LAURENCE JALBERT

Voilà trois ans que Laurence Jalbert, l'incendiaire de Rivière-au-Renard n'avait mis le feu à une scène et son public l'attendait, non avec des sauts mais avec un enthousiasme dangereusement électrique.

La rouquine de Gaspésie

Voilà trois ans que Laurence Jalbert, l'incendiaire de Rivière-au-Renard n'avait mis le feu à une scène et son public l'attendait, non avec des sauts mais avec un enthousiasme dangereusement électrique.

Dès que la belle rouquine entre en scène, elle établit avec son monde une relation conviviale si authentique que l'on a l'impression qu'elle ne chante que pour nous seul. Il faut voir un show de Laurence pour saisir son impact et observer l'incroyable fascination qui s'empare de la foule. La gaspésienne a appris son métier dans les bars et les petites salles durant plus de 10 ans jusqu'à ce qu'arrive le succès météorique "Tomber" dont le son folk-pop-rock a fait d'elle une auteure-compositeure-interprète de premier ordre que même la France a un temps (trop court), courtisé mais hélas pas gardé.

''Lau'', surnom que ses musiciens lui ont donné, c'est à chaque spectacle, du Jalbert fraîchement pressé, toujours authentique. Un mélange de bonne humeur contagieuse, de passion, de proximité toute gaspésienne, d'insécurité, d'exigence, c'est tout ça et plus encore. Elle a connu un début de carrière fulgurant et malgré tout, a su rester vraie, des pieds à la voix, cette voix singulière, rauque et cristalline qui murmure, crie ou caresse, touche immanquablement car entre elle et le public, c'est une affaire de cœur. Un confrère disait, il y a déjà quelques années que les chansons de Laurence Jalbert sont de merveilleuses lampes de chevet, de celles qu'on ne veut pas voir s'éteindre.

La mort à pourtant bien failli nous la prendre il y a deux ans, et de cette rencontre, de ce rendez-vous de minuit, elle est revenue plus déterminé que jamais. De ''Avant le squall'' (grand vent qui précède une tempête), il se dégage une liberté presque palpable tellement ce troisième album respire la sérénité. On y fait le tour de sa vie, de ses paysages intérieurs sans jamais perdre pieds. Le spectacle s'est aussi un grand tour de manège autour d'une carrière qui n'a connu que le succès.

Ce qu'elle fait, elle ne le fait pas pour rien, le public présent en est la preuve et pour le remercier, elle chante ses premiers succès ("Au nom de la raison", "Tes yeux noirs", "En courant") actualisés par des arrangements poussés très loin. Dire que Laurence Jalbert occupe la scène est peu dire, elle dévore le plancher, les rideaux, elle frappe le pied de son micro, lance des Hé Ha à réveiller un mort. On ne vient pas voir la lionne pour s'endormir dans son fauteuil, elle dégage un magnétisme hors du commun et le spectacle est très vite autant sur la scène que dans la salle. Comme on dit chez nous, Laurence a le talent pour nous faire sortir notre fou, celui que l'on cache comme une maladie honteuse mais qui ne résiste pas à autant de sincérité et de fougue.

Entre hier et aujourd'hui, les chansons se racontent et se rencontrent sous des éclairages magnifiques signés Pierre Desrochers dont Laurence avait remarqué le génie dans le show des Québécois Bram van 3000 et Jean Leloup. Pour le dernier album, Laurence avait ce qui se fait de mieux au Québec, en France et aux Etats Unis comme Jeff Smallwood, Rock Deadrick (Ben Harper, Tracy Chapman), Eric Sauviat (Zachary Richard, Daran et les Chaises). 18 des meilleurs musiciens du moment mais pour sa tournée, seuls 6 se retrouvent sur scène pour un spectacle haut en couleur et en émotion. La chanteuse a un background dont elle se sert pour écrire, comme Mario Peluso, sa première partie tout en charme et authenticité. Qui se ressemble, s'assemble. Avec sa timidité, sa guitare et son ruine babine (harmonica), il a réchauffé la salle pendant 25 minutes, ce qui a du lui paraître bien long. Quant à nous, nous aurions volontiers repris encore et encore de ses textes et de ce style à la Neil Young. C'est lui qui a composé la magnifique chanson "La lune" que Isabelle Boulay a repris dans son dernier album déjà sorti en France. Le plus drôle, c'est qu'avant de devenir un succès, Mario a chanté cette chanson pendant 4 ans dans le métro montréalais sans que personne ne la remarque. Il sera de toute la première partie de Laurence Jalbert et il n'est pas impossible qu'on le retrouve très vite au Francofolies.

Mais plus vrai que Laurence Jalbert, c'est Laurence Jalbert, tenez vous le pour dit. Point final ou presque.

ENTREVUE

De ton nouveau spectacle, tu dis qu'il n'y aura pas de désordre, que veux tu exactement dire par-là ?
Je veux que les choses soient travaillées mais sans que cela paraisse. Je veux que tout aille de soi. C'est comme ça que j'ai fait sur l'album, on a mis énormément de travail mais on a épuré pour ensuite respirer. Sur la relecture des chansons, c'est ce qui est arrivé. Aller à l'essentiel mais pas de la même façon qu'avant où je donnais tout, tout de suite. J'ai encore cette envie sauf que je suis très consciente que ça peut être la dernière fois, alors il faut que se soit préparer, calculé. Je veux donner le meilleur et pour cela il faut beaucoup travailler.

Après une vingtaine de représentation es-tu toujours aussi groundée ?
Absolument. La semaine dernière, c'était la rentrée au Spectrum et encore une fois quelque chose de très très nouveau pour moi et je n'ai eu aucun trac destructeur, juste un stimuli, juste une envie folle de raconter au public ce qui s'était passé pour moi les deux dernières années. Mais pas leur dire que j'ai souffert, ça ne me ressemble pas, le sensationnalisme, j'en ai rien à foutre. Je voulais leur dire que j'ai eu une grave opération, j'ai failli être en chaise roulante mais maintenant je suis là. Le passé, je m'en souviens mais en ce qui concerne les deux dernières années, ce passé récent, j'ai envie de lui sauter dessus à deux pieds. Je ne veux plus en entendre parler. Ce qui m'importe maintenant c'est l'instant présent, ce que j'ai devant mes yeux. Je ne fais référence au passé que pour écrire des chansons et pour recevoir des lettres de gens qui me disent combien mes chansons sont importantes pour eux. Je veux chanter pour les gens, pour faire du bien.

Sur ton dernier album, il y a une large place faite aux musiciens. Sur scène, à quoi doit-on s'attendre ? Tu as déjà dit que tes musiciens étaient des fous, des virtuoses, des enfants qui tripent. Ça s'annonce donc un méchant gros party.
Je ne m'entoure que de gens passionnés, créatifs. J'ai choisi mes musiciens pour leur folie. Quand je regardais Eric Sauviat en train de jouer, je regardais ses yeux et tu sais quand un musicien regarde les anges, l'éternité quand il joue, c'est pour moi le seul critère de sélection, qu'il soit heureux quand il joue. Il faut être totalement émotif pour jouer avec moi, le côté rationnel c'est pour le directeur musical. Pour cette tournée, j'ai du faire un choix déchirant, parce qu'il y a des musiciens avec qui j'étais depuis 15 ou 18 ans mais ça s'est fait dans le respect. Dino Amodévo avec qui j'ai écrit plusieurs chansons, c'est un musicien de blues avec un son très identifié et bien il est venu me voir en me disant : ''Ecoute Laurence, je ne serais pas heureux en tournée, je ne peux pas travailler avec toi et tu ne seras pas bien toi non plus''. Il faut beaucoup de confiance pour faire ça et une grande humilité. Mais ce respect-là, je le donne aussi. Je reçois ce que je projette aux musiciens.

Le succès des Québécois en France, te donne t'il le goût de repartir conquérir la France ?
Connais-tu quelqu'un, à moins d'être très timide qui ne voudrait pas se produire devant plus de monde. Mais je ne peux quand même pas m'installer sur le trottoir en demandant aux gens de m'écouter chanter. Il y a eu de drôles de conjonctures pour moi à ce niveau-là, il y a eu ce que l'on appelle ici des badloques (bad luck) incroyables en voulant aller en Europe. J'attends et je suis prête mais c'est comme ça. Il m'est arrivé des trucs épouvantables, parfois insignifiants mais qui m'ont empêché d'avancer. Quand les étoiles vont être placées, je vais arriver avec mon costume de hockey et je vais lancer la rondelle dans les bons buts. Je ne suis pas très fataliste, je ne crois pas vraiment au destin ni à grand chose hormis l'humain, il faut que les choses se placent, il faut des gens pour préparer le terrain mais ça va arriver. Je suis prête.

Propos recueillis par Pascal Evans