New York à l'heure arabe
Plus de 5.000 personnes ont assisté au concert Vive la World dimanche 12 juillet dans le cadre du Summerstage Festival de Central Park, au cœur de Manhattan. Les organisateurs de Vive la World, les Français Hélène Gherman et Jean-Christophe Bauzat, proposaient au public new yorkais une affiche franco-arabe des plus excitantes : Taÿfa, l’Orchestre national de Barbès et Rachid Taha. Pari réussi !
Rachid Taha, Taÿfa et l’ONB enflamment Central Park
Plus de 5.000 personnes ont assisté au concert Vive la World dimanche 12 juillet dans le cadre du Summerstage Festival de Central Park, au cœur de Manhattan. Les organisateurs de Vive la World, les Français Hélène Gherman et Jean-Christophe Bauzat, proposaient au public new yorkais une affiche franco-arabe des plus excitantes : Taÿfa, l’Orchestre national de Barbès et Rachid Taha. Pari réussi !
Tous les étés, a lieu dans Central Park un festival gratuit, le Summerstage Festival, qui se propose d’offrir au public danse, musiques et littérature. Le succès et la qualité de l’événement ne se sont jamais taris et la variété de la programmation reste impressionnante. C’est ainsi que Hélène Gherman et Jean Christophe Bauzat au sein de leur petite compagnie basée à New York, European Connection, ont proposé au festival de fêter le 14 juillet avec de la world music « made in France ». New York a dit oui, puis Washington et Los Angeles où Vive la World se posera respectivement le 13 et le 16 juillet. Heureuse initiative dans un pays où les clichés sur la France sont en béton.
Après une première édition très réussie en 97(Cheb Mami, Alabina), les new-yorkais sont revenus en masse célébrer le « Bastille Day ». A l’image de la foule que l’on croise tous les dimanches dans le Park, le public rassemblait tous les âges, toutes les couleurs et tous les profils sociaux. Le petit détail en plus cet après-midi là, c’était les drapeaux et les T-shirts aux couleurs algériennes, les foulards autour des hanches, quelques youyous et même deux ou trois femmes en tchador. Le décor était jeté.
A 15 heures, ce sont les Taÿfa qui entament la danse avec leur fusion celto-kabyle qui prend immédiatement. Inutile d’attendre plusieurs chansons pour que de nombreux spectateurs se lèvent et dansent sans l’ombre d’un complexe. La bombarde de David, dernier arrivé dans le groupe, séduit sans doute la fibre irlandaise d’une large partie des new-yorkais et donne un air de fest-noz un tantinet surréaliste. Quant à Farid, le chanteur, il n’a pas de mal à chauffer les premiers rangs au son de sa voix puissante. Chaude ambiance sous un très chaud soleil. L’édition 98 de Vive la World est d’entrée une réussite.
Deuxième tête d’affiche : Rachid Taha. Planté devant la finale de la coupe du monde, entouré d’une large partie des musiciens tous groupes mélangés, le chanteur s’extrait de son fauteuil pour monter sur scène et enflammer un peu plus le parterre complet du festival. Entouré de six musiciens, il donne un court concert mais sa version de « Ya Rayah » donne une nouvelle raison au public de bouger les hanches façon Belly Dance. Le son plus dance de son répertoire accroche bien les oreilles locales et après le concert, ses albums s’arrachent sur le petit stand d’un gros vendeur de disques. Comme quoi, l’insuccès des artistes français aux Etats-Unis n’est peut-être pas une fatalité...
Enfin, alors que le soleil commence à décliner, l’Orchestre National de Barbès se prépare à assurer un final en or. Sur les coups de six heures, c’est en file indienne et au rythme des karkabous (castagnettes en fer) que pénètre sur scène une large partie des douze membres de l’ONB. Puis, mené par les quatre chanteurs en front de scène, c’est une vraie fête, un Diwan à grande échelle, qui finit d’enthousiasmer la foule toujours bien présente. Gnawas, châabi, arabo-andalou, raggamuffin, jazz, le mariage des musiques du Maghreb entre elles, puis avec des sons plus modernes, prend une saveur magique dans ce New York où les cultures les plus variées se croisent en permanence, à défaut de se métisser.
Mais qui est le plus à même de parler de l’ONB qu’un de ses fondateurs, le bassiste Youcef Boukella. Nous l’avons rencontré à New York. Il nous raconte un peu le parcours du groupe : Catherine Pouplain : C’est la première fois que vous venez jouer aux Etats-Unis. Animer un Diwan à New York, ce n’est pas un peu surréaliste ? Youcef Boukella : On ne fait pas vraiment un Diwân. Le Diwân est plus intime, plus familial, plus acoustique. CP : Le groupe Taÿfa fusionne des cultures différentes, ou apparemment. Tandis que vous, vous métissez des musiques d’Afrique du Nord, des musiques qui sont très cousines ? YB : Ces musiques sont en fait très différentes. En ce qui concerne Taÿfa, c’est vrai que les musiques celtes et kabyles, il fallait y penser. Mais ça colle complètement. On peut écouter des choses qui viennent du Brésil et qui ressemblent complètement à des choses marocaines, ou des musiques traditionnelles des Touaregs du sud de l’Algérie qui sonnent comme du blues à la John Lee Hooker. Je crois que les musiques ont beaucoup voyagé. Mais ce n’est finalement qu’un son mondial. CP : Et ces métissages, c’était un choix dès la naissance du groupe ? YB : C’est devenu un choix. Ça s’est monté sur scène avec beaucoup de musiciens différents. C’était très spontané en fait. On a découvert en jouant que c’était possible de mettre un saxo jazz avec un son gnawa, et une batterie rock avec un violon oriental. CP : En même temps, vous revendiquez beaucoup votre identité parisienne. Expliquez-nous un peu pourquoi Barbès (Quartier de Paris où vivent de nombreux immigrants . Ndlr) ? YB : L’identité parisienne, je crois qu’elle existe musicalement, et encore une fois, malgré toutes les différences qu’il y a dans Paris. Mais Barbès, c’est un quartier qui reflète toutes les cohabitations possibles entre les gens, et en tous, cas entre les musiques. C’est un truc magnifique qui arrive pour Paris. Il doit y avoir des quartiers comme ça dans le monde entier. Nous, on s’y plaît bien. CP : Vous êtes un des premiers groupes à avoir fait ces métissages entre musiques maghrébo-maghrébines. Est-ce que c’est votre différence avec les autres groupes franco-arabes ? YB : C’est vrai, que nous donnons beaucoup plus d’importance aux musiques traditionnelles. On voit qu’il se passe beaucoup de choses en ce moment, dans la techno, dans la dance. Et les gens qui remixent n’ont pas beaucoup de respect par rapport aux musiques traditionnelles. Alors que nous, on vient de ces musiques. Fateh, qui chante de la musique arabo-andalouse, a fait toutes les écoles de musiques arabo-andalouse pendant son enfance à Alger. Et Aziz, qui vient du Maroc, a fait une initiation chez les Gnawas pour bien connaître cette musique, savoir de quoi on parle. Ce qui fait que quand on décide de mélanger ça à du jazz, qui a aussi ses règles, ça n’est pas un hybride. On veut arriver à faire des fusions sans que les styles musicaux n’en patissent. CP : Vous n’avez pas envie d’étendre votre terrain d’inspiration à l’Egypte et au Moyen Orient pour faire une fusion de toutes les cultures arabes ? YB : La musique maghrébine est très différente de la musique orientale qui est beaucoup plus riche. C’est une autre manière d’aborder la musique. Au Maghreb, c’est plus le groove, le rythme, la fête. Alors qu’en orient, c’est plus l’extase. Ce sont des gens qui adorent le verbe, la poésie. La civilisation arabe vient du Moyen Orient. Alors que nous, on est un peuple plus mélangé à l’Afrique, rythmiquement en tous cas. On a pas eu cette grande civilisation qu’ont eu les Egyptiens. Pour faire une fusion musicale, il faudrait déjà qu’on arrive à parler la même langue musicale. On a déjà beaucoup de mal à trouver cette homogénéité du son maghrébin. Ça peut durer des années. Comme ont fait les Jamaïcains avec le reggae qui n’était pas à l’origine le reggae de maintenant. Les Brésiliens ont aussi réussi à trouver un son brésilien. CP : Comment vous êtes-vous retrouvés autant sur scène ? YB : Parce que Barbès, c’est ça ! Le Maghreb est très différent. Ça fait 10 ans qu’on joue ensemble, et chacun avait déjà fait des disques solo ou avec d’autres groupes. On a commencé par faire des bœufs entre nous, et le groupe s’est formé. On a trouvé l’expérience intéressante. CP : Et pourquoi votre premier album fut un album live ? YB : Parce que le groupe s’est formé vraiment en live. Il y a eu très très peu de répétitions au départ. Le premier concert était au New Morning à Paris. C’était carrément un boeuf avec tous ces musiciens. Maintenant, nous sommes un peu structurés sur scène. Mais au départ, c’était vraiment le « free » total. On abordait un thème, et on improvisait. On a voulu aborder les musiques de chez nous un peu différemment comme l’ont fait les Africains, les Zaïrois, ou même les groupes de rock des années 70, avec des solos de guitare qui duraient des heures.
CP : Dans vos textes, vous n’abordez pas beaucoup la politique ? YB : Dans ce groupe, il y des Marocains, des Algériens, certains sont nés là-bas, d’autres ici, d’autres sont de la Charente, un de Caen, un est Antillais. Puis, un est chrétien. Ceux qui sont musulmans pratiquent ou non. Donc, on ne peut pas afficher tout ça. De plus, ce n’est pas forcément important pour le public qu’on dénonce des choses, qu’on insulte des gens, qu’on pleurniche. Un concert peut donc être pour eux l’occasion d’avoir une petite note d’espoir, de positiver. CP : Comment réagissent les générations plus âgées à ce que vous faites ? YB : C’est super parce qu’ils nous encouragent vraiment. Notamment, quand on a repris des chansons d’anciens compositeurs maghrébins issus de la première génération venue en France. Autrefois, on les musiciens immigrés vivaient différemment l’immigration. Ils étaient parqués dans des chambres d’hôtel et parlaient à peine français. Ils avaient encore ce complexe des colonisés. La guerre était encore proche. Et musicalement, les maisons de disques ne s’intéressaient pas du tout à eux. Ils jouaient dans les cafés à Barbès, un symbole pour nous. Ces gens-là nous ont remerciés alors que nous-mêmes allions les voir pour les remercier. Ils nous encouragent et sentent que leur travail n’est pas vain. CP : Y aura t’il un album studio ? YB : Il y en aura qui sera à moitié studio ? On n’aimerait pas perdre ce côté live parce que l’ONB est avant tout un groupe de scène. Mais on fera aussi des choses en studio. Une autre expérience entre nous.