NANA MOUSKOURI AU QUÉBEC

Au soir du 27 janvier, au pays des grands froids, une voix s'est glissée dans un Grand Théâtre comble, portée très certainement par une brise discrète. A l'automne passé, les fans de Nana Mouskouri l'avaient attendue mais un malaise physique avait rendu la rencontre impossible. Les mois ont passé et la température a chuté, mais les fans n'ont pas oublié et tous, sans exception, l'hiver, ils ont bravé. Les routes, les maisons et les arbres sont de glace mais la froidure si intense dehors, ne parvient pas à refroidir les 1.864 personnes attentives et impatientes venues retrouver une idole qui depuis 40 ans semble ne pas vouloir perdre cet enthousiasme propre à la jeunesse et cette candeur, cette sérénité qui nous donne l'impression qu'elle est encore la jeune femme qui chantait "C'est bon la vie" ou "Au coeur de septembre".

Le bonheur est sur scène

Au soir du 27 janvier, au pays des grands froids, une voix s'est glissée dans un Grand Théâtre comble, portée très certainement par une brise discrète. A l'automne passé, les fans de Nana Mouskouri l'avaient attendue mais un malaise physique avait rendu la rencontre impossible. Les mois ont passé et la température a chuté, mais les fans n'ont pas oublié et tous, sans exception, l'hiver, ils ont bravé. Les routes, les maisons et les arbres sont de glace mais la froidure si intense dehors, ne parvient pas à refroidir les 1.864 personnes attentives et impatientes venues retrouver une idole qui depuis 40 ans semble ne pas vouloir perdre cet enthousiasme propre à la jeunesse et cette candeur, cette sérénité qui nous donne l'impression qu'elle est encore la jeune femme qui chantait "C'est bon la vie" ou "Au coeur de septembre".

Au premier coup d'œil, on constate que le public est âgé et il faut chercher avec insistance avant de trouver enfin des têtes moins grises, noyées ici et là mais pas pour autant mal à l'aise dans cette assistance d'amis de longue date. Avec ses 200 millions de disques vendus et plus de 300 disques d'or, platine et diamant, Nana Mouskouri est certainement l'une des grandes vedettes internationales de la chanson dite populaire mais ce succès n'a en rien gâté sa légendaire simplicité et cette timidité désarmante que le public du Grand Théâtre accueille triomphalement dès l'apparition de La Voix.

Nulle autre voix n'a cette couleur, cette texture en partie imputable à l'absence d'une seconde corde vocale. Elle est unique. Elle agresse ou bien elle captive mais personne ne reste insensible. Impossible aussi de la confondre avec une autre, sa voix est marquée, elle est son identité. Ce soir elle chantera en anglais, en grec, en italien, en espagnol, en allemand et bien entendu en français. Elle s'est toujours fait un devoir de rejoindre les gens dans leur langue, leurs racines profondes. C'est sans doute pourquoi, en 1965, lors de sa première visite chez nous, elle chanta "Un Canadien errant", tout comme elle a repris en France le fameux "Temps des cerises" en 1963.

Son âme, Nana Mouskouri n'hésite jamais à la mettre à nu à chaque fois qu'elle chante et ce soir encore, avec des succès comme "L'enfant au tambour", "Plaisir d'amour" et "L'amour en héritage", elle fait vibrer la salle. La première partie est empreinte de douceur et il faut attendre le second volet pour découvrir une Nana jazz avec des reprises de grandes chansons de films comme le fameux couplet de Montand, " C'est une chanson qui nous ressemble… Toi qui m'aimais, toi qui m'aimait…".

Et oui, notre Nana mondiale sait encore nous surprendre, surtout quand elle se lâche dans des répertoires jazz ou gospel. Mais la surprise de la soirée est arrivée en seconde partie de programme. Toute une surprise. Si grande que je ne sais pas s'il est raisonnable de vous la dévoiler maintenant. Après tout, vous n'étiez pas là ! Le méritez-vous vraiment ?! Pouvez-vous réellement comprendre notre étonnement quand une Nana tremblotante et émue, nous présenta la jeune femme avec laquelle elle venait de nous interpréter magistralement quelques grands covers (standards, ndlr) du répertoire grec et américain. La belle et longiligne choriste, dont la voix rappelle celle de Nana Mouskouri, mais en plus égale et plus fine, n'est autre que... sa fille Helen ! Les poumons nous ont manqué, les masques à oxygène itou, mais comme me le rappelait très justement ma voisine du siège 42 : "on n'est pas dans un avion"…
Chanteuse donc de mère en fille, la relève se prépare et elle a du talent. Helen suit sa célèbre mère depuis le début de la tournée et survole avec elle, 40 ans de carrière avec une présence remarquable.

Toutefois, le spectacle n'est pas LE Spectacle de l'année. Les éclairages sont très classiques, la voix parfois inégale et on ne peut pas dire de Nana Mouskouri qu'elle est un boute-en-train, mais on n'attend pas non plus de cette grande dame de la chanson qu'elle bouge comme Sporty Spice. La technique n'offre pas non plus une qualité d'écoute bien confortable et digne de la star. La musique prend, hélas, trop souvent le pas sur la voix. A noter malgré tout la bonne performance des six musiciens et en particulier celle de Philippe, le monsieur sait-tout-faire qui nous a offert un duo voix et saxo très apprécié.

Nana Mouskouri n'a rien perdu de sa passion, c'est ce qui ressort nettement de cette soirée qui loin d'être mémorable, restera malgré tout un bon moment, il faut au moins avoir vu une fois dans sa vie Nana Mouskouri sur scène pour savoir et comprendre ce qu'est une chanteuse heureuse.

Mais ce n'est pas fini !! Pour le site RFI MUSIQUE, Pascal Evans a rencontré Nana Mouskouri. Entretien :

Votre première visite au Québec, c'est à un Américain que vous la devez et pas n'importe lequel ?
Oui, c'est vrai, il y a déjà 34 ans. C'était Harry Belafonte qui m'avait proposé de participer à un spectacle qu'il donnait à Montréal en 1965. Vous n'étiez pas né encore. A l'époque, je préparais un album de grandes chansons américaines avec Quincy Jones et l'orchestre de Torrie Zitoe, "The Girl From Greece Sings" et ce voyage au Québec était un peu imprévu. Mais quand je suis arrivé à Montréal, je me suis aperçue que j'étais un petit peu connu du public canadien et après le spectacle avec Harry, on m'a proposé de revenir chanter toute seule et je suis revenu deux ans après avec mes musiciens pour faire un récital. C'était très sympathique, il y avait beaucoup d'enthousiasme.

Cela fait exactement 40 ans que vous chantez à travers la planète. Vous avez à votre actif plus de 150 albums, plus de 200 millions d'albums vendus et plus de 300 disques d'or, platine et diamant. Qu'est ce qui fait que vous ayez toujours cette même envie de continuer après tout ça alors que les stars d'aujourd'hui craquent, que les années sabbatiques sont plus nombreuses que jamais. Céline arrête tout à la fin 99 pour deux ou trois ans et cela seulement après 18 de travail et Nana Mouskouri ne semble pas vouloir s'arrêter. Quelle est votre source d'énergie ?
Moi j'ai grandi dans une autre époque. Céline, je la comprends très bien. La vie aujourd'hui est beaucoup plus frénétique qu'avant et puis il y a cette compétition qui pousse les artistes actuels à atteindre le top à tout prix et à produire des numéros un. Mais la descente est inévitable. Moi, en 40 ans de carrière, j'ai malgré tout eu le temps de faire des enfants, j'ai un fils de 30 ans comme vous et une fille de 27 ans. J'ai fait mes enfants entre les tournées et les enregistrements et pendant sept ans, ils m'ont accompagné partout dans le monde avec une nurse pour s'occuper d'eux pendant mes spectacles. On a vécu toute une vie ensemble. Il me semble que c'était une période plus raisonnable, alors qu'aujourd'hui il faut s'imposer et évidemment on fait beaucoup plus d'effort pour y parvenir. Mais le succès ne suit pas forcément toujours. Les gens écoutaient nettement plus les chansons, maintenant les choses sont vites remplacées.

Votre répertoire est sensiblement marqué par trois thèmes importants : l'amour, la tolérance et la paix. Avec cette enfance passée dans une Grèce occupée par les nazis, il ne pouvait pas en être autrement ?
Cette période a été très marquante forcément et c'est la raison pour laquelle, par la suite, j'ai suivi le travail des organisations pour la défense de l'enfance ou des gens défavorisés. J'ai vécu une partie de mon enfance en pensant que le monde était plein de haine et qu'il n'y avait pas d'amour. Et j'ai voulu prouver dans ma vie que l'amour et la paix existent. A travers mes chansons, je l'ai cherché et trouvé grâce au public qui m'a conforté dans cette quête de l'amour. Je crois qu'en chantant un peu partout, je veux satisfaire l'enfant que j'étais et qui n'a pas reçu tout l'amour qu'il était en droit de recevoir.

La paix est une fois de plus le thème de votre dernier album "Concert for Peace" qui a été endisqué (enregistré, ndlr) dans un des plus beaux endroits de New York, la Cathédrale de St John the Divine ?
"Concert for Peace" est d'ailleurs le seul album que j'ai fait aux Etats-Unis. J'en ai fait en Allemagne, en France et en Angleterre mais jamais là-bas. Vous savez la paix c'est comme l'amour, ce n'est rien de matériel. Il faut le chercher et le cultiver. Il faut le faire évoluer et le protéger. Il faut le nourrir. Je crois qu'aujourd'hui, on pense tellement plus au pouvoir économique, au pouvoir égoïste qu'on néglige les vraies choses. Les enfants arrivent très innocents dans la vie et on les conditionne et les élève avec de fausses valeurs, ils sont en train de perdre leurs racines et c'est pourquoi je chante la paix. Même si nous ne sommes pas très nombreux à le faire, ça suffit parce qu'on a quand même touché quelques personnes.
Mais il ne faut pas arrêter. Une seule chanson fait souvent beaucoup plus de bien que n'importe quelle belle promesse. Quand j'ai chanté dans cette magnifique église, j'étais très impressionnée de chanter devant des gens de confessions différentes réunis autour de la musique. Ça m'a beaucoup touchée et même le lendemain, je pouvais sentir chez les gens que je rencontrais que quelque chose était différent.

Vous étonnez par le nombre d'album enregistré et vendu, par cette naïveté toute enfantine face au métier et cela même après 40 ans de carrière. Est-ce que cela vous faire rire d'être un sujet perpétuel d'étonnement ? Une espèce un peu rare dans ce métier ?
Je suis étonnée mais dans un sens je peux comprendre qu'on se pose toutes ces questions parce que je suis une fille très timide, je ne suis pas très "fashion" (mode, ndlr). Je ne fais pas beaucoup d'effet. Je ne suis pas quelqu'un de très sexy. Oui, je suis étonnée de recevoir autant d'amour du public. Ma satisfaction de chanter est tellement grande que finalement, je partage énormément avec le public. Il y a énormément de gens qui sont comme moi dans la salle et j'existe grâce à eux. Je suis arrivé à une époque ou il y avait l'éclatement du rock et j'ai vécu parallèlement en même temps. Et je crois que ça m'a beaucoup apportée. Je ne suis pas restée dans mon coin.

Y a t'il une voix actuelle qui vous touche plus particulièrement ?
Vous savez il y a beaucoup de bonnes chanteuses, Céline a toujours merveilleusement chanté. D'ailleurs, je trouve son travail pour parvenir à cette réussite, extraordinaire, tout à fait incroyable, surtout dans un milieu qui ne fait pas de cadeau. Elle a du lutter énormément. Dernièrement, j'ai assisté au spectacle de "Notre Dame de Paris" et il y a plein de jeunes artistes merveilleux. Daniel Lavoie que j'ai toujours adoré et celui qui interprète Quasimodo, Garou à une voix magnifique. Moi j'ai appris beaucoup des artistes canadiens et le monde aujourd'hui est plus à l'écoute de ce qui se fait chez vous.

J'ai l'impression que vous n'avez jamais fait de concessions sur ce que vous souhaitiez chanter et plus largement sur ce que vous étiez et continuez d'être? C'est rare.
C'est très rare. Pour moi, c'était important ce que je chantais et pourquoi je le chantais. Les concessions, tu les fais quand tu vises quelque chose, je n'ai jamais désiré être une star mais c'est vrai que je gagne ma vie comme ça. Mais dès le départ, ce qui a dominé c'était chanter en étant honnête avec moi-même. Je suis restée telle que je suis et je n'ai pas cédé aux pressions, à la gloire parce que je respecte trop le public et puis j'aime tellement ce que je fais.

Si vous deviez résumer votre vie avec vos propres mots ou avec ceux empruntés à un autre, à un poète et en grec par exemple, que diriez-vous de ces 40 ans de chansons ?
Avant de vous répondre je veux vous dire que chanter m'a permis de faire beaucoup d'autres choses. Par exemple, de m'occuper des enfants handicapés. Je travaille aussi avec l'Unicef et avec mon siège de députée au parlement européen, je fais en sorte d'aider de jeunes artistes. Je suis passionnée par la jeunesse et son avenir. Je crois que ce qui est important, c'est d'avoir un symbole pour soi-même pour vous guider. Moi dans ma vie, j'ai eu la chance de connaître un grand poète grec, Nikos Gatsos qui m'a toujours appris, sans m'influencer ou m'imposer ses pensées, à aller chercher une certaine vérité dans la vie. La chanson qui m'a marquée, et qui était en réalité un petit poème de lui, une des premières que j'ai interprétées, disait ceci : "Chartino to fengaraki pseftiki i akrooyalia an me pisteues ligalci thassan ola alithina", ce qui signifie et qui résume parfaitement ma vie, "La lune peut être en papier, la plage peut être imaginaire mais si on y croit, tout peut être réalité. Il ne faut jamais se lasser de chercher la vérité, l'espoir, la paix et l'amour dont on a tous besoin pour vivre. tout peut exister, il suffit de le croire. C'est aussi une question d'honnêteté, c'est l'histoire de ma vie.

Entretien Pascal Evans