Gabriel Yared
Le fossé creusé entre la musique classique et la musique de variétés est artificiel et il est possible de le combler pour autant que l'on revienne à une connaissance approfondie du langage musical. C'est en tous les cas l'avis de Gabriel Yared. Autodidacte, Yared a tout gagné : de l'Oscar au César en passant par les Grammy Awards, Victoires de la Musique et la distinction de Commandeur dans l'Ordre des Arts et Lettres.
Classique-Variétés, un fossé artificiel pour le compositeur.
Le fossé creusé entre la musique classique et la musique de variétés est artificiel et il est possible de le combler pour autant que l'on revienne à une connaissance approfondie du langage musical. C'est en tous les cas l'avis de Gabriel Yared. Autodidacte, Yared a tout gagné : de l'Oscar au César en passant par les Grammy Awards, Victoires de la Musique et la distinction de Commandeur dans l'Ordre des Arts et Lettres.
On lui doit les musiques de films tels que "37°2 le matin" (que les Américains connaissent sous le nom de Betty Blue) (Jean-Jacques Beineix), "Camille Claudel" (Bruno Nuytten), "Les ailes du courage" (Jean-Jacques Annaud) ou encore "Le patient anglais" (Anthony Minghella). "J'ai appris la musique en lisant des partitions", a-t-il dit à Reuters, lors d'une interview donnée en sa demeure de l'Ile-aux-Moines (Morbihan).
"Quoi que vous fassiez, pensez à apprendre les règles, m'a dit un jour Henri Dutilleux", se remémore Yared, qui suivit ses cours en auditeur libre à l'Ecole Normale de Musique. Mais par la suite, il aura soin de consacrer deux années d'études intensives à la grammaire musicale avec l'aide d'un professeur du conservatoire.
"D'avoir appris sur le tard m'a permis peut-être d'établir un pont entre la musique classique et la musique de variétés", explique Gabriel Yared. "La musique de variétés est un vrai métier qui s'élèverait s'il était pratiqué par des gens qui connaissent vraiment les arcanes de la musique", affirme-t-il.
Yared, né en 1949 au Liban, le quitte en 1971, ayant fait l'impasse sur ses études de droit. Quant à l'influence de ses origines sur sa musique, "je peux difficilement en parler, c'est comme un voile obscur", avoue-t-il. Ce n'est pas de son séjour chez les jésuites (de l'âge de 8 ans à 14 ans) qu'il tirera sa vocation, loin de là. Mais le Liban est l'une de ces régions du monde où les envahisseurs n'ont cessé de se croiser, laissant des "traces sonores et visuelles". Ce qu'il y aurait de spécifiquement libanais chez lui serait donc cette "possibilité de capter tout ce qu'il y a autour de soi et de le faire sien, aboutissant à une connaissance intérieure redécouverte".
"Mais d'autre part, je tourne le dos aux choses dès que je sens que je commence à m'installer". Ainsi, en 1995, Yared pensait quitter la musique de film. Mais "Le patient anglais" est arrivé ; et l'Oscar. Pour la peine, Yared va signer également la musique du deuxième film d'Anthony Minghella, "The Talented Mr. Ripley". Il a déjà à son actif celle de "City of Angels" de Brad Silberling, qui fait un tabac aux Etats-Unis. "Pour des raisons familiales et seulement pour le moment, je ne peux pas vivre aux Etats-Unis", explique-t-il. "Mais c'est toujours difficile de vouloir rester en France, lorsque votre métier vous appelle là-bas".
La musique de scène, dont il a déjà tâté avec Carolyn Carlson, le requiert à nouveau. L'Opéra de Paris a en effet commandé à Yared cette année une composition pour un ballet de Roland Petit.
La musique de film, Yared l'a abordée sans culture cinématographique préalable. Ce qui ne l'empêche pas, souvent, de commencer à noircir des portées sans qu'une seule image du film ait été tournée. "Je suis sensible au flou, à ce qui n'est pas encore dit. Alors, je me promène, j'erre, je me trompe puis je parviens à resserrer mon point de vue musical sur l'image", dit-il. Dans tous les cas "il n'est pas question d'écrire une musique qui soit une béquille de l'image. Je ne comprends pas qu'une musique vienne souligner un élément de l'image et c'est aussi pour cela que j'aurais du mal à travailler sur certains films".
"Un compositeur n'a pas besoin d'être collé à une image pour écrire", poursuit-il. "Je suis sûr que c'est la musique la plus aboutie et la plus généreuse qui peut le plus aider l'image. L'image a besoin d'une musique qui ait une certaine éthique".
Avec les techniques actuelles, tout le monde peut "faire" de la musique, même de film. "C'est vrai, mais précisément, il y a beaucoup de 'faiseurs'", observe Yared. "Techniquement, la musique s'est démocratisée, c'est donc le moment ou jamais de dire qu'il faut revenir aux règles musicales parce qu'on a besoin d'une assise en musique; là encore Bach en est l'exemple suprême. La sensation pure est insuffisante pour accéder à la plénitude musicale".
"Actuellement, on cultive l'effet immédiat, on reste dans l'artifice, on oublie la profondeur", ajoute-t-il. "En même temps, je suis emballé par tout ce qui se passe car c'est vraiment le moment de faire savoir à tout un chacun que la sensibilité a besoin d'être portée par l'esprit".
Qu'en est-il des travaux de musique contemporaine tels qu'ils sont pratiqués à l'IRCAM (Institut de Recherche et de Création Acoustique et Musicale) par exemple ? "Il m'est difficile de porter un jugement sur une musique que je connais peu", dit Yared à ce sujet. "C'est comme une intervention chirurgicale pratiquée pour décaper la musique tonale et qui me paraît comme un 'va-au-précipice'". C'est pourtant, observe-t-il, "un travail de laboratoire absolument nécessaire mais on revient de plus en plus à la musique tonale et donc au classique et un jour viendra où classique et variétés seront un seul et même propos", prédit-il.
Wilfrid Exbrayat