Valérie Lagrange

Seul l'amour est révolutionnaire : telle pourrait être la devise de Valérie Lagrange. L'intégrale des années Virgin, qui sort aujourd'hui, nous le prouve, titre après titre, guitares nerveuses et reggae à l'appui. Quant à l'inédit qui l'accompagne, "Au coeur de l'amour", il proclame, simplement : "On ne peut plus vivre sans amour/ On est près du jour/ Où il faudra bien/ Que ça casse"...

Au coeur de l'amour

Seul l'amour est révolutionnaire : telle pourrait être la devise de Valérie Lagrange. L'intégrale des années Virgin, qui sort aujourd'hui, nous le prouve, titre après titre, guitares nerveuses et reggae à l'appui. Quant à l'inédit qui l'accompagne, "Au coeur de l'amour", il proclame, simplement : "On ne peut plus vivre sans amour/ On est près du jour/ Où il faudra bien/ Que ça casse"...

"Voyager est pour moi un besoin vital. J'ai besoin d'expansion, d'aller ailleurs, d'aller voir. Quand j'avais vingt-huit ans, j'ai vécu en Inde. J'y ai vu des choses révoltantes et d'autres sublimes. L'horreur et la grâce totale. Les ghâts de Bénarès, là où est concentrée toute la folie sainte des Indiens, resteront gravés en moi... Mon rêve serait d'être toujours partie, sur les routes". Ce credo, Valérie Lagrange le retrouve, après un long silence discographique, dans son nouveau single, "Au coeur de l'amour". Atmosphère techno-berbèro-indienne, tablas et chants kabyles, guitare-sitar électrique jouée par Pierre Chérèze. Et la Voix...

Reggae

Produit par Georges Baux, compositeur du très beau "Minha selva" de Lavilliers, "Au coeur de l'amour" est un morceau écrit par Valérie et son compagnon Ian Jelfs en 1988. "Je suis tombée dessus en réécoutant d'anciennes bandes, précise Valérie, et le côté oriental de la mélodie m'a de nouveau séduite. Alors, j'ai réécrit un texte". Valérie Lagrange et Ian Jelfs apparaissent dans le paysage rock en 1980 : Valérie est alors la premier artiste française à signer un contrat avec le tout nouveau label britannique Virgin. Son titre-phare de 80, "Faut plus me la faire", emporte tout sur son passage : déchaînement de voix et de guitare au refrain, reggae pure ganja pour le reste. Les rythmes de la Jamaïque, Valérie les utilise dès 1977 comme base d'un de ses morceaux, "Si ma chanson pouvait" : "Je connais le reggae depuis 1971 grâce à des amis australiens qui étaient venus chez moi avec un disque de Marley. Ian et moi nous n'écoutions que ça : il était normal qu'on en trouve des échos sur notre premier album."

Cinéma

Avec "Faut plus me la faire", Valérie Lagrange, en 1980, entre dans sa troisième vie. Car il fut un temps, après la seconde guerre mondiale, où elle s'appelait encore Danièle Charaudeau et vivait, dans le 18ème arrondissement de Paris, avec ses parents quincailliers. Sa mère voulait qu'elle apprenne le piano, elle rêvait de danse. Elle fit donc ses huit ans de piano. En 1959, Claude Autant-Lara, digne réalisateur de l'ancienne vague, la remarque dans une audition. Danièle n'a que dix-sept ans, mais déjà les plus beaux yeux du monde. Autant-Lara l'engage aussitôt pour "La jument verte" : Valérie Lagrange est née. Dans la douleur : "Autant-Lara était un tyran, un goujat. J'avais des spasmes de peur, le matin, avant d'aller tourner." Commence alors, et jusqu'en 1966, la première vie de Valérie : celle de la jeune vedette de cinéma, dirigée par Jacques Deray, Philippe De Broca, Claude Lelouch et Jean-Luc Godard. Excusez du peu.

Chanson

Mais la chanson est là, désir encore inassouvi : Valérie parle aujourd'hui de "variétés" à propos de cette époque. Ses années 64-68 lui permettront pourtant d'interpréter des textes de Pierre Barouh, Francis Lai et - toujours là quand une jolie jeune fille commence à chanter - Serge Gainsbourg. C'est d'ailleurs lui qui offre à Valérie son premier succès, "La guérilla", en 1964. Déjà un titre sur des musiques venues d'ailleurs : "Je jouais avec Los Incas. J'ai ensuite tourné pendant trois ans avec eux. J'ai toujours aimé toutes les musiques du monde. Parce que ce sont des musiques très anciennes et très pures."

Amour, pureté, révolte, tels sont les maîtres-mots de Valérie Lagrange, puisés à des sources diverses : mai 68 ("le désir d'effacer tout et de recommencer à zéro"), le bouddhisme, le voyage. Entre 1968 et 1971, Valérie séjourne à l'étranger : Rome, puis la Nouvelle-Guinée, en pays papou, pour tourner La Vallée, de Barbet Shroeder. Enfin, sur le chemin du retour, l'Inde et l'incontournable Népal.

Rock

C'est à Paris, en 1972, que Valérie rencontre Ian Jelfs, brillant guitariste anglais. Ensemble, ils tournent avec Graeme Allwright avant de prendre le virage rock et, très simplement, de faire la manche, chantant Dylan et les Stones aux terrasses des cafés : miracle de 68 et de l'amour conjugués... Les copains de l'époque se nomment Jacques Higelin, Louis Bertignac et Jean-Louis Aubert, tous avant le succès des années 75 et suivantes. L'expérience accumulée par Valérie va doucement la pousser vers sa troisième vie : l'album "Faut plus me la faire", en 1980. Enorme succès. Dès 1981, toujours chez Virgin, paraît un nouvel album rempli de fureurs électriques, le fondamental "Chez moi", illustré d'un masque africain stylisé.

Epreuves

En septembre 1984, émue aux larmes par un reportage de la BBC sur le camp de Korem, Valérie Lagrange décide de partir en guerre contre la famine en Ethiopie. Avec l'aide de Renaud, elle lance Chanteurs sans frontières en février 85. Le succès du titre collectif "Ethiopie" permet à Médecins sans frontières de recevoir, deux mois à peine après sa sortie, dix millions de francs. En juillet 1985, Valérie part vérifier sur place l'utilisation des fonds : "J'ai passé une semaine là-bas. La mort. Partout. Et je ne pouvais rien faire. Je me suis auto-insensibilisée. Mais quand je suis rentrée, plus rien n'avait de sens, pas même l'enregistrement de mon quatrième album, qui commençait quinze jours après."

Ce quatrième album sera le dernier des années rock de Valérie Lagrange et Ian Jelfs. Le monde de la marchandise a rattrapé ses lutins libertaires. En 1989, Valérie retrouve cependant le cinéma pour "Mes nuits sont plus belles que vos jours", de Zulawski. Mais quelques semaines après, une terrible overdose suivie de coma laisse Ian quasiment tétraplégique. Pendant cinq ans, Valérie retrouve l'anonymat pour, jour après jour, le faire progresser vers la guérison. Le faire marcher de nouveau. Aujourd'hui Ian va mieux et Valérie a encore tant de choses à dire...

Jean-Claude Demari

Double album "Au coeur de l'amour" (Intégrale 32 titres/Virgin, 724384663124).