Lobi Traoré
Le blues du Mali pète la forme en ce début d'année. D'abord, parce qu'on annonce le retour du sage Ali Farka Touré pour très bientôt. Nous vous en reparlerons sans doute. Ensuite, parce que Lobi Traoré, qui reste l'un de ses proches amis en musique comme dans la vie, signe un nouvel album intitulé "Duga" (Cobalt/Mélodie).
Ou celui qui n'aime pas ce qui fâche...
Le blues du Mali pète la forme en ce début d'année. D'abord, parce qu'on annonce le retour du sage Ali Farka Touré pour très bientôt. Nous vous en reparlerons sans doute. Ensuite, parce que Lobi Traoré, qui reste l'un de ses proches amis en musique comme dans la vie, signe un nouvel album intitulé "Duga" (Cobalt/Mélodie).
Enregistré dans le fameux studio bamakois Bogolan, il irradie de nostalgie sahélienne, tout en s'immisçant dans la sainte philosophie du bonheur retrouvé. Pas de mots qui fâchent, juste un besoin vital de chanter "le bon", comme il dit. Des notes qui tirent leur force du terroir bambara, aidées en cela par l'énergie que dégagent les sons mêlés du patrimoine et de l'urbain. Autrement dit, un cocktail de "cool trad" et d'électrique sensation qui prétend résumer une fois encore l'essence même du blues sur ces terres, d'où il était parti il y a plus d'un siècle pour les terres lointaines de l'Amérique noire. Avec Vincent Bucher et son harmonica pour corser le tout.
Né avec les indépendances africaines (61) à côté de Ségou sur le fleuve Niger, Lobi, tête ronde et sourire aux lèvres, est entré en musique à l'âge de 16 ans, en reprenant dans une formation folklorique le répertoire bambara au chant. Et malgré les réticences de son père pour qui la musique n'est pas un métier : "Jouer de la musique pour lui, c'était vouloir faire le griot, or ce n'était pas une tradition familiale". Fasciné par la guitare de son instituteur, il lui faudra attendre sa venue à Bamako, avant d'aligner ses premières notes heureuses dans l'orchestre de Lassana Kouyaté, qui lui vend sa première guitare à coups de retenues mensuelles sur le salaire. Il semble qu'elle lui tenait tellement à coeur, qu'il dormait avec. Un passage ensuite dans le Djata Band, l'orchestre de Zani Diabaté, lui fait prendre le chemin caillouteux de la carrière solo. De mariage en bar, il ira. Et son talent finira par avoir raison du public au début des années 90. Tout comme il a fini par séduire le public de La Flèche d'Or à Paris. A coups de guitare, calebasse, harmonica et djembé. Entretien :
RFI Musique : S'il vous fallait résumer ce nouvel opus en quelques mots, que diriez-vous?
Lobi Traore : Cet album est un véritable cadeau du ciel et j'en suis fier. Avant même de sortir de studio, les gens à Bamako avaient l'air d'apprécier. Le public proche semblait déjà convaincu par ce répertoire... rien qu'en écoutant la maquette. Toutes mes productions, depuis ma première cassette jusqu'à cet album, m'ont demandé des efforts particuliers. Mais j'ai vraiment l'impression d'avoir travaillé encore plus que d'habitude sur celle-ci.
Comment ce sentiment se traduit-il musicalement ?
Sur mes précédents albums, j'ai essentiellement utilisé des guitares avec des percussions. Sur celui-ci, j'ai introduit deux nouveaux éléments. Il y a d'abord le n'goni, un instrument à corde traditionnel, qui est à ranger au même niveau que la kora question prestige. Un instrument que mon grand-père jouait mais que je n'ai jamais cherché à utiliser dans ma musique. Il y a ensuite l'harmonica de Vincent Bucher. Ces deux instruments apportent une nouvelle couleur à mes compositions.
Comment avez-vous justement rencontré cet harmoniciste français ? On sait qu'il n'en est pas à sa première expérience sur le label qui vous produit...
Vous savez... nous, les artistes, nous jouons avant tout pour faire plaisir au public. Lors d'un concert à Paris, Vincent est venu taper le boeuf sur deux morceaux. Son harmonica est bien rentré dans mon répertoire. Le public a tranché. Il a beaucoup aimé. Du coup, j'ai demandé à mon producteur de nous faire bosser ensemble. Il est venu me rejoindre à Bamako pendant quelques temps. De là, nous sommes partis en tournée. Nous avons fait une première date au Burkina, nous avons continué au Canada, en Afrique du Sud... C'est une histoire qui dure depuis trois ans. C'est à la suite de ça qu'il est venu travailler sur l'album.
On a l'impression que votre blues se relâche sur "koroduga" et "sogow". Ces deux titres de l'album s'engagent sur une rythmique beaucoup plus entraînante...
Ces titres correspondent à une forme retravaillée de blues bambara. C'est vrai qu'ils sont plus dansants, qu'ils amènent avec eux une certaine chaleur. Mais ils ne remettent pas en cause ma casquette de bluesman. Chaque morceau de musique répond à un état d'esprit. Ces titres qui rendent hommage à la tradition témoignent d'un moment particulier de la société bambara, qui se doit d'être chaud. Pour moi, c'est toujours du blues, même s'il est différent du reste de l'album.
Vos chansons racontent des histoires d'amour, de paix, de bravoure... Mais cela reste très consensuel dans l'ensemble. Pas un seul mot qui dérange réellement.
Mon ambition est de séduire tout le monde avec ma musique. L'exemple que je donnerais est celle de l'harmonie qui naît de la rencontre entre tous les instrumentistes sur un morceau. Le n'goni, l'harmonica, la calebasse, la guitare et la voix, en se retrouvant sur un titre, créent une sorte d'unité, qui fait la force de ce titre. Dans mes textes, je recherche cette même unité avec le public, en parlant de choses positives.
Le rock ou le reggae par exemple sont des musiques qui fâchent, qui se veulent dérangeantes, qui cherchent toujours à bousculer les idées établies. N'est-ce pas une nécessité chez l'artiste ?
Chacun à sa conscience pour lui. Ceux qui souhaitent être bons, le sont. Ceux qui souhaitent faire du mal, le font et l'assument. Moi, je me situe dans la première catégorie et cela se ressent forcément dans ma musique. Je n'aime chanter que le bon. Je n'ai rien contre les chanteurs de reggae, ni de rock. J'aime ces musiques d'ailleurs. Mais j'ai ma manière à moi de chanter le bon. Je n'aime pas bousculer les gens. L'artiste a un pouvoir énorme sur le public. Il peut l'amener à se révolter comme il peut l'entraîner au calme. Je veux que le public bouge mais de façon cool. Je veux réconcilier les gens. Je préfère l'idée du bonheur aux choses qui fâchent.
Bamako est devenu, par la seule force de sa production, l'un des principaux rendez-vous de la scène africaine aujourd'hui. On dit que Paris a un peu contribué à ce succès...
Il y a toujours un bouillonnement du monde musical chez nous, malgré les problèmes. Je crois que les artistes maliens savent se débrouiller. Même devant la piraterie, ils trouvent le moyen de continuer à créer. Et ils sont obligés d'évoluer, car un artiste ne peut pas stagner. Sinon, il n'est plus bon à rien. Maintenant, il faut reconnaître que la France a beaucoup aidé... à près de 75% (rire).