Richard Desjardins

Une semaine de concerts au Déjazet à Paris au milieu d'une tournée française: Richard Desjardins visite la France sur la lancée de la sortie de son album "Boom Boom", en attendant les Francofolies de La Rochelle.

L'amour et la colère

Une semaine de concerts au Déjazet à Paris au milieu d'une tournée française: Richard Desjardins visite la France sur la lancée de la sortie de son album "Boom Boom", en attendant les Francofolies de La Rochelle.

Richard Desjardins est revenu en France, avec ses chansons au lyrisme joyeux, son accent si délicieux ("ça colore les réalités", dit-il lui-même) et son inspiration puissamment humaniste.
L'occasion de ses concerts de la semaine dernière à Paris et de sa tournée en Suisse et en France? Boom Boom, son nouveau disque, qui vient de sortir chez une toute jeune maison de disque, Inca. Cinquante ans, une douzaine d'années de carrière dans la chanson et, une fois encore, cris d'amour, tendresses d'enfances, mémoire d'homme et colères de terrien.

RFI Musique : Vous sentez-vous des influences dans l'écriture de vos chansons?
Richard Desjardins : Les meilleurs écrivains ne sont pas nécessairement des littérateurs. Ce sont parfois des gens de la vie, des types ordinaires dont la conversation est de la grande littérature, même s'ils sont des anonymes - c'est ça ma plus grande source d'inspiration. J'ai la chance d'avoir été élevé dans deux creusets culturels: du côté de mes parents, j'étais francophone. Mais on vivait dans une ville à 600 km au nord de Montréal, Rouyn-Noranda, près de la frontière de l'Ontario, où la culture américaine et anglo-canadienne entrait à pleines portes, à n'importe quel niveau - littérature, musique, et même les routes, qui sont venus d'Ontario avant d'arriver de Montréal.
Le soir, à la radio, on écoutait Chicago ou Detroit, rien ne venait de Montréal. Puis, quand j'ai eu quinze ou seize ans, je suis devenu pianiste de mon frère. Il était chanteur de charme - très bon, d'ailleurs. Nous reprenions les grands titres de la chanson française: C'est beau la vie de Jean Ferrat, For me formidable d'Aznavour, Quand on n'a que l'amour de Brel... On avait monté un spectacle, qu'on baladait dans la région. Je devais faire des réductions des orchestrations pour piano seul, et c'est comme ça que je me suis familiarisé avec l'alchimie de la chanson française.

Après le duo avec votre frère et les groupes de bar, vous êtes allé enseigner six mois la musique dans un village inuit tout au nord du Canada...
J'ai fait beaucoup d'essais et d'erreurs - un euphémisme pour "la gueule dans le mur". En effet, j'ai essayé beaucoup de choses parce que j'ai toujours senti que j'avais ma place. Mais je ne trouvais pas. Je me sentais prêt, avec un orchestre, en 1979-80, mais il y a eu l'avalanche disco qui a tout balayé: c'était tellement moins cher de faire danser les gens avec un DJ que de payer des musiciens... Je me suis retrouvé avec mon petit crayon. Après l'album Nebraska de Bruce Springsteen, j'ai commencé à écrire mes premiers textes. J'avais de quoi faire un album mais j'avais pas d'argent. Alors, quand je suis revenu de chez les Inuits avec la plus grande partie de mon salaire, que j'avais économisée, j'ai pu faire mon premier disque, Les derniers Humains.

De disque en disque, d'année en année, votre intérêt pour les problèmes écologiques semble s'affirmer...
Chaque génération a son karma. Pour mon père, c'est amener du pain sur la table. Son boulot, c'était d'avoir cinq enfants, de leur donner à manger et de les envoyer à l'école le plus convenablement possible. Le sens des responsabilités n'est pas le même d'une génération à l'autre. Aujourd'hui, une grosse frange de la société occidentale, qui est pourtant outillée intellectuellement, ne se rend pas compte des effets de la révolution industrielle sur la biosphère. C'est l'enjeu, maintenant: au bout de deux cents ans, il faut faire le bilan de cette activité.
Mon père était technicien forestier et mon boulot à moi, c'est de dire que les compagnies forestières sont en train de saccager la forêt canadienne. Je ne suis pas écologiste, je ne suis pas végétarien. Simplement, je suis né dans une ville qui s'appelle Noranda parce que c'est le nom de la compagnie qui possède la plus grosse fonderie de cuivre au monde, après Gorki en Russie. Trente mille habitants, des cheminées de 200 mètres de haut qui crachaient six cents mille tonnes d'anhydride sulfureux par an. Je suis né là et je la bouffais la boucane, je les bouffais les gaz. Peut-être que ça accélère un certain nombre de neurones!

Alors, je viens de sortir un film au Canada, L'Erreur boréale, un documentaire sur le massacre de la forêt au nord du pays. Comme nous n'avons pas chez nous une presse aussi indépendante que Le Canard Enchaîné en France, par exemple, beaucoup de gens ne savent rien de tout cela. Ce film va mettre les Québécois en état de choc et le gouvernement en embarras.

Tournée jusqu'au 13 mars au Déjazet à paris, puis le 18 à Morges (Suisse), et 19 à Neuchâtel (Suisse), le 24 à Albertville, le 25 à Meythet, le 26 à Saint-Priest, le 27 à Dourdan, le 30 à Nantes.