TAYFA A NEW YORK

De passage à New York pour la tournée " Vive la World " (cf. article " New York à l'heure arabe " dans nos archives), les deux fondateurs du groupe Taÿfa nous parlent de leur travail:

Entretien celto-kabyle Entretien celto-kabyle

De passage à New York pour la tournée " Vive la World " (cf. article " New York à l'heure arabe " dans nos archives), les deux fondateurs du groupe Taÿfa nous parlent de leur travail:

Catherine Pouplain : C'est la première fois que vous venez jouer aux Etats-Unis. Est-ce que vous avez une idée du public qui va venir vous écouter à Central Park ?
Farid Aït-Siameur : Ce dont on est sûrs, c'est que les communautés arabes et maghrébines se reconnaîtront autant que les communautés celtiques parce que notre musique est le mélange des deux. Depuis des années qu'on fait cette musique, on pense avoir réussi à mélanger ces deux cultures musicales. Je pense que maintenant la fusion est correcte pour parler de fusion celto-berbère. Mais la résumer simplement avec le mot " celto-berbère " ne suffit pas. Il y a des années de travail derrière et depuis plus de dix ans qu'on fait cette musique, on avance, on avance, et je crois qu'on arrive à quelque chose.
Jacques Moreau: Oui, je crois qu'on a dépassé le stade de la similitude entre les deux cultures. On a un travail qui commence à être abouti. On arrive maintenant à faire une musique avec les deux. Donc ce qui est intéressant en venant ici, c'est que les gens qui ne connaissent pas vraiment les deux et qui entendront notre musique, peuvent découvrir quelque chose qui vient d'ailleurs, mais qui, pour eux, n'est pas forcément un mélange de deux cultures. CP : Vous parlez de votre musique comme d'une recherche ?
JM : Oui, mais le travail de recherche, comme le disait Farid, on l'a fait il y a déjà longtemps puisque Taÿfa existe depuis 92. Avant, il y a eu des recherches avec d'autres groupes, d'autres noms. Le groupe actuel est l'aboutissement de cette recherche. On a trouvé les éléments qu'il fallait, les musiciens qu'il fallait pour que l'état d'esprit de recherche soit toujours présent. Et je crois que là, on arrive à la quintessence de l'histoire.
CP : Justement, la raison d'être de Taÿfa est cette volonté de fusion. Mais ces deux cultures celte et berbère sont-elles vraiment si différentes ?
JM : C'est vrai, il y a plein de similitudes notamment rythmiques et mélodiques. Depuis peu de temps, on a intégré dans le groupe un musicien qui joue de plusieurs instruments traditionnels bretons. Farid, tu diras mieux que moi le nom des instruments kabyles qui ressemblent aux instruments bretons ? FAS : Il y a deux instruments principaux qui sont très proches. D'une part, la gayta qu'on trouve en Galice et en Afrique du nord qui est très proche de la bombarde bretonne. Et l'autre, est le bendir (petit tambour. Ndlr) qu'on retrouve plutôt en Irlande sous le nom de bodran. Ces deux instruments sont très cousins, se tiennent de la même façon et sont frappés de la même façon. Cependant, le bodran est souvent utilisé avec une baguette avec des petites boules aux extrémités et le bendir est utilisé à la main. Mais ces instruments sont proches, et on les retrouve avec nous sur scène. David Pasquier utilise une bombarde, et aussi une lombarde qui est très très proche de la gaÿta.
CP : Dans une de vos chansons en berbère, vous évoquez l'Ankou qui est une figure présente dans la mythologie bretonne ?
FAS Oui, l'Ankou désigne la mort. Et qu'elle soit évoquée en Bretagne sous ce nom-là ou en berbère, la signification est la même. Cette chanson était un hommage à deux écrivains. Un est breton et s'appelle Pierre Jakes-Helias, et l'autre, Mouloud Feraoun, est kabyle. Tous les deux étaient de grands francophones dans leur écriture, mais avec une culture respective bretonne et kabyle très forte aussi. A travers la langue française, ils l'ont exprimé d'une façon très personnelle d'où l'hommage que j'ai choisi de leur rendre.
CP : Les cultures d'Afrique du nord, et en particulier en Algérie, sont déjà le résultat de métissages ancestraux. Vous avez l'impression de continuer dans cette voix ?
FAS: Les musiques évoluent. Depuis que je suis en Bretagne, je ne suis plus le même. J'ai grandi dans une tradition purement algéroise, kabyle et andalouse en même temps. Maintenant, une autre culture est en train de déteindre en moi. Cette culture celtique me fait vibrer aussi, me donne des joies. Certains trouvent cette musique celtique monotone. Mais moi, j'y retrouve des choses qui m'interpellent autant que la musique traditionnelle de chez moi. CP : Quel est l'apport de l'Afrique noire dans les musiques d'Afrique du nord et dans votre travail ?
JM : En fait, j'ai accompagné pendant plus de dix ans une danseuse togolaise. J'ai donc beaucoup voyagé en Afrique et travaillé sur le djembé, une percussion de l'Afrique de l'ouest. Donc l'apport noir africain dans le groupe, c'est le breton qui l'amène. C'est un peu bizarre. En revanche, on a un autre apport depuis que José Larreceta est avec nous à la guitare depuis un peu plus d'un an maintenant. Il est asturien et les Asturies (région du nord-ouest de l'Espagne. Ndlr) sont celtes aussi. Il nous apporte donc un côté hispanisant et andalou, que Farid a bien connu, et que l'on retrouve sur deux morceaux dans l'album.
CP : Il y a déjà eu une expérience afro-celte avec " Afro Celt Sound System " (Virgin, 1996) ?
JM : Oui, je connais un peu. Mais c'est plus " music-machine ", plus techno. Ce sont des machines qui tournent. Nous, on met un point d'honneur à faire de la musique avec des instruments. Mais j'ai écouté l'album et c'est bien.
CP : Vous avez joué en Algérie en 92 ? Quel accueil avez-vous eu ?
FAS : Je préfère que ce soit plutôt Jacques qui en parle.
JM : On était en Kabylie, à Bedjaïa, dans la région d'où était originaire Matoub Lounes. On a joué dans un théâtre pendant une semaine. L'accueil fut superbe. Le dépaysement fut pour nous, bretons, aussi grand que celui que l'on vit actuellement à New York.
CP : Vous disiez tout à l'heure que votre travail de recherche était derrière vous. N'y a t'il plus rien à explorer ?
JM : Si, bien sûr. On connaît maintenant les clés de la fusion. Mais il faut qu'on avance dans la composition, dans le mélange de tous les membres du groupe. Tout le monde doit apporter quelque chose. Notre bassiste est Antillais, donc il nous apporte un côté rythmique très intéressant. Notre batteur travaille autant les rythmiques modernes que traditionnelles. Donc, on a vraiment envie d'avancer. Farid et moi avons les clés, et on doit les mettre en application avec le groupe.
New York, 11.07.98