Interview NTM

L'un des événements rap français de cette année fut la sortie du quatrième album de NTM, nous avons rencontré Kool Shen et Joey Starr.

Rencontre à l'occasion de la sortie de leur quatrième album.

L'un des événements rap français de cette année fut la sortie du quatrième album de NTM, nous avons rencontré Kool Shen et Joey Starr.

 

 

 RFI Musique : Pourquoi ne pas avoir donné de titre à cet album ?
KOOL SHEN : Parce qu'on n'avait pas vraiment un titre d'album qui pouvait résumer le truc. Comme d'habitude on fait des albums sans vraiment avoir de concept au départ, donc trouver un titre qui résume le tout, c'était pas évident cette fois-ci. On a donc préféré l'appeler Suprême NTM.

Le disque précédent s'appelait Paris sous les bombes, ça résumait donc bien ce CD qui était un concept album ?
KS
: On n'était pas parti sur un concept album, on trouvait que le titre résumait bien l'histoire et puis comme on a fait des graffitis, (c'est par là qu'on a commencé) c'était un peu une façon de rendre hommage aux gens qui font des graffitis encore aujourd'hui.

C'est aussi un hommage au passé lorsque vous chantez dans ce nouveau disque "C'est d'la bombe bébé" ou "...à base de popopopop"?
JOEY STARR
: Je crois que ça prouve surtout qu'on est resté les mêmes. Hommage au passé oui, on vit assez dans le passé, plutôt la nostalgie de ce qu'était pour nous le hip-hop au départ, on vit encore là-dessus, oui.

Est-ce que ça veut dire que le hip-hop est mort aujourd'hui ?
JS : Non, il n'est pas mort, mais les mentalités changent un peu, les optiques changent, nous on reste tel quel. Je crois que pour nous, le truc le plus grave qui pourrait nous arriver, c'est d'être blasés. C'est pour ça qu'on vit encore sur ces acquis-là.
KS : On a l'impression qu'aujourd'hui les gens qui prétendent faire du hip-hop, il y en a un petit paquet qui sont blasés et qui s'occupent simplement de faire des choses un peu formatées pour que ça se passe.

Quand on entend dans le morceau Seine-St Denis, "St Denis, St Denis", on imagine que lorsque vous êtes sur scène, ça doit beaucoup réagir dans la salle.
KS
: Ce morceau est devenu un des morceaux phares, vu qu'en plus, c'est le premier que l'on a extrait de l'album pour les radios. Puis bon, c'est St Denis quoi !

Saint-Denis, c'est en banlieue parisienne...
KS : Oh ben, ça peut être à la Réunion, c'est un état d'esprit, St Denis de la Réunion et puis partout où les Français ont colonisé, il y a un petit St Denis qui traîne, vu qu'il y a un St Pierre ou St çi un St ça.

Vous voyagez beaucoup tous les deux ?
JS : En ce moment pas mal, en France surtout.
KS : On commence à bien connaître la France.

Et hors de France ?
KS
: Pas énormément, là on va sûrement aller jouer en Suisse et en Belgique à la rentrée parce que ce sont des pays francophones. Le Canada sûrement, maintenant pour le boulot pas trop, à part New York quand on va bosser un peu.

Justement, vous avez masterisé cet album à New York, quels sont vos rapports avec le milieu hip hop new-yorkais ?
NTM : Pas énormes.

Vous ne croisez jamais de rappers là-bas ?
JS : On a fait un morceau avec un rapper new-yorkais, on ne peut pas dire que c'est une superbe expérience pour nous.

Pourquoi ?
JS : Comme on disait, nous on vit sur les acquis du hip-hop, et puis on s'est rendu compte que le type avec qui on avait bossé, c'était pas trop ça, c'était plutôt business, donc ça nous incite à rester chez nous.
KS : C'est pour ça qu'on dit "St Denis, St Denis".

Joey Starr, vous me dites que vous êtes restés les mêmes, que vous n'aviez pas bougé, mais est-ce que le discours a changé depuis le premier album ? Par exemple auriez-vous écrit Pose ton gun quand vous avez commencé ?
JS : Notre premier maxi s'appelait le Monde de demain, ça parlait déjà un peu (entre autres) de l'autodestruction dans les banlieues et puis ce qui pouvait se passer par rapport à la situation sociale, donc je crois que c'est une continuité encore aujourd'hui.

Certains journaux ont comparé le phénomène actuel NTM au mouvement de contestation de Mai 68. Lorsque l'on voit ce que sont devenus la plupart des soixante-huitards en 98, comment vous imaginez-vous dans 30 ans ?
KS
: Maire de Munich comme Cohn-Bendit (rires). (NDLR : adjoint au maire et conseiller municipal de Francfort)

Pourquoi pas après tout !
KS : Autant on vit dans le passé avec la nostalgie du hip-hop, autant franchement on se projette pas vraiment dans l'avenir et on vit les trucs au quotidien. Quand on a fait notre premier album, on ne pensait pas qu'on allait en faire quatre, on ne savait même pas qu'on allait en faire deux. Donc franchement, c'est une question très difficile, je ne sais pas.
JS : On a pas cet esprit révolutionnaire qu'avaient ces gens en Mai 68, nous on se bat plutôt contre l'individualisme et pour les nôtres, pour qu'ils aient l'impression d'exister au travers de l'exutoire qu'on peut être. Maintenant, ça ne va pas aussi loin et puis il n'y a plus cet esprit révolutionnaire, je crois qu'il n'existe plus trop, donc maintenant quant à se dire aujourd'hui, j'ai cette attitude-là, demain je serais...? Je crois que ce n'est pas du tout le même parallèle.

On a le sentiment que vous vous attardez plus sur les musiques qu'auparavant ?
KS : Je pense qu'aujourd'hui on sait un peu plus où on va, donc le choix des musiques on le fait par rapport à ce qu'on raconte, alors qu'avant, surtout parce qu'on avait des lacunes, je pense qu'on se choisissait un support musical qui ne collait pas forcément avec ce qu'on avait à raconter. Aujourd'hui comme on sait un peu plus faire de la musique justement, dans le choix des musiques, on essaie qu'il y ait une bonne osmose avec les paroles ; ce qui fait qu'on a l'impression peut-être qu'on est un peu plus musical et qu'on est un peu plus intransigeant avec la musique.

On trouve beaucoup de boucles avec du piano et du violon, ce sont des instruments que vous pratiquez ou que vous aimeriez pratiquer ?
JS : Je ne me sens pas l'âme d'un musicien.
KS : Moi je kiffe le piano, mais je ne suis vraiment pas musicien.

La discothèque de Joey Starr est-elle éclectique ?
JS : A mort ! Déjà, aujourd'hui, il faut savoir un truc, même sur un morceau comme Pose ton gun, la caisse claire peut venir de Chicago, le pied peut venir de Van Halen. Je sais qu'on fait aussi de la musique avec de l'orgue de Barbarie ou du Walt Disney, il n'y a pas de règles. Donc ça a une sonorité qui peut nous amener quelque part, enfin qui peut tenir sur nos supports musicaux, c'est pas un souci. Ce qui nous intéresse, je dirais, c'est le mood, c'est l'ambiance qu'apporte un instrument, pas ce qu'il est réellement.

Joey, pensez-vous que vous auriez pu écrire un texte come Laisse pas traîner ton fils à vos débuts ?
JS : Pour moi les morceaux comme le Monde de demain, J'appuie sur la gachette et il y en a d'autres, sont aussi introspectifs et je pense que ça n'avait pas autant été remarqué à l'époque, mais pour nous ça l'était autant. Puis je crois que de toute façon, c'est de la réaction pure et puis dans l'écriture, on se jette autant à corps perdu dedans que pour le reste. Pour nous le principal, c'est de faire avec ce que l'on a. On est touché quand on écoute ce texte quand même.
JS
: Euh....ben merci.

Ben de rien ! Apparemment la presse vous attend de pied ferme lorsqu'un nouvel album sort : "Le groupe leader de la scène rap française" pour Aujourd'hui, "le duo réputé le plus fauve du rap français", "l'incontournable groupe français" pour Rap & Ragga, "Un album qui fera date dans l'histoire du rap français" pour Rock & Folk et non Rap & Folk ! et "Cet album est un véritable pavé lancé dans notre société"...
JS
: Il y en a un qui dit qu'on sent le fauve ? !..Nous on est plus attachés à la critique des puristes et des gens qui nous écoutent depuis le début, parce que ce sont aussi ces gens-là qui disaient hier qu'on étaient des provocateurs et aujourd'hui des gens matures. Donc, on n'accorde pas trop d'importance à tout ça. On fait ce qu'on a à faire, c'est plus important pour nous.

Il y a un peu d'anglais dans That's my people, vous visez une carrière internationale ?
KS : Oui (rires)
JS : Non, ça correspondait juste à des cuts, c'est un truc de DJ et puis ça définissait ce qui est raconté dans les couplets. C'est plus pour une dynamique, qu'un souci de vouloir conquérir un autre marché, on a déjà assez à faire ici.

L'album est sorti en Finlande...
KS : Je viens de l'apprendre avant-hier.

A part les pays francophones, c'est le seul pays où il doit sortir hors de la France ?
KS
: Aujourd'hui, il n'y a que celui-là, mais il risque d'y avoir l'Allemagne rapidement et puis, peut-être d'autres si ça se décoince un petit peu.

En Belgique, en Suisse, NTM connaît une popularité aussi forte qu'en France ?
KS
: Proportionnellement aux nombres d'habitants, oui, il y a un petit succès d'estime au moins.

"I make music for my people" est un extrait de That's my people, Kool Shen, vous avez monté un label qui s'appelle For My People, c'est une référence au label ?
KS : Le label est venu après, en fait.

Vous avez monté tous les deux votre propre label, le but était de faire découvrir des jeunes talents, de donner des coups de pouce ?
KS : Oui, c'est pour continuer un peu ce que l'on a essayé de faire depuis le départ, à savoir du hip-hop, parce qu'aujourd'hui on a l'impression qu'il y a pas mal de gens qui sont dans le rap et pas vraiment dans le hip-hop. C'est à dire : on fait du rap, on chante de façon saccadée sur la musique, on appelle ça du rap. Nous on préfère qualifier ça du hip-hop. C'est à dire qu'il y a un peu plus de contenu, plutôt que la forme, et bien ces jeunes que l'on essaie de promouvoir aujourd'hui, ce sont des mecs qui déjà, n'ont pas besoin de nous pour briller, parce que ce sont déjà des gens qui ont un gros potentiel. Si nous on peut leur apporter le petit virage pour que ça aille un petit peu plus vite, c'est le but de la manœuvre.

Elle ne vous en veut pas votre maison de disques, d'avoir monté votre label chez une concurrente ?
KS : Si, si.

Alors ?
KS : Mais on ne nous propose pas à nous. De la part de Sony (ndlr : leur maison de disques), on ne m'a jamais proposé quoi que ce soit. On ne nous a pas offert d'opportunité donc, comme on nous ouvre les portes ailleurs et ben on y va.

Et pourtant Busta Flex (sur le label de Kool Shen, ndlr), vous l'avez rencontré dans un ascenseur chez Sony !
KS : Chez Sony, oui, il est en édition chez Sony donc voilà, par hasard.

Il y a Zoxea aussi dont vous vous occupez.
KS : Oui.

Alors quel est votre rôle précisément au sein de ce label ? Vous êtes directeur artistique. Vous allez en studio d'enregistrement. Vous êtes très directif.
KS : C'est un peu ça, oui.

Là, vous donnez des conseils ?
KS : Oui, j'essaie. Disons qu'on a quatre albums derrière nous, donc en studio on peut essayer de faire gagner du temps aux jeunes qui arrivent.

Joey Starr, vous aussi, vous avez monté votre label.
JS : Moi, c'est plutôt un label de production musicale, c'est à dire, ça ne se veut pas représenter une maison de disques. C'est plus par envie de faire des productions, ça va s'appeler "Boss of scandal", donc ça va être dans la lignée du nom. Nous c'est plus une envie de produire des titres, de faire des musiques. Parce que pour l'instant, monter une structure, comme on est un peu des roublards, ça va être un peu compliqué pour nous. Donc par rapport à ça on préfère rester dans notre cave, faire nos morceaux et puis tant que ça intéresse des gens, bosser avec, voilà.

J'ai lu Joey, que vous vouliez emmener tout le monde dans votre Benz (ndlr : voiture Mercedes) (Ma Benz est l'un des titres de ce nouveau CD) ?
JS : Oh ! Non pas trop non.

Alors, c'est faux ce que l'on peut lire dans les journaux ?
JS : Non, non, mais c'est comme pour la musique, il faut avoir des affinités avec moi.

D'accord !
JS
: Voilà, tous les gens qui sont en "guest" sur notre album, ce sont des gens avec qui on a des affinités et puis tous les gens qui posent leurs fesses dans ma voiture, c'est la même.

D'accord !
JS : Je ne prends personne en stop moi.

J'ai été très étonné par un de vos textes. Dans Je vise juste, vous dites "...pendant ce temps des pédés font sauter des bombes dans nos océans...", il y aurait-il de l'homophobie chez NTM ?
JS
: Non, quand on dit pédés, c'est pour dire que pendant ce temps-là, les gens qui sont censés se préoccuper un peu du sort des autres ne pensent qu'à leur gueule ou à ce que sera la France d'un point de vue économique mondialement. Voilà, quoi en gros ça dit ça, enfin à cet endroit-là.

Donc, les pédés pour vous c'est ça ?
JS : Oui.
KS : C'est notre jargon.

Donc, vous n'êtes pas homophobes ?
JS
: On aurait pu dire homosexuels, on a dit pédés.

Vous n'êtes pas homophobes ?(ter)
JS : Non à peine, non non je rigole, non pas du tout.

Est-il vrai qu'en studio, vous avez fait venir pas mal de personnes de votre maison de disques et que vous ne les avez pas lâché du studio tant qu'elles vous disaient que ce n'était pas bien ?
KS : Bien sûr, ça se passe tout le temps comme ça. C'est comme ça qu'on fonctionne. La maison de disques, elle arrive, malheureusement pour elle, une fois que c'est fini, vu qu'on rentre en studio sans maquette, ils constatent donc les dégâts à la fin. C'est comme ça que l'on a procédé depuis le début. Je pense qu'ils nous font confiance à ce niveau-là.

Il y a eu des bandes qui ont été perdues au départ, je crois ?
KS : Il y a même eu des titres qui ont été effacés notamment Pose ton gun et That's my people. C'est la technique, ça a des avantages, ça a aussi des inconvénients : les disquettes ça s'efface.
JS : C'est fait pour aller plus vite...
KS : Mais en voulant aller plus vite, on perd du temps !

Dans On est encore là, vous rappelez vos déboires avec la police, vos problèmes de condamnation...Le mensuel Rock & Folk a fait une liste des stars de la musique qui ont eu des ennuis avec la justice, on trouve par exemple : Axl Rose, Rick James, Snoop Doggy Dog, Tupac Shakur, Chuck Berry, James Brown, David Crosby, KRS One, Ike Turner, Ozzy Osbourne, Sid Vicious, Jim Morrison, Mick Jagger, Janis Joplin, Paul Mc Cartney, Jerry Garcia ou encore Keith Richards. Parmi ces noms, y en a t-il un dont vous vous sentez plus particulièrement proche ?
JS : Ah ben, il y en a pas mal, les Janis Joplin, KRS One...
KS : James Brown.
JS : Mais je sais que par exemple, KRS One, c'est plus pour s'être fait chopé avec un sac d'herbe pour lui. Il y en a pour qui c'est vachement différent.