Africolor (bis)
Africolor victime de son succès. Son Noël mandingue, considéré comme la nuit des griots, s'est tenu à guichets fermés le 24 décembre dernier. 1300 entrées selon ses organisateurs pour une salle de 700 places. Un formidable succès. Qui démontre par A+B que la caste menacée des maîtres de la parole n'a pas fini de nous surprendre.
Noël hypno-rythmique pour griots
Africolor victime de son succès. Son Noël mandingue, considéré comme la nuit des griots, s'est tenu à guichets fermés le 24 décembre dernier. 1300 entrées selon ses organisateurs pour une salle de 700 places. Un formidable succès. Qui démontre par A+B que la caste menacée des maîtres de la parole n'a pas fini de nous surprendre.
Car les griots sont une caste en voie de disparition. Dans un monde où sévissent l'écrit et le virtuel, les maîtres de la parole succombent de plus en plus au mercantilisme triomphant de la musique. Et à moins d'un miracle, la fonction sociale qui leur revenait jusqu'alors va lentement se laisser engloutir par le temps et ses caprices. Traditionnellement, le griot ou djeli est celui qui détient la parole ancestrale. Il est à la fois musicien et chanteur, poète et courtisan, historien et gardien de la morale ou encore journaliste et bouffon. Les faits les plus saillants de la société, c'est lui qui les rapporte. La grande épopée des empires mandingues ou bien les grandes lignées familiales, c'est lui qui les dessine. A l'aide de sa kora (une harpe-luth à 21 cordes), de son ngoni (une guitare) et de sa voix, toujours puissante et remarquable. Un art de l'oralité qui se doit d'être raffiné. Un art qui a toujours reçu une place particulière dans la programmation du festival Africolor.
La dixième édition, en invitant quelques unes des meilleures voix du genre, prouve ainsi qu'il existe encore des espaces susceptibles de contribuer à la continuation d'un art séculaire qui a certainement besoin de se renouveler en douceur... sous peine de disparition. Les djeli présents à la nuit de Noël du Théâtre Gérard-Philipe (Amy Koïta, Abdoulaye Diabaté, Bassey Kone...) se distinguent tous par la manière avec laquelle ils arrivent à marier les principes acquis auprès de leurs ancêtres (on est griot de père en fils ou fille) et les exigences actuelles du métier d'artiste. Sur scène, on continue à les couvrir de billets de banques à mesure qu'ils alignent des louanges en déclinant la généalogie d'une famille malienne par exemple (c'est l'une des attractions de ce Noël mandingue à Saint-Denis). Mais ces artistes sont aussi conscients du fait que leur public déborde désormais l'axe communautaire. Il s'agit d'un public cosmopolite qui réagit uniquement à leur talent d'interprète.
La difficulté consiste en fait à ne pas perdre au change. Abdoulaye Diabaté, pour ne citer que lui, a trouvé une formule intermédiaire. Parallèlement à son orchestre dit moderne, il mène un projet qui lui est très cher avec son fils aîné, son frère et l'une de ses filles, qui consiste à fonder un groupe de djeli à l'ancienne. La modernité, d'accord ! Mais sans se renier. Un projet qu'il pourra mener grâce en partie à sa carrière d'artiste. Cette nuit de Noël rentre donc dans cette dynamique heureuse qui permet à un art, issu de l'oralité, de se perpétuer sous des formes nouvelles. Ceci dit, si tout le monde a été excellent sur scène cette nuit-là, la diva du Wassoulou, Nahawa Doumbia (photo), reste celle qui a le plus surpris le public. Elle, la reine du didadi (son rythme de prédilection), qui n'est pas djelimousso (griot au féminin) mais qui défend son art du chant avec autant de force vient d'avancer une piste sur laquelle devrait réfléchir un certain nombre de griots à la recherche d'un nouveau souffle.
Elle s'est effectivement lancée dans une expérience inédite, avec deux créations que le public d'Africolor a beaucoup apprécié : l'une avec Claude Barthélémy, excellent guitariste de jazz, et l'autre avec Frédéric Galliano, DJ techno funambule. Un pari d'enfer. Passe encore pour le guitariste, ce n'est probablement pas une première dans le genre, bien qu'il soit important de souligner ici que cette rencontre réussie préfigure la sortie de son prochain album en mars, un bel album semble-t-il sur lequel Barthélémy signe tous les arrangements. Mais faire dialoguer le didadi avec de la techno, voilà une complexe affaire comme seuls savent en provoquer les artistes qui ne s'endorment pas sur leurs lauriers. De la techno, rejeton urbain de l'univers stressé des pays du Nord saluant une musique du Sud, supposée plus chaleureuse. Epatante mais risquée, la rencontre avec Galliano pouvait laisser sceptique le public de Nahawa. Habituellement, certains as du genre samplent du son afro et le régurgite en machin complètement standardisé. Là, ce n'était pas le cas. Car Galliano sur ses manettes s'est complètement intégré à la formation de la malienne. Aucun diktat de beat. Ses trouvailles hypno-rythmiques savent s'effacer et revenir en respectant l'ensemble. Nahawa et son timbre fabuleux. Ses musiciens. Son Xylophone surtout improvisé MC vers la fin du spectacle. Un déluge de sons entremêlés qui s'est fini sur un sourire innocemment ravageur de la part de Nahawa, pendant que le public en redemandait. A quand l'album ?