KENT'ZO

Remarqué fin 1997 sur "l'Essentiel", un double album où il partageait la vedette avec les rappeurs de l'association du même nom, Karim alias Kent'Zo prend aujourd'hui son véritable envol, un premier disque solo sous le bras, "l'Olympe" (sorti le 2 février chez Média 7), réussi au-delà de toutes espérances. Face à une production rap qui tend davantage vers le verbiage que vers le beau verbe, Kent'Zo, à l'heure où MC Solaar se perd du côté de "Galaktika", oppose une attitude sereine au service d'une colère réfléchie, en décalage complet avec les canons actuels du marketing rap (mais qui s'en plaindra ?) et développe une plume sensible, sans clichés, profondément humaine.
Interview-découverte, en compagnie de Kent'Zo et du deuxième pilier de l'association L'Essentiel, Ant'One, architecte sonore de "l'Olympe".

L'essence de l'essentiel

Remarqué fin 1997 sur "l'Essentiel", un double album où il partageait la vedette avec les rappeurs de l'association du même nom, Karim alias Kent'Zo prend aujourd'hui son véritable envol, un premier disque solo sous le bras, "l'Olympe" (sorti le 2 février chez Média 7), réussi au-delà de toutes espérances. Face à une production rap qui tend davantage vers le verbiage que vers le beau verbe, Kent'Zo, à l'heure où MC Solaar se perd du côté de "Galaktika", oppose une attitude sereine au service d'une colère réfléchie, en décalage complet avec les canons actuels du marketing rap (mais qui s'en plaindra ?) et développe une plume sensible, sans clichés, profondément humaine.
Interview-découverte, en compagnie de Kent'Zo et du deuxième pilier de l'association L'Essentiel, Ant'One, architecte sonore de "l'Olympe".

"L'Olympe", votre dernier album (le premier en solo), est davantage en prise avec l'actualité que le précédent, où vous partagiez l'affiche avec Al et Lexa.

KENT'ZO : L'album "l'Essentiel" était plutôt le bilan d'une année de travail en commun.
ANT'ONE : Nous avions 15 titres chacun. Mais nous avions fait plus du double de morceaux, qu'on a jetés. Sur cet album, nous avions cherché des directions, par exemple quand Kent'Zo a écrit "Pétale de rose" ou "Encre bleue". "Pétale de rose", musicalement, beaucoup de gens ont eu du mal à le comprendre. D'autres préfèrent le morceau "Encre bleue", qui a été mis sur RFI en play list alors que pas une seule radio hip hop ne le programmait.
KENT'ZO : Pour revenir à "l'Olympe", c'est vrai que ce projet est assez engagé dans l'écriture. J'ai 23 ans, de plus en plus de choses me révoltent et je sens plus le devoir de le faire ressortir dans mes textes.

Justement, si on se dit que c'est ça l'Olympe, bonjour l'angoisse ! Le dessin qui figure sur la pochette de l'album (qui montre au loin un paisible temple romain) inspire pourtant une certaine douceur venue de la Rome antique …

ANT'ONE : Ça faisait longtemps qu'on se prenait la tête pour chercher une pochette représentant l'Olympe. Puis un jour, nous étions dans un restaurant. Je suis allé aux toilettes, où j'ai vu sur le carrelage ce dessin. Je me suis dit : "Voilà où commence l'Olympe !".

Musicalement, où puisez-vous votre inspiration ?

ANT'ONE : A la base, j'ai fait du saxophone. Mon grand-père était saxophoniste de jazz, j'ai donc été bercé par ces sons, Charlie Parker, l'expérimental… Mon père aimait le reggae. Il m'a offert un coffret de Bob Marley quand j'avais douze ans. J'avais tous les albums. J'aime bien le jazz assez balade, les choses belles. J'ai écouté la soul, le rap, le jazz rock, etc. Mais j'ai toujours préféré quand même la tendance jazz tranquille, John Coltrane ou Charles Mingus, ou alors un bon Bob Marley, car le message est là et la beauté aussi. Je n'aime pas travailler avec des gens qui crient. Ça ne sert à rien de crier. Il vaut mieux poser les problèmes, on se comprend mieux. Et puis surtout, au niveau de la musique, mon idée est que les gens retiennent bien la mélodie, que la chanson soit posée pour que ça entre dans la tête tranquillement, pas brutalement.

Sur vos albums, le choix des invités (Al, Inès, Dilly, 2 Squatt…) se ferait-il seulement sur un critère de timbre vocal ?

ANT'ONE : C'est tout autre chose. C'est une confrontation, un échange, des affinités. C'est toujours intéressant de rencontrer un rappeur qui évolue dans un autre style ou avec un autre flow.

Il y a pourtant une unité dans ce nouvel album. Vous êtes-vous dit : "Untel, qu'on aime bien, ne correspondra pas au ton de l'album, donc on ne le retient pas " ?

KENT'ZO - On ne se le dit pas du tout. Nous partons du principe qu'il y a toujours un pourcentage de magie. Avec Ant'One, nous travaillons des morceaux puis, au final, nous nous apercevons que certains s'enchaînent ou entrent dans un concept précis. Les invités sont parfois un peu le fait du hasard. Il y a aussi le choix des thèmes. Quand j'ai invité Kohndo & Roce pour "Une main tendue", c'était clair qu'il fallait développer sur les sans-abri. C'était un thème qui me tenait à cœur et qui entrait dans le concept.

Votre "Olympe" sonne un peu comme l'anti "Paradisiaque" de MC Solaar. Par rapport à votre chanson "l'Apparence", pensez-vous que le star-system et la médiatisation peuvent vraiment tuer le hip hop ou que c'est une chance à saisir ?

KENT'ZO - C'est une chance à saisir. Mais il y a un certain nombre de concessions à ne pas faire car ça dénature d'entrée le hip hop.
ANT'ONE - A la base, nous avons envie de rester au centre de nos affaires, comme les Sages Poètes de la Rue. Nous préférons travailler sur notre label, L'Essentiel, et rester en distribution chez un indépendant, faire les choses tout seul sans chercher ni manager ni producteur ni éditeur. Pour l'instant, nous ne démarchons pas.

Même si, d'un autre côté, ça limite la portée de votre engagement ?

ANT'ONE : C'est vrai que sans grosses boîtes derrière, donc sans gros financement, on ne peut pas mettre en avant de singles. Sur l'album "l'Essentiel", on nous a dit qu'il y avait deux ou trois morceaux qui auraient pu le faire, comme "le Chant des misérables" ou "Pensées naturelles". Mais nous n'avons pas ces moyens-là. A notre niveau, nous essayons de faire des albums construits, avec une certaine unité dans les sons. Pour prétendre arriver sur une major qui investisse des sous sur nous, nous voulons vraiment un album parfait. Nous partons du même principe que Bob Marley, qui avait enregistré énormément de morceaux avant les albums des années 70 que tout le monde connaît. Nous sommes là pour apprendre. Kent'Zo, c'est déjà son deuxième album. Moi, je travaille aussi avec d'autres artistes. J'ai fait quatre albums. Je commence à voir les erreurs. Sur quatre albums, il y en a énormément.
KENT'ZO : Puis, pour aller plus loin, psychologiquement, il faut être prêt.

Et ce n'est pas encore le cas ?

KENT'ZO : Psychologiquement ? Non, pas encore. Nous sommes jeunes et nous avons encore besoin de comprendre. Personnellement, énormément de personnes m'ont déçu et je n'ai pas envie de décevoir à ce point là les gens, le public.
ANT'ONE - Nous avons vraiment envie de faire notre carrière dans la musique, mais pas pour signer à tout prix chez un éditeur qui va te filer de l'argent pour te faire dormir. Si je dois aller chez un éditeur, j'ai envie qu'il signe les projets que je veux avec mes méthodes de travail.

L'Essentiel est-il en voie de devenir un label du star system ?

ANT'ONE : Pas vraiment. Nous faisons des contrats pour les titres que nous produisons, pas sur les artistes. L'Essentiel, c'est une association qui produit des disques. Nous n'en sommes pas encore à faire du bénéfice. C'est toujours à but non lucratif, bien qu'on paye les gens en studio un minimum.

Revenons aux textes de cet album, "l'Olympe". Votre écriture est très biographique, proche de l'humain. Comment travaillez-vous votre style ?

KENT'ZO : J'ai toujours revendiqué une écriture poétique que je qualifierais de visuelle. C'est pour ça que tu me parles de biographie ?

J'aurais même du dire autobiographie. Dans vos chansons, tous les personnages qu'elles inspirent disent "je". "Je", c'est toujours vous ?

KENT'ZO : Oui, c'est toujours moi ! C'est autobiographique. Mais, dans "1962", je n'emploie pas le "je", c'est une situation que je décris. "Charter", c'est l'histoire d'un professeur qui est expulsé. Dans "l'Olympe", j'entre dans une optique où je réussis, où on me flatte, puis je me casse la gueule et tout le monde commence à me casser du sucre sur le dos. C'est un texte vécu à une petite échelle avec "l'Essentiel". Il y a eu la désillusion avec le distributeur Night & Day qui a fait qu'à un moment donné on nous a un peu cassé du sucre sur le dos.
ANT'ONE : Ils s'en foutaient. En fait, ils ne nous ont pas suivis et ne nous ont pas pris au sérieux. Mais nous ne leur en voulons pas, nous savons que c'était aussi le bordel chez eux…

L'indépendant Média 7, qui vous distribue aujourd'hui, s'est-il engagé sur un troisième album ?

ANT'ONE : Non. Là, nous avons des morceaux et un budget. Nous allons demander une licence. Déjà, nous commencerons par voir Média 7 parce que nous sommes chez eux. Sinon, nous irons voir à droite à gauche.

La chanson "Injustice", par son titre, résume assez bien le fil conducteur de cet album.

KENT'ZO : Oui, c'est remettre en cause tout ce qui ne va pas dans la société. Ce morceau est un free-style sur lequel nous avons demandé aux invités de parler d'injustices. Finalement, nous nous sommes aperçus qu'il y avait plein de groupes différents avec nous et que personne n'a parlé de la même chose. Il y en a tellement, des injustices, qu'on peut en faire tout un album. Autrement, les politiciens sont déconnectés de la réalité et j'aime bien le souligner quelquefois. La politique est basée sur la théorie. Dans ce sens, nous, au contraire, nous ne sommes pas très politiques. Mais il faut apprendre aux jeunes à prendre leur carte d'électeur, même pour aller voter blanc.

Beaucoup de gens, pour d'autres raisons, sont également déconnectés de la société actuelle. Chez certains, pensez-vous que la souffrance ou les difficultés qu'ils endurent nuisent à leur volonté de s'impliquer, par exemple dans des voies associatives ?

KENT'ZO : C'est sûr qu'il y a un problème de prise de conscience. Maintenant, j'ai l'espoir que les choses changent. Il faut dire aux gens qu'ils doivent un peu plus faire attention à ce qui se passe autour d'eux. Par le biais de l'association L'Essentiel, nous organisons des ateliers de théâtre, des ateliers avec des petits… Nous voulons leur montrer comment réaliser des morceaux et les graver.

Occuper les jeunes est-il un moyen de les rendre moins violents ?

KENT'ZO : La violence, elle est là. Il y a des jeunes qui arrivent à la mettre dans le sport, d'autres dans le rap. Il y en a d'autres qui ne parviennent pas à la canaliser.
ANT'ONE : Kent'Zo, lui, il fait une heure et demie de trajet tous les jours pour aller travailler alors que d'autres restent là…

Le travail, la volonté, la patience… C'est un discours qui passe bien auprès des jeunes que vous côtoyez par rapport à vos activités ?

KENT'ZO : Beaucoup de ceux qui ont entendu le morceau "1962" s'y sont reconnus. Je me rappelle deux personnes qui m'ont dit merci. Il y a des titres qui sensibilisent. Maintenant, c'est sûr, ce n'est pas ce genre de rap qui est mis en avant, qu'on a l'habitude d'entendre, bien qu'il y ait aussi un esprit de rébellion.
ANT'ONE : On ne voit que quelques facettes du rap. Mais il y a toujours plusieurs façons de faire les choses.

Dans "les Flèches transpercent", une chanson sur l'Algérie d'aujourd'hui, vous ne mentionnez plus la France, comme sur "1962". Pensez-vous que l'implication de la France dans les malheurs de ce pays ait cessé après l'indépendance ?

KENT'ZO : Avec ce morceau, ma volonté était d'être uniquement focalisé sur les massacres, la douleur du peuple. Avec "1962", je voulais donner un point de vue par rapport au gouvernement de la France de l'époque. A la fin de "les Flèches transpercent", il y a une minute de silence suivie d'un message d'espoir. Avant, l'Algérie était un pays qui marchait par provinces et on a voulu délimiter des frontières et créer un Etat sur un modèle européen. Mais ils n'étaient pas prêts pour être un Etat. Finalement, ce sont les personnes du FLN qui se sont accaparées les richesses et qui ont mis le pays dans un état impossible, avec toujours le spectre de la France derrière pour piocher les ressources, que ce soit le pétrole ou le gaz naturel.

Alors qu'en Algérie se prépare une élection présidentielle, qui peut être en mesure de susciter l'espoir de voir le pays sortir de l'ornière ?

KENT'ZO : L'autre jour, j'ai assisté à un colloque à la Sorbonne où il y avait un mouvement de jeunes, le RAJ (Rassemblement Algérien de la Jeunesse). L'espoir, c'est eux. Ils ont fait une réunion à Alger devant 10.000 jeunes, et c'est par la jeunesse que tout peut changer.

Face à une Amérique conquérante, le spectre de la France n'est-il pas brandi abusivement, pour recréer justement une unité nationale ?

KENT'ZO : Hier, je regardais un reportage à la télévision sur une région pétrolière de l'Algérie, où il était expliqué que pour accéder aux habitations des Occidentaux qui y vivaient, il fallait passer trois barrages de sécurité, et qu'il n'y avait eu aucun problème, alors qu'ils étaient plus de mille à vivre là-bas. Juste à côté, pourtant, des massacres étaient perpétrés. Donc, je pense qu'il y a une vraie mainmise de la France sur l'économie du pays. Mais la France a beaucoup déçu dans les pays africains, c'est pour ça que les Etats-Unis sont en train de prendre une place en or. C'est un peu triste car ils ne sont là que pour le profit. L'histoire ne fait que se répéter.

Gilles Rio