. C'est le cas du groupe Simentera, révélé lors d'une première partie de Cesaria Evora à l'Olympia en 1993, de Maria Alice (photo), qui s'est fait connaître à l'occasion de la Nuit cap-verdienne, organisée par la diva au Printemps de Bourges. Ou encore de Téofilo Chantre, qui lui a d'abord signé quelques compositions avant de sortir un album solo. Depuis 1995, il a donné plus de 300 concerts en Europe et au Canada.

Cet effet "boule de neige" s'explique en partie par la décision de Jose Da Silva, le manager de Cesaria Evora, de lancer en 1988 le label Lusafrica, destiné à produire son premier album. Aujourd'hui, le catalogue du label compte plus de 100 références, dont un nombre non négligeable d'artistes cap-verdiens. S'attachant à produire le répertoire des années 60/70 avec des artistes phares comme Ildo Lobo, B. Leza ou Luis Moraïs, mais aussi à donner leur première chance à des jeunes comme Manuel de Novas ou Tito Paris, Lusafrica a même permis à certains d'être diffusés par le distributeur de la "chanteuse aux pieds nus", la multinationale BMG.

Ces signes encourageants ne font pas l'unanimité dans le petit monde de la musique cap-verdienne. "Les artistes sont souvent encore trop ghettoïsés. Il n'y a pas de structures au pays et en Europe, la plupart d'entre nous se produisent encore artisanalement ou jouent seulement dans les fêtes de la communauté", constate avec amertume Morgadinho. Le succès de Cesaria Evora n'a pas non plus rayonné sur l'ensemble des artistes luso-africains. A part l'Angolais Bonga qui vient de signer avec BMG et le Bissau-Guinéen Naka Ramiro, qui a fait ses débuts au cinéma avec Flora Gomes, la communauté afro-lusophone reste ignorée du grand public. Pourtant, la volonté du gouvernement portugais de créer un espace lusophone fort de sept pays et de 200 millions d'habitants pourrait bien contribuer au développement culturel des Palops (pays africains de langue portugaise). A Paris, un nouveau journal bilingue, Lattitude, leur ouvre ses colonnes et un festival, Atlantida, vient de signer sa deuxième édition.

"L'espoir en des jours meilleurs est notre nature profonde, conclut, philosophe, Morgadinho. Nous aimons chanter, jouer de la guitare. La musique, comme l'espoir, fait partie de notre culture." Une culture de l'exil marquée par de si beaux accents de nostalgie.

Pour en savoir plus sur Cesaria Evora, consultez sa biographie

Sylvie Clerfeuille - MFI