LES MUSICALES DE BASTIA

La beauté d'un festival se reconnaît à trois choses : l'originalité de sa programmation, sa cohérence, et sa convivialité. Les Musicales de Bastia, du 14 au 18 octobre dernier, ont réuni tout cela. En se tournant résolument vers le sud.

Corsica Sacra

La beauté d'un festival se reconnaît à trois choses : l'originalité de sa programmation, sa cohérence, et sa convivialité. Les Musicales de Bastia, du 14 au 18 octobre dernier, ont réuni tout cela. En se tournant résolument vers le sud.

Sous le soleil de la Corse, près de la lagune, du vignoble de Patrimonio et des champs de pruniers, entre les virages montagneux et le Muscat (éviter les deux ensemble), les festivaliers auront eu tout le loisir de goûter l'éclectisme des dernières Musicales de Bastia. Car si sur l'île on parle et on chante le corse, on y aura aussi entendu cette année beaucoup de catalan, de créole, de kabyle, d'espagnol, de portugais et d'anglais (celui du Tennessee). Rarement le terme de variétés n'aura sonné si juste. Et pourtant, si le festival conserve la richesse qui l'a toujours caractérisé, il décide désormais de se recentrer. Son thème : le sud. Et pas seulement le méditerranéen. Celui qui va de la musique baroque aux musiques du monde, de la chanson au jazz, des polyphonies au blues. Le sud d'une Cesaria Evora à la nonchalance désarmante, d'un Passi pas si tendre, d'un Arturo Sandoval à la trompette mi-cubaine mi-jazzy, d'une Jackie Micaelli envoûtante, d'un Nilda Fernandez très applaudi, d'une Dee Dee Bridgewater venue reprendre les grands titres d'Ella Fitzgerald ou d'un Georges Moustaki toujours aussi zen, qui aura conclu le festival en beauté.

Des voix nouvelles

Seulement cinq jours de festivités, et beaucoup de grosses pointures. Restait encore à découvrir ceux qui le deviendront peut-être un jour. Le duo vocal Wab-Y-Mad, d'abord. Vous pensez qu'il y a une bande et une boîte à rythme pour les accompagner ? Des musiciens planqués en coulisses ? Et bien, vous pensez mal. Toute cette musique, ces sons de batterie, de guitare, de cuivres, sortent de leurs bouches. Un vrai orchestre à eux seuls, sans rien dans les mains. Un chant a capella parfaitement rodé, qui retrace les standards de la soul, du reggae ou du rap. Wab-Y-Mad aura réussi son entrée en matière, en première partie de Passi. Les adolescents, dont beaucoup venaient pour la première fois au théâtre, en ont oublié de vociférer. Ils se seront largement rattrapés avec le rappeur de Sarcelles.
Philippe Forcioli, lui, Marseillais de naissance et Corse de père, fait tout autre chose. Un poète qui chante. Avec lui, l'ambiance devient feutrée, bucolique, les fleurs et les oiseaux sont le terreau de ses textes et Brassens, son maître spirituel.

Les lauriers de Cesaria

Ni dieu ni maître en revanche pour Césaria Evora, la mama du Cap-Vert qui arrive sur scène en trottinant, et à qui les Bastiais ont adressé une véritable ovation. Comme partout où elle chante. Et là comme ailleurs, pas de mondanités : Césaria commence très vite, avec une coladeira, "Sangue di Beirona", puis enchaîne les succès. "Miss Perfumado", Cabo Verde", "Papa Joachim Paris". Reviennent souvent dans les textes en créole ces mots de saudade, tristesa... que tout le monde peut aisément comprendre... Cesaria chante, toujours juste, son île de São Vicente. Se cherche une contenance entre les chansons... et réussit toujours à transmettre de l'émotion brute. Quand elle s'en retourne griller une cigarette devant sa petite table éclairée, Bau, son guitariste et chef d'orchestre fait la démonstration de son talent au cavaquinho.

L'âme corse

Restera enfin dans la mémoire des festivaliers le beau souvenir de Jackie Micaelli. L'âme du chant corse. Certainement la plus belle voix féminine de l'île. Mezzo-soprano de renom, c'est dans l'église baroque de St Charles que ses chants sacrés et profanes auront trouvé toute leur authenticité. Quant à sa version corse de "Summertime" de Gershwin, soutenue par l'ensemble instrumental Cantus Firmus, elle n'aura fait qu'emporter un peu plus l'enthousiasme des fidèles.

Pascale Hamon