LE SON FRANÇAIS AUX USA

Si Mireille Mathieu a attiré 3500 personnes en 1997 à Los Angeles, la présence musicale française aux Etats-Unis s'est pourtant sérieusement rajeunie et diversifiée depuis quelques années. Les Américains semblent se laisser doucement séduire par des productions musicales venues de France. Il ne s'agit pas de crier Victoire ! Tout ce qui se passe en matière de musiques françaises - chanson, électronique et world - est une goutte d'eau bien modeste dans le paysage musical américain mais très honorable au vu de la concurrence locale. Rares sont les Américains qui peuvent citer le nom d'un chanteur français autre que Piaf ou Chevalier. Mais aujourd'hui, il est évident que labels, médias et publics jettent un oeil fort curieux vers les plus jeunes générations.

Où en est l'industrie musicale française outre-Atlantique ?

Si Mireille Mathieu a attiré 3500 personnes en 1997 à Los Angeles, la présence musicale française aux Etats-Unis s'est pourtant sérieusement rajeunie et diversifiée depuis quelques années. Les Américains semblent se laisser doucement séduire par des productions musicales venues de France. Il ne s'agit pas de crier Victoire ! Tout ce qui se passe en matière de musiques françaises - chanson, électronique et world - est une goutte d'eau bien modeste dans le paysage musical américain mais très honorable au vu de la concurrence locale. Rares sont les Américains qui peuvent citer le nom d'un chanteur français autre que Piaf ou Chevalier. Mais aujourd'hui, il est évident que labels, médias et publics jettent un oeil fort curieux vers les plus jeunes générations.

LA FIN DES CLICHÉS

Aujourd'hui, un Français aux Etats-Unis se sent moins dépaysé sur le plan musical qu'il y a quelques années. Il n'est pas rare au détour d'une conversation, sur les murs d'une grande ville, à la radio ou dans les bacs des disquaires de constater que les Américains ont enfin réalisé que Piaf avait fait des "petits".

C'est vrai, le phénomène demeure modeste. Après l'impressionnante percée des Gipsy Kings il y a une dizaine d'années (qui encore aujourd'hui remplissent les 16.000 places du Hollywood Bowl de Los Angeles), rares sont les francophones qui ont suivi le même chemin. Au début des années 90, Patricia Kaas a connu son heure de gloire avec tournée nationale et large couverture médiatique dans les plus grands journaux ou émissions de télévision les plus populaires. Mais, une telle réussite demeure quasi-impossible sans un énorme investissement humain et financier dont très peu de francophones bénéficient aux USA. La simple étiquette 'made-in-France' ne suffit pas à attirer les foules américaines, loin de là.
Même, le groupe Autour de Lucie qui, depuis plus d'un an maintenant, y fait un "petit" malheur, n'atteint pas un tel niveau de notoriété. Pourtant, le groupe a tourné à une échelle nationale et a bénéficié d'une couverture médiatique sans précédent pour de jeunes Français. Selon Hélène Gherman, productrice française à New York et organisatrice du festival Vive la World : "La chanson française en tant que telle, chantée en français, ne pénètre quasiment pas les Etats-Unis (…). Autour de Lucie est un cas isolé. Ceci dit, si il y en a un, il peut y en avoir plusieurs."

QU'EST-CE QUI MARCHE ?

Pour identifier ce qui marche, il faut plutôt se tourner vers les musiques électroniques et la world music. La chanson française a toujours connu un petit succès qui puise sa force dans les clichés. Piaf et Aznavour font toujours recette, Gainsbourg a effectué une percée remarquable depuis un an ou deux, Brel et Ferré se maintiennent. Pour les plus jeunes, c'est plus difficile et de rares noms ont fait parler d'eux dans les années passées. Citons MC Solaar, Daho, les Rita Mitsouko ou Guesch Patti. En juin 98, dans les bacs nouveautés françaises du grand disquaire Tower Records, on trouvait Dalida et Obispo…

Mais, il est flagrant que les musiques électroniques plaisent. Air ou Dimitri From Paris se sont taillés une certaine notoriété sur la scène techno outre-Atlantique. DJ Cam est en tournée cet été du 7 au 23 août et Pills prend le relais le 27 octobre. De plus, le musée Guggenheim de New York organise en octobre une soirée consacrée à l'électronique française.
Il y a trois ans, le groupe Deep Forest, dans un genre techno-world, a connu un succès certain dans les boites new-yorkaises avec le simple "Sweet Lullaby".

Mais le vrai carton se situe sur le marché de la world music. Dans ce domaine, on parle d'artistes français (l'ONB, Rachid Taha) mais aussi de non-Français qui travaillent et sont produits en France. C'est le cas de nombreux artistes africains. Ces artistes là attirent de vraies foules. Et des initiatives franco-africaines comme le festival Africa Fête qui tourne aux USA depuis 93, réunit chaque année un immense public. Cette année, Salif Keïta , Papa Wemba et Cheikh Lô ont traversé plus d'une vingtaine de villes américaines, ce que rarement un Français a fait. Quant au festival Vive la World! créé par Hélène Gherman et Jean-Christophe Bauzat en 97, il a traversé trois villes en 98 (New York, Washington et Los Angeles) avec une affiche franco-arabe (Rachid Taha, l'ONB et Taÿfa) qui a attiré jusqu'à 3.500 personnes à Los Angeles le 16 juillet.
En outre, la tournée du Camerounais Henri Dikongué au printemps sur la côte Ouest a bien marché et une autre Camerounaise, Sally Nyolo, va se produire dans plus d'une quarantaine de villes américaines entre août et octobre.

En revanche, le rock a un peu de la peine à se faire une place mais ce n'est sans doute pas assez exotique pour les Américains. Quant au rap, si les producteurs français sont très respectés, l'importance de la langue et des textes freine sans doute la percée des interprètes.

POURQUOI CA MARCHE ? POURQUOI PAS MIEUX ?

Les raisons des difficultés à investir le marché américain sont multiples. Bien sûr, le protectionnisme culturel n'a jamais aiguillé la curiosité des Américains hors des clichés. Selon Hélène Gherman, "Le marché américain est assez imperméable aux langues étrangères dans le domaine musical".

Si la world music et les musiques électroniques marchent mieux, c'est que la barrière de la langue est moindre. L'attrait de la world music tient plus à des traditions et des rythmes qu'à des textes. Et pour l'électronique, le problème ne se pose même pas. Quant à la chanson, ceux qui s'y intéressent sont souvent des francophiles amoureux de la langue de Prévert. Selon Hélène Gherman, "autant il y a une imperméabilité de la masse de la population, autant quand un Américain est féru de chanson française, il connaît le sujet sur le bout des doigts. Il y a alors un enthousiasme qu'on ne trouve plus forcément dans le public français. Lors de la tournée des Nouvelles Polyphonies Corses, il y avait des 'standing ovations' tous les soirs. Les gens ne voulaient pas partir."

Enfin le succès de la world music issue de France ou de pays francophones tient aussi à son aspect communautaire très évocateur aux Etats-Unis. La tournée Vive la World cette année a attiré un public arabe qu'on ne voit guère dans les autres concerts. Quant aux tournées Africa Fête, elles touchent une large audience afro-américaine. Le public américain est en outre très sensible aux métissages des cultures au sein d'une même formation. Tom Schnabel, animateur de l'émission "Café L.A." sur la radio KCRW n'a pas hésité à comparer l'ONB à l'équipe de France de football !

QUI TOURNE ?

Organiser la tournée d'un artiste français aux USA demeure encore complexe. Hélène Gherman : "Je suis à peu près la seule qui fait ça sur la côte Est. Si c'était facile, on serait plus nombreux. C'est difficile, mais possible. Il faut y croire et se retirer de la tête l'idée d'y faire fortune. Ça c'est impossible".

Avis renforcé par Erwan de Kerautem, attaché culturel au Consulat de France de Los Angeles : "La concurrence est rude. Les barrières économiques et administratives existent (problèmes de visas). Mais il y a aussi des raisons liées aux stratégies des Majors. Même si certains artistes français peuvent trouver un public, il faut convaincre la filiale, prendre des risque financiers. Enfin certains artistes sont trop exigeants sur le montant du cachet pour s'exporter (…). Les conditions de la réussite sont : un partage des risques financiers (cachets très bas et pourcentage des recettes, une identité forte de l'artiste, un accompagnement musical irréprochable, et l'organisation des concerts dans des clubs de taille moyenne (200 à 300 places). (…) L'objectif est d'intéresser les professionnels notamment si l'artiste n'est pas encore sous licence aux Etats-Unis. "

Il y a deux sortes de tournées : la tournée de promotion à toute petite échelle pour tester le marché. Si celle-ci est concluante, une tournée publique est mise en place.

De plus en plus d'artistes français ou world music sont en outre sous licence américaine, condition qui facilite l'organisation d'une tournée et permet de bénéficier d'une couverture médiatique. Le label Tinder Records est un de ceux qui s'intéressent à cette nouvelle clientèle et compte parmi ses dernières signatures, Henri Dikongué, Sally Nyolo, Rachid Taha, l'ONB ou Fatal Mambo. Cependant, un artiste sans licence américaine comme Arthur H a effectué une excellente tournée en avril 98 (une dizaine de dates).

Il est important de remarquer que les chanteurs français attirent un public en majorité franco-français. La promotion et le bouche à oreille sont bien sûr très forts dans la communauté de langue française. Quant au public américain qui fréquente ces concerts, c'est plutôt un public déjà initié.

LA DISTRIBUTION

Comme nous le dit Erwan de Kerautem : "Si les disques sont dans les bacs, c'est qu'ils doivent se vendre". Mais, les chiffres ne dépassent guère quelques milliers d'exemplaires et les 10.000 albums écoulés d'Henri Dikongué ou les 9.000 d'Autour de Lucie sont des chiffres assez rares. Citons tout de même le chiffre exceptionnel de 200.000 exemplaires vendus réalisé par Daft Punk !
Petit à petit, les labels français misent plus fréquemment sur des sorties américaines. A côté des Damia et ou autre Charles Trenet que l'on trouve sans problème aux Etats-Unis, on voit de plus en plus les Daho, Kaas, Obispo ou bientôt Florent Pagny.

La distribution des productions françaises aux Etats-Unis est de plus relayée aujourd'hui par les grands magasins spécialisés. Depuis leur installation sur le territoire américain en 93, les Virgin Megastore (une quinzaine de magasins en 98), ont joué un rôle moteur dans la diffusion des productions françaises surtout en Californie où se trouvent la moitié des magasins. De là, s'est enclenchée une concurrence très profitable avec les magasins du même type dont le géant Tower Records (25 magasins).

LES MEDIAS

Le rôle des médias est évidemment essentiel dans la promotion de la production musicale française. Les grands journaux locaux, New York Times ou Los Angeles Times, couvrent à peu près systématiquement la venue d'artistes français. Hors des mégalopoles, c'est plus rare sauf lorsqu'un journaliste porte un intérêt particulier au sujet. C'est le cas à Détroit où Dan Rosenberg, journaliste dans les plus importants journaux locaux, est à l'affût des programmations francophone et world music. D'où une couverture assurée dans cette zone, mais ceci n'est pas une généralité.

En revanche, la radio tient une place de choix dans ce que Erwan de Kerautem appelle "la visibilité de l'industrie musicale française". En tête, la station publique KCRW basée dans le sud de la Californie, fait un effort exceptionnel pour programmer tous les aspects de cette production. Plusieurs dizaines d'artistes différents produits en France y sont programmées chaque mois. Au mois d'août, on peut entendre, toutes playlists confondues, Zap Mama, Baaba Maal, Mighty Bop, Manu Chao ou Air. Quant à l'émission de Tom Schnabel, "Café L.A.", c'est un rendez-vous majeur pour les fans de musiques françaises.
Ces programmations séduisent bien sûr les distributeurs français. Mais le plus intéressant, c'est qu'elles drainent un plus large public américain vers la production francophone.

CONCLUSION

A la fin du concert de Rachid Taha à Central Park le 12 juillet dans le cadre du festival Vive la World!, les disques du chanteur français d'origine algérienne, se sont arrachés comme des petits pains.
Lorsque le musicien TR Wolf est allé assister, pour RFI Musique, au concert d'Arthur H à Washington en avril (cf. Archives du Petit Journal) en ignorant tout de cet artiste, il en est sorti très satisfait.

Ces deux exemples confirment que les productions françaises, tous domaines confondus, ont toutes les qualités pour trouver un public aux Etats-Unis. La réussite d'un artiste français a toujours été considérée comme exceptionnelle. Mais en moins d'un an, la situation a évolué dans une direction inédite : l'industrie musicale française existe désormais à plein temps et non plus de façon ponctuelle. C'est sur la côte Ouest, en Californie, que s'opère dernièrement un mouvement plus visible. C'est là que les énergies et les moyens sont les plus percutants. Le marché américain est finalement une terre vierge pour les Français. Tout reste à faire. Le défi n'en est que plus excitant pour les professionnels comme pour le public.

Catherine Pouplain

Avec la collaboration précieuse de :
Hélène Gherman, productrice et organisatrice de concerts au sein de la société European Connection à New York. Créatrice du festival Vive la World!
Erwan de Kerautem, attaché culturel au Consulat de France de Los Angeles. Auteur du rapport "Los Angeles : porte d'entrée de l'industrie musicale française aux Etats-Unis".