Dieu du stade
L'événement musical de la rentrée, c'était Johnny Hallyday au Stade de France, les 5, 6 et 11 septembre. Gloire nationale et incarnation du rock à la française, il prouve une fois de plus son extraordinaire longévité.
Johnny Hallyday au Stade de France
L'événement musical de la rentrée, c'était Johnny Hallyday au Stade de France, les 5, 6 et 11 septembre. Gloire nationale et incarnation du rock à la française, il prouve une fois de plus son extraordinaire longévité.
Chanter au Stade de France, seuls les Stones l'avaient fait avant lui. Le remplir trois soirs de suite, personne ne s'y était risqué. Un événement à la hauteur des ambitions, chaque fois un peu plus grandioses et coûteuses, de la rock star. Mais qui s'en plaindrait ? En tous les cas, pas les 80 000 fans venus l'écouter samedi dernier... Même Jacques Chirac était de la partie (mais sans blouson noir). Son défi, l'idole des jeunes l'a relevé majestueusement. Une scène de 3500 m2, un décor post-industriel, deux gigantesques murs d'enceinte, une route, un pont-levis... Et si le décollage fut un pétard mouillé (reporté pour cause de trombes d'eau), cette seconde date reçut une pluie d'applaudissements. Dès les premières minutes, spectaculaires.
Toute la musique qu'on aime
La mécanique est parfaitement huilée. Debout sur un disque géant, le "chanteur abandonné" glisse vers le centre du stade pour y enchaîner "Retiens la nuit", "Laura", "Si j'étais un charpentier", "J'ai oublié de vivre"... parfois entrecoupés de ses désormais célèbres "Ouh !". Car qu'on se le dise : Johnny reste un enfant naturel d'Elvis, dont le visage traverse de temps en temps l'écran géant. C'est donc en pur rockeur, juché sur une énorme Harley bleue électrique, qu'il hurle son "Gabrielle" repris par un stade en délire.
La "rock'n'roll attitude" de Johnny, on la connaît depuis longtemps. Mais après trente-cinq ans de carrière, il parvient encore à bluffer son monde. D'abord, en s'entourant d'un orchestre symphonique et de 400 choristes en aube (!). Ensuite, en invitant une poignée d'artistes à le rejoindre le temps d'un duo. Choix guidé par un seul leitmotiv : leurs qualités vocales. Choix judicieux avec Pascal Obispo, Jean-Jacques Goldman ou Patrick Bruel. Et franchement époustouflant quand Florent Pagny, à la voix exceptionnelle, nous offre une très belle interprétation du "Pénitencier", ou quand la Belgo-québécoise Lara Fabian entonne avec la star un poignant "Requiem pour un fou". L'émotion devant aussi beaucoup à la puissance des musiciens classiques et des choristes. Au point qu'on regrette que l'orchestre ne soit pas davantage sollicité.
Et même si certains sont un peu déroutés, Johnny a alors largement gagné son pari. Bien avant qu'il revienne une dernière fois interpréter une chanson d'Aznavour, il a définitivement mis le feu dans le coeur et le corps des spectateurs. D'autant qu'après trois heures de concert, le ciel de Saint-Denis s'embrase dans une gigantesque apothéose d'effets spéciaux, de lasers et de feux d'artifice. Son prochain défi ? "Chanter sur la lune, qui sait"...
P.H.
Humeur et commentaire
Pour qui a le redoutable privilège d'avoir grandi dans les années soixante avec les premiers succès de Johnny Hallyday, il y a matière à perplexité dans cette Johnnymania qui s'est soudain emparée de la France en général, et du Stade de France en particulier.
Certes, et tous les sondages le prouvent, notre beau pays vit depuis le Mondial une période d'optimisme béat dont on chercherait en vain l'équivalent dans le passé. Sous Jeanne d'Arc, peut-être ? Certes, cet état de grâce nous porte à toutes les indulgences, au risque d'ailleurs de perdre ce bon vieux côté râleur que le monde entier nous envie.
Dans ce contexte, on est donc tout à fait disposé à accorder à Monsieur Smet le droit de vivre.Tout au long de ces trente dernières années, il n'a du reste jamais manqué de fans, et on lui souhaite que les prochaines décennies lui soient aussi douces.
S'il en faut donc pour tous les goûts, on peut en revanche s'interroger sur les raisons qui poussent quatre-vingt mille personnes, deux soirs de suite (c'eût pu être trois si, vendredi, la pluie n'avait éteint le feu) à venir applaudir l'éternelle idole des jeunes… et des moins jeunes.
Car enfin, Jojo n'est ni grunge, ni techno, ni house ; encore moins rap ou ragga. A l'autre bout de l'échelle, il n'est pas non plus "chanson française", dans la grande tradition que pleurent les nostalgiques de Brassens, Brel, ou Barbara.
Alors, il est quoi ? Rock, répondent en chœur les inconditionnels. Ah bon ? Mais il nous semblait que, jusqu'à une période récente, tous les rockeux ne voyaient en Hallyday qu'un erzatz de rocker, une caricature de Springsteen ?…
Ne cherchez pas. Johnny Hallyday, à sa manière, transcende les étiquettes. Il est tout simplement le plus petit dénominateur commun entre les papys nostalgiques, les jeunes fatigués par l'électronique froide, la ménagère-de-moins-de-cinquante-ans qui achète les compils, et les gamins qui savent bien que leurs boys bands ne chantent qu'en play-back.
Car, sur scène, Hallyday existe. Et fort. Il y a quelques années, cela était une évidence pour n'importe quel artiste ou groupe normalement constitué. Aujourd'hui, le marketing et les home-studios ont rendu la chose exceptionnelle. C'est à croire que seuls les quinquagénaires comme Johnny ou Jagger savent que la ferveur du public se gagne aussi par la sueur.
Il reste qu'il ne faut pas se tromper sur l'analyse. Et vous, qui nous lisez à l'étranger, le savez bien : Johhny Hallyday est inconnu hors de nos frontières, parce qu'il ne représente en rien la créativité française. Il n'est pas normal qu'en 1998 il soit le seul à pouvoir remplir le Stade de France.
JJD