Duo pour la techno

Janvier est devenu le mois porte-bonheur pour les espoirs d'une french touch qui triomphe de par le monde. Après Daft Punk en 1997 et Air l'an dernier, Virgin France jette un nouveau pavé dans la mare des musiques électroniques : Cassius.

L'arrivée de Cassius

Janvier est devenu le mois porte-bonheur pour les espoirs d'une french touch qui triomphe de par le monde. Après Daft Punk en 1997 et Air l'an dernier, Virgin France jette un nouveau pavé dans la mare des musiques électroniques : Cassius.

Jusqu'à présent, dans l'esprit commun, Cassius ne rappelait que ce général de l'Empire romain, conspirateur avec Marcus Brutus du meurtre de Jules César, et qui se suicida dans la cité macédonienne de Philippes après sa bataille perdue pour le pouvoir contre les forces du Second Triumvirat qui le détenaient. Un millénaire et quelques lustres plus tard, le nom désignera un univers plus ludique et festif que celui, cruel, du monde antique. En 1999, le duo parisien Cassius ne pense qu'au défoulement des noctambules, pressés d'expurger leur stress quotidien sur les pistes de danse. Précédé par le single "Cassius 1999" (et son gimmick dance), l'album, "1999", ne pouvait qu'être chaudement attendu.

Il faut dire que les deux piliers de Cassius, Philippe Zdar et Hubert Blanc-Francard (alias Boombass), qui viennent tous deux de passer le cap de la trentaine, peuvent se prévaloir d'une expérience de 12 ans dans le domaine du son et d'une crédibilité certaine dans le circuit professionnel, où ils ont assuré quelques remixes pour Neneh Cherry, Björk, Depeche Mode, Air ou encore Daft Punk. Depuis 1986 et leurs premières collaborations artistiques en tant qu'assistants ingénieur du son sur les disques de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin, les deux larrons, dont la curiosité musicale ignore les fossés entre chapelles, s'illustrent aussi dès 1990 sur tous les albums studio de MC Solaar.

Mais leur propre chemin, ils le traceront nuitamment dans la chaude ambiance des discothèques. De son côté, Philippe Zdar développe avec Etienne "Superdiscount" de Crécy son projet Motorbass, qui gagnera les faveurs des noctambules via les maxis "001" et "Transfunk" en 1992-1993, et "Pansoul" en 1996. Entre-temps, il retrouve son comparse Boombas pour deux maxis remarqués ("Tribulations extrasensorielles" et "Breaking bounderies"), sous l'appellation La Funk Mob.

Disco mondiale

Evoquant tout à la fois, par son titre, le fringuant "1999" de Prince et l'apocalyptique "New York 1999", le disque de Cassius, en cette fin de siècle, opte clairement pour une ligne disco-funk des plus optimistes. Des plus consensuelles également. Honnête et sans prétention, l'album remplit simplement sa mission essentielle : faire danser. Mais il parvient rarement à surprendre et à égaler la redoutable efficacité de Daft Punk, la virtuosité de Air ou l'art du second degré de Bob Sinclar. Malgré une production de haute volée, "1999" pêche souvent par un manque d'originalité dans ses effets, maintes fois constaté ("Chase", "Foxxy ", "Feeling for U") Philippe Zdar et Boombass n'ont toutefois pas mobilisé pour rien leur science et leurs influences : Parliament, Sly Stone, Earth Wind and Fire, Gamble & Huff, Three Degrees, Rick James, Prince, etc.

Paradoxalement, c'est lorsqu'il s'éloigne des sentiers battus de la culture club que Cassius convainc le plus. Plombé de basses lourdes et de scratches, "Planetz" ne peut ainsi masquer son inspiration hip hop. Dans un registre calme et envoûtant, le très beau "Invisible", où résonnent les tam-tam de l'Afrique, répond à "Somebody" et à sa rythmique tribale. De plus, une poignée de titres formatés house ou disco font déjà figures de singles potentiels, notamment un "Supa crush" sur fond de vinyle qui croustille, et "Nulife", qui n'aurait pas dépareillé sur "Paradise", l'album de Bob Sinclar (dont Le petit journal s'est récemment fait l'écho).

Quoiqu'il en soit, "1999", qui respire l'air du temps (mais sans le devancer), semble paré pour le succès. Très sollicitée depuis les cartons internationaux de Daft Punk (1,5 million de "Homework" vendus), de Air (500.000 "Moon safari") et de Stardust (1,2 million du single "Music sounds better with you"), la filiale française de Virgin Records récolte aujourd'hui les fruits d'un travail efficace de ses signatures locales à l'international, perceptibles sur des artistes (Manu Chao, Mano Negra, Cheb Mami, IAM) et des projets (comme la compilation "Jazz à Saint-Germain") très éloignés de cette french touch tellement en vogue, de Londres à New York, en passant par Ibiza et Amsterdam. En matière de promotion et de marketing, l'album de Cassius est incontestablement le plus important lancement commercial de ce début d'année pour un disque made in France. Quelques 33 pays (Etats-Unis, Canada, Turquie, Afrique du Sud, douze états européens, etc.) sortent simultanément l'album ce 26 janvier, le Brésil et le Japon en mars. Déjà, le morceau "Cassius 1999", travaillé en discothèques depuis l'été dernier mais seulement commercialisé depuis trois semaines en CD single, vient de faire une entrée fracassante en 7ème position du Top 40 britannique, ainsi qu'en Irlande (30ème), et progresse actuellement dans les clubs européens (notamment en Scandinavie), tandis que le clip figure dans les play-list de la plupart des chaînes musicales continentales (MTV, MCM, Music Factory, Viva…). Le planning du duo ne connaît pas, lui non plus, de frontières. En mars, les Parisiens seront au programme de la Winter Music Conference de Miami. Cet été, certains grands festivals seront aussi inscrits sur leur agenda (on parle de Glastonbury en Grande-Bretagne, de Sónar en Espagne ou encore de Roskilde au Danemark).

Il est à parier que nous reparlerons bientôt de Cassius dans notre rendez-vous "Les Français au Top" qui, tous les deux mois dans Le petit journal, fait un tour d'horizon sur les productions françaises classées dans les Tops de ventes internationaux. Attendu comme le nouveau messie disco-house, l'anonymat, pour Cassius, risque de n'être bientôt qu'une histoire ancienne.

Gilles Rio