Manu chao

A l'occasion de la sortie du nouvel album de Manu Chao, ex-leader de la Mano Negra, Alain Pilot, journaliste de RFI s'entretient avec l'artiste.

Interview

A l'occasion de la sortie du nouvel album de Manu Chao, ex-leader de la Mano Negra, Alain Pilot, journaliste de RFI s'entretient avec l'artiste.

 

 

 

Alain Pilot : Pour faire référence à une phrase de La vie à deux, j'ai envie de vous demander pour commencer, quand il est minuit à Tokyo, 5 h au Mali, quelle heure est-il au Paradis ?
Manu Chao
: C'est difficile à définir vu les temps qui courent !

AP : L'album s'appelle Clandestino (sorti chez Virgin) avec en sous-titre Esperando la ultima ola.
MC
: En attendant la dernière vague.

AP : "Esperando" revient souvent dans ce disque, il y a beaucoup d'attente ?
MC
: Je n'avais pas remarqué mais cela ne me surprend pas, je suis en position d'attente aussi et je crois que beaucoup de gens dans le monde le sont également. Nous sommes tous en train de nous demander comment se positionner par rapport à tout ce qui se passe, quand il est minuit à Tokyo et 5 h au Mali avec tous les problèmes qui existent, avec les différences entre ce qu'il se passe à Tokyo, au Mali, le Sud, le Nord, les frontières, les abus, les mensonges. Et voilà, on n'est plus à l'heure de dénoncer les choses, je crois que tout le monde est conscient de ce qui se passe, maintenant il faut trouver les solutions.

AP : Dénoncer, vous avez le sentiment de l'avoir fait avec la Mano Negra ?
MC
: J'ai fait partie des gens qui ont eu cette inquiétude de dénoncer ce qui semblait ne pas fonctionner dans la société, on est vraiment conscient que c'est une dégradation permanente, c'est une course contre le temps. Maintenant, il faut trouver des solutions, il ne s'agit plus de dénoncer.

AP : C'est parce que vous allez avoir 37 ans dans un mois que vous êtes dans cette position d'attente ?
MC
: Je crois que l'âge, c'est quelque chose qui donne un certain recul sur les choses. Je me rends compte que l'on avance sur plein de choses, surtout au niveau technologique. La seule chose qui n'avance pas, ce sont les relations humaines. On n'en est au même point qu'il y a 2000 ans avec les mêmes conneries, les abus de pouvoir, les gens qui s'arrachent la gueule dès qu'il y a 10 sacs (ndlr : 100 FF) sur la table. Et cela, ça n'avance pas et c'est là le danger du monde aujourd'hui. Moi la chose qui est vraiment vitale pour moi, c'est de rencontrer des gens. (...) C'est ma passion dans la vie. C'est vrai que la Mano, c'est une expérience qui m'a permis de voyager, ce que je ne pensais pas quand j'étais môme. Quand j'ai commencé à faire de la musique, je n'imaginais pas que ça allait m'ouvrir la porte des voyages. Ce fut le cas, maintenant je vais avoir 37 ans et j'ai beaucoup voyagé ; j'ai à peine vu un dixième de ce que je pourrais voir dans le monde dans toute ma vie. Il y a toujours cette inquiétude et ce goût de rencontrer des gens nouveaux et ce qui est difficile, c'est quand tu rencontres des gens, tu as toujours envie de leur présenter les gens que tu as connu ailleurs. Donc voilà mon envie, mon rêve, c'est un jour de pouvoir réunir tous les gens qui ont les yeux qui brillent et que j'ai rencontré dans le monde. C'est une utopie, mais on va y arriver.

AP : Clandestino a été enregistré chez vous dans votre home studio à Sèvres dans la région parisienne...
MC
: Oui à Sèvres et pendant les voyages...

AP : En effet, parce qu'on y trouve des témoignages sonores...
MC
: Oui, et puis on parlait des problèmes de la technologie, mais il y a aussi des avantages. J'ai enfin le studio dont j'ai rêvé toute ma vie, c'est un studio qui n'a pas besoin de rentrer dans la soute d'un avion, tu peux l'emmener en cabine avec toi et le trimbaler partout. Au début, il y a 7, 8 ans quand on enregistrait avec la Mano, c'était toujours un peu la dictature des grands studios, tu étais obligé d'aller dans un endroit qui n'était pas ta maison, qui n'était pas chez toi. Il fallait s'habituer aux règles de cette maison. Donc le musicien est un peu tributaire du technicien. Maintenant, c'est tout le contraire. A ce niveau-là, c'est vraiment super.

AP : Dans ce nouveau CD, il y a des textes en français, en espagnol, en anglais et même en wolof (langue parlée au Sénégal) !
MC
: J'ai enregistré ce passage sur place à Dakar...

AP : Et vous savez ce que raconte la chanteuse ?
MC
: Bien sûr, c'est moi qui ait écrit le texte ! "Le monde est ma maison / Bob Marley mon professeur / Et je vole et je vole et je vole".

AP : La boucle musicale de Je ne t'aime plus, vous a servi également pour Bongo Bong (reprise d'un titre de La Mano). Pourquoi avoir mis ces deux chansons sur le même tapis musical ?
MC
: Moi, je me sens vraiment comme un bricoleur musical. Je conçois la musique et le studio, c'est comme un lego. J'écris un bout de parole, un bout de texte, je prends ma guitare, si la mélodie ne sort pas, je recycle un bout de chanson, d'autres choses et c'est vraiment du lego. Recycleur, je recycle à tout bout de champ tout ce qui bouge, tous les bouts de mélodies.

AP : Et vous enchaînez tous les morceaux sur cet album.
MC
: Tous les titres sont enchaînés, il y a Bongo Bong qui est la même mélodie que Je ne t'aime plus. Il y a Mama call, c'est la même musique que La despedida. On était en train de mixer La despedida, j'ai écris un bout de chanson Mama call, paf on l'a enregistré, paf ! c'était mixé, allez en boîte ! J'aime bien chasser l'instant. Je n'ai plus de groupe, je ne travaille plus avec des gens comme ça. Je préfère la parole collective de gens différents.(...)

AP : On va le présenter ce groupe alors, qui est la chanteuse à vos côtés sur Je ne t'aime plus ?
MC
: Je ne t'aime plus, c'est Anouk.

AP : Avec qui vous avez travaillé pour son album je crois ?
MC
: Oui, elle a sorti un album chez Virgin. C'est ma sœur entre guillemets, on se connaît depuis des années, des années et des années et donc voilà, ça me fait bien plaisir qu'elle soit là.

AP : Il y a aussi votre frère Antoine qui est là.
MC
: Il y a Antoine qui est là, il y a Paco Navajas à qui on avait dédié le premier disque de La Mano.

AP : Le groupe vous manque ?
MC
: Le concept de groupe ne me manque pas, non, parce que je suis toujours en train de faire des choses avec des gens. Et je suis toujours en train de construire et de rêver des choses, c'est forcément avec des gens. Moi je crois que ma passion, c'est de rêver des choses dans un bar ou chez des gens et après de dire "voilà comment on va essayer de réaliser ça". Donc après le concept de groupe, c'est un peu restrictif parce que c'est sur le papier : voilà on est 12, on est 5 ou on est 4, je crois que ça ne me convient plus du tout. Nous, on fait des choses où un jour, nous sommes 2, un jour 8, un jour nous pouvons être 200 et ce n'est pas très important. Personnellement, je n'ai jamais considéré que dans le cadre de La Mano, on était 12 ou 15. Ce que je veux dire, c'est que tout le public faisait partie de La Mano. La Mano, c'était un groupe très très très large.

AP : Mais, c'est difficilement gérable quand on est sous contrat avec une maison de disques !
MC
: C'est des fois ingérable et puis d'ailleurs, je m'en excuse envers eux (rires!). Parfois, c'est un peu le souk dans les bureaux. Sans que ça soit forcément voulu. Mais bon je crois que au niveau de la boîte de disques, ils me font confiance.

AP : C'est un peu une histoire de couple entre un chanteur et une maison de disques parfois.
MC
: Oui, enfin je crois que c'est une relation importante. Je ne suis ni de ceux qui se laissent complètement manipuler par leur boîte de disques, ni de ceux qui disent : "la boîte de disques, c'est tous des cons". Je crois que dans une boîte de disques, il y a des gens intéressants, il y a des cons, comme dans un squatt, dans un groupe de rock ou comme n'importe où. La proportion de chacun, c'est la même à tous les étages de la société.

AP : Manu Chao, vous avez ces derniers temps une affection particulière pour l'Afrique ?
MC
: Oui, enfin, je commence à découvrir le continent africain. Je connaissais un peu toute l'Afrique du Nord, maintenant je suis en train de découvrir le reste de l'Afrique, ça donne le vertige. Autant l'Amérique du Sud m'a donnée le vertige longtemps, maintenant, c'est l'Afrique. Il y a un projet de monter un train entre Dakar et Bamako pour faire un spectacle. On est en train de plancher là-dessus avec les gens de "Caravane des quartiers". Il y a vraiment des envies de présenter des spectacles mais beaucoup plus larges qu'un simple concert. Je veux dire que ce qui se passe sur scène est moins important que le fait que les gens entrent dans un local, dans un endroit, dans un cirque, n'importe où, dans un quartier et où c'est la vibration générale qui fasse le spectacle, pas tellement ce qui ce passe sur scène.(...)

AP : Vous l'avez emprunté le train entre Dakar et Bamako ?
MC
: Bien sûr, oui.

AP : Combien de temps, met-on pour faire Dakar/Bamako en train ?
MC
: C'est 36 heures si tout va bien (rires !). Ca a été un peu plus long parce qu'il y avait un marabout dans le train, donc on s'arrêtait dans tous les villages pour la prière. On devait arriver à Bamako vers 7 h du soir, on a du arriver vers 2h du matin.

AP : Ciao, Manu !