JEAN BART
Cinquième album
C'est sans doute pour souligner d'un trait tremblé ce qui pourrait être le début d'une réforme en douceur que Massimo Marchini, dit Jean Bart, génie sans tapage et réalisateur vidéo, a intitulé son cinquième album en six ans "Serein". Car changement il y a dans cet album, deux ans à peine après "Affaire classée avec fracas et pertes". Première innovation : l'interprétation de Jean Bart passe insensiblement du parlé au chanté. Seconde révolution : son univers poursuit son éclaircie vers le sourire.
Elément décisif de cette révolution, l'acide "Parmigiano" : la douce voix cassée de notre Italien murmure, accompagnée de chœurs féminins et d'une talentueuse guitare. Une fois traduites, les paroles donnent à peu près : "Je t'aime ma tomate/ Je t'aime mon spaghetti/ Mais plus que tout je t'aime, ô parmesan...". Dans la même veine, on trouve "Desiderata", ballade à la guitare qui voudrait voir "le petit Sarkozy au RMI" et insiste : "C'est pas du gâteau de tirer un trait/ Sur ses idéaux". Jean Bart contribue ainsi à une œuvre de salubrité publique : le renouveau de la chanson engagée dégagée.
Les bonnes choses continuent avec "Histoire d'eau", histoire douce et tendre d'une prostituée, façon Thomas Fersen, et "Valentin massacre", texte impressionnant d'Yves Sarda sur une musique de fête foraine. Avec le début de "Pour un oui", on sait qu'on arrive dans une autre dimension : duo de guitares, douceur, arpèges et soudain le break, voix, basse, batterie. Ce duo fermement rythmé avec Anne Martinet devrait, si les programmateurs radio et la maison de disques de Jean Bart jouent le jeu, engendrer son premier gros succès public.
Car Jean Bart, depuis sa naissance le 5 juin 1961 à Parme, est un habitué du parcours à mi-voix. D'Ecole des Beaux-Arts de Genève en agence de publicité, Jean Bart, modeste et mégalo, fragile et baraqué, loser et ambitieux, a mené sa vie au fil de ses envies, sans peur des contradictions ni souci de carrière. De mots fragiles en harmonies graciles, il a, depuis son premier disque en 1993, "Egoïste dans un corps en solo", contribué à renforcer l'école dite minimaliste. Mais on trouve chez Jean Bart bien plus que de simples accords : ses chansons sont souvent des courts-métrages. Il y passe des échos de Truffaut, des éclats de Gainsbourg, de Murat, de Satie, de Yves Simon.
On a longtemps cru le souffle de Jean Bart trop ténu pour survivre hors du périmètre de santé genévo-inrockuptible. C'était faire fi de sa puissance clandestine.
Jean-Claude Demari
Jean Bart "Serein" (Musidisc, 122272)