Bretagnes
Si la première vague celtique est apparue en Bretagne dans les années 70, au soir du 15 mars 99 à Bercy, sonnait la deuxième vague du renouveau de la musique bretonne grâce à leurs chefs de file, l'éternel défricheur Alan Stivell, le menhir Gilles Servat, Dan Ar Braz et l'Héritage des Celtes, le folk rock médiéval de Tri Yann et les petits nouveaux de la scène rock, Armens.
Cinq heures de marathon en préambule de la célèbre Saint Patrick, patron des cousins irlandais.
Les Celtes à Paris
Si la première vague celtique est apparue en Bretagne dans les années 70, au soir du 15 mars 99 à Bercy, sonnait la deuxième vague du renouveau de la musique bretonne grâce à leurs chefs de file, l'éternel défricheur Alan Stivell, le menhir Gilles Servat, Dan Ar Braz et l'Héritage des Celtes, le folk rock médiéval de Tri Yann et les petits nouveaux de la scène rock, Armens.
Cinq heures de marathon en préambule de la célèbre Saint Patrick, patron des cousins irlandais.
Le drapeau breton, noir et blanc, flotte sur Bercy ce mardi soir. La grande gageure de cette soirée était de réunir sur la même scène la fine fleur des hérauts de la Bretagne chantante. Pas celle de la variété récemment labellisée "rap celtique". Non, la vraie. Celle qui se chante depuis vingt, trente ans par les ténors du genre. Derrière la route tracée par Glenmor, en vrais fils de bardes, Alan Stivell, Dan Ar Braz, Gilles Servat et Tri Yann sont les héritiers de la poésie bretonne. De tradition orale, la culture celte se transmettait par de longues mélopées qui racontaient des histoires. Sa musique tient surtout à la spécificité de ses instruments, cornemuse, biniou, bombarde, harpe celtique, violon et bouzouki, communs aux Irlandais, Gallois, Ecossais et Galiciens.
"On va tous chanter en breton ce soir" tonne l'imposant Gilles Servat, dont la verve militante ne s'est jamais tarie. Chanteur engagé dans les années 70 dans une région à forte idéologie, il en a appris la langue et épousé les codes. Car le gaillard est né hors des frontières armoricaines, à Tarbes, mais de famille nantaise tout de même. "L'hirondelle", "Je dors en Bretagne ce soir", et "La Blanche Hermine", ses chansons les plus connues datent de cette époque. Cette dernière a été récemment revisitée pour dire non à un parti d'extrême droite qui utilisait la chanson dans ses meetings. Fasciné par l'Irlande, Servat a adapté une chanson des Pogues "Dirty Old Town", ce qui donne en français "Vieille ville pourrie"...
Très haut dans le ciel de Bercy, de gigantesques triskèles annoncent l'arrivée du barde breton, celui qui a popularisé la musique bretonne hors de ses frontières. La silhouette mince et l'attitude retenue, le musicien se dirige vers son instrument fétiche, dorée et au design futuriste, la harpe celtique. D'entrée, Stivell donne le ton avec deux chansons qui parlent de paix en Irlande. Et un répertoire entièrement chanté en langue bretonne. "J'ai une pensée virtuelle pour les sœurs Goadec que je salue au passage", et reprend "La mémoire de l'humain" soutenu par des percussions. Si Alan Stivell fut le premier à avoir introduit la musique électronique dans la musique traditionnelle bretonne, des années plus tard, à l'image de son éclectisme musical, le musicien continue de dérouter, entre musique celtique, techno, et rock sur certains morceaux. Il reste formidablement novateur à l'image de son dernier album "1 Douar" où l'on entend les voix de Youssou N'Dour et de Khaled.
La palme du folklore revient sans aucun doute aux joyeux trublions de Tri Yann (les trois Jean). Vêtus de kilts et de culottes bouffantes, coiffés de chapeaux ronds à pompons oranges, les ménestrels nantais ont déroulé leur folk-rock médiéval. Entre deux gavottes acrobatiques, exactement là où on les attendait, avec la beuglante de leurs titres fétiches, qui ont fait leur succès à savoir "Dans les prisons de Nantes" et "la Jument de Michao" ("J'entends le loup,…"). Une mention spéciale pour leur interprétation de l'hymne pacifiste breton "Bro goz ma zadou" (Vieux pays de mes ancêtres), le seul hymne dans lequel le sang ne coule pas...
Le grand rassembleur de cette nuit marathon, c'est Dan Ar Braz, formidable chef d'orchestre de cet Héritage des Celtes, ceux du Bagad de Kemper, cinquante musiciens sur scène, sonneurs de cornemuses, joueurs de bombardes et de caisses claires. Si le plateau d'artistes était jusque-là masculin, la plus belle voix de la soirée aura été sans nul doute celle de la chanteuse écossaise Karen Matheson. La prestation du guitariste lorientais aura réservé des surprises puisqu'il avait convié le Gallois Michael Jones et le Français Jean-Jacques Goldman le temps d'un morceau. Dans ce même souci de rassemblement des musiques celtes chères à Dan Ar Braz, place à la Galice avec le soliste espagnol Carlos Nuñez. Mais ce que le public attendait par-dessus tout, l'évènement en soi de cette soirée, c'était la réunion sur scène de Dan Ar Braz et d'Alan Stivell, autrefois compagnons de route, et dont les relations s'étaient quelques peu distendues. Les deux musiciens entament alors un extrait de la Symphonie celtique, dans une totale communion. Bercy est heureux, Bercy sautille. Les Bretons dansent, tous en rond.
Pascale Hamon