LE RETOUR D'ALLIANCE ETHNIK
Après trois années d'absence, le rap cool et alerte d'Alliance Ethnik revient sur le devant de la scène grâce à un nouvel album à fortes consonances américaines, "Fat come back".
K-Mel rassemble sa tribu
Après trois années d'absence, le rap cool et alerte d'Alliance Ethnik revient sur le devant de la scène grâce à un nouvel album à fortes consonances américaines, "Fat come back".
Le silence prolongé d'Alliance Ethnik fut aussi assourdissant que le tapage médiatique dont ils avaient été l'objet en 1995. Cette année-là, le premier album du groupe, "Simple et funky", impose une formule rap mâtiné de funk agréée en masse par le public : le disque se vend à plus de 400 000 exemplaires en France et accouche de trois singles ("Respect", "Honesty et jalousie", "Simple et funky"), dont les ventes cumulées vont atteindre le million.
A l'époque, jamais le premier album d'un groupe ou d'un artiste de rap français n'avait d'entrée, décroché un disque de platine. Personne, dans l'univers musical, ne peut alors ignorer Alliance Ethnik, qui multiplie les prestations scéniques alors que sévit sur les ondes et dans la presse un intense matraquage. Même la très anglo-saxonne MTV Europe programme les clips, un privilège unique pour des rappeurs français, partagé seulement à l'époque par le consensuel (et peu funky) MC Solaar. Les membres du combo de Creil, dans l'Oise, quittent subitement les feux de l'actualité pour faire le point et se ressourcer, sans toutefois rester inactifs. Le rappeur K-Mel jouera ainsi au cinéma, fera des duos (dont un avec Cheb Mami) et produira de jeunes artistes (Gutsie, Faster Jay), tandis que Crazy B. reprendra sa carrière de DJ, récemment couronnée par un titre de vice-champion du monde DMC pour la quatrième fois d'affilée. Tout le monde se retrouve ensuite pour poser les bases d'un retour digne de ce nom, capable d'asseoir une crédibilité tout en conservant les faveurs du grand public.
Creil, mon Amérique à moi
Le retour d'Alliance Ethnik (en studio une bonne partie de l'année dernière) est officiellement fixé au mardi 12 janvier 1999, date de sortie commerciale de leur très attendu deuxième album : "Fat come back" (Delabel/Virgin). La première impression est qu'Alliance Ethnik n'a heureusement pas tenté de resservir une nouvelle mouture tiède de "Simple et funky". Plus dur et toujours dansant, le son s'américanise plus encore, sous la férule du légendaire producteur Prince Charles Alexander, qui connaît décidément bien le rap français depuis ses collaborations avec les Marseillais d'IAM et Oxmo Puccino, des artistes Delabel tout comme Alliance Ethnik. La boucle est bouclée.
Autres artisans du son de "Fat come back" : James Staub (Pete Rock) et le groupe lui-même. Cette ligne, K-Mel, le leader charismatique de cette Alliance fédératrice, la défend crânement : "C'est un album américanisé, et on en est fier. On avait été les premiers à aller chercher un ingénieur américain, Bob Power en l'occurrence, ce que tout le monde a fait ensuite. Cette fois, on s'offre des featurings américains qui nous tiennent à cœur, des gens avec qui on a des affinités musicales, et qui ne sont pas forcément à la page aujourd'hui". C'est le cas de Biz Markie, "bible" du rap new-yorkais, invité sur le titre "Fat come back", où les bons vieux scratches années 80 crissent inlassablement sur un beat à la Sugarhill Gang, à qui la tonalité dominante de l'album emprunte beaucoup. Outre Biz Markie, les portes du studio sont restées grandes ouvertes à une brochette d'invités spéciaux : Youssou N'Dour (sur le morceau "Un enfant doit vivre"), De La Soul (pour "Star track"), Common (un maître de cérémonie réputé à Chicago présent sur "Jam"), et la fidèle Vinia Mojica, déjà présente sur le premier album.
Alliance Ethnik défend toujours une conception musicale du rap. Jamais K-Mel, dont le flow est inimitable, n'a eu débit si varié. Sans prétention, les textes des 14 chansons (entrecoupées d'interludes réclamant notamment la participation des comiques Gad Elmaleh et Djamel Debousse) oscillent entre observation du quotidien, dérision et analyse personnelle comme ce "Creil city" qui, avec ses nappes de synthé en boucle, sonne comme un "Metropolis" rap. K-Mel et les siens, qui s'avouent plus matures, insufflent à ces compositions pourtant frétillantes un caractère moins débridé et guilleret que leurs réalisations antérieures. En résumé, "Fat come back", c'est moins simple mais toujours aussi funky.
Groupe de scène depuis sa formation aux premières lueurs de la décennie 90, Alliance Ethnik viendra défendre cette production efficace et taillée sur mesure pour le succès qu'est "Fat come back" lors d'une tournée en deux phases, un petit bout au printemps, le reste à l'automne. Se faire désirer est visiblement tout un art.
Gilles Rio