PETRU GUELFUCCI

Petru Guelfucci chante depuis 1973 dans sa langue natale, le corse. D'abord au sein de Canta U Populu Corsu et, depuis 1987, en solo. En 1993, son album "Corsica" a remporté un succès mérité et inattendu au Québec. Aujourd'hui sort son cinquième album, "Vita".

Rêve de Corse

Petru Guelfucci chante depuis 1973 dans sa langue natale, le corse. D'abord au sein de Canta U Populu Corsu et, depuis 1987, en solo. En 1993, son album "Corsica" a remporté un succès mérité et inattendu au Québec. Aujourd'hui sort son cinquième album, "Vita".

Imaginons un disque corse parfait : il tournerait autour d'une voix exceptionnelle épaulée par des choeurs d'hommes d'une force rare. Les mélodies, belles, sauraient s'inscrire, et pour longtemps, dans la mémoire, sans pour autant tomber dans la facilité. Pour les jouer, ces mélodies, il n'y aurait que des instruments acoustiques et, surtout, pas trop : à peine une guitare virtuose et un violoncelle poignant. Allez, parfois aussi du piano, un violon et un peu d'accordéon. Surtout pas musette.

Ce disque vient de sortir : il est l'oeuvre d'un type mal rasé au sourire profond. Un type dont le chien, un jeune labrador beige, s'appelle Sognu. Et "sognu", ça veut dire "rêve". Un type qui fait l'apiculteur et fabrique de la farine de châtaigne à Sermanu, un village de montagne proche de Corte. Un Corse, Petru Guelfucci, dont on a entendu pour la première fois la voix en 1973 sur le premier album du groupe qui a fait renaître le chant de l'Ile : Canta U Populu Corsu. Avec lui, à cette époque, chantaient Jean-Paul Poletti, Minicale, les Bernardini père et fils, futurs Muvrini, Philippe Rocchi, Noël Luciani... Tout le renouveau culturel corse.

"Vita" est le cinquième album de Petru depuis 1987. A la guitare virtuose, on trouve Paul Cesari, "un garçon de Corte". La guitare de Cesari, chez elle dans tout le disque, résonne particulièrement dans "Pienti di una Mamma" ("Plaintes d'une mère"), terrible chanson de guerre civile : "En fait, précise Petru, c'est une vieille chanson faite par un curé sur la mort de son frère, et j'ai voulu la transposer dans le contexte d'aujourd'hui".

A côté de la guitare, souvent en choeur avec elle, résonne le violoncelle poignant de Jean-Louis Blaineau, "un ancien de Canta U Populu Corsu, qui avait abandonné la musique et y est revenu...". Chapeau bas devant ce retour, surtout à l'écoute de "Sognacciu" ("Cauchemar"), superbe mélodie de Pascal Periz, des Pow Wow, un ami de la famille.

Aux textes, l'auditeur attentif découvre de temps en temps un autre Petru, Santucci celui-là ("un ingénieur de l'Institut National de Recherche en Agronomie, très attaché à la terre corse"). Santucci et Guelfucci, les deux Pierre, balisent les deux plus beaux morceaux de l'album : "Senza cuntà" ("Sans compter"), dont le superbe refrain, fort comme une mélodie de Canta U Populu Corsu, sonne longtemps dans la mémoire - et "Vita" ("La vie"), avec son violon celtique en intro et sa joie en bandoulière.

En 1993, le Québec a fait un accueil triomphal au troisième album de Petru, Corsica. "C'était magique, se souvient-il. Et dû au hasard : au MIDEM 93, mon éditeur avait un petit stand et il y passait "Corsica". Pas très loin, un responsable de BMG-Québec, Jean Dufour, s'est intéressé à ma chanson. Si ç'avait été quelqu'un d'autre, rien ne serait arrivé ..." Le bilan de l'entente québéco-guelfuccienne est brillant : tournée 93 remplie de succès et Disque d'or pour "Corsica"...

Aujourd'hui, après le succès international mérité des Muvrini ("Dès le moment où ils font parler de la Corse en bien, c'est tant mieux", estime Petru...), on peut penser que, grâce à toutes ses qualités, "Vita" va s'appuyer sur ses deux citadelles, celle de Corte et celle de Québec, pour partir à la conquête du monde. A cette perspective, Petru Guelfucci, le paysan-chanteur, sourit dans sa moustache, pas dupe. Lui préfère, dans son album, s'adresser directement aux femmes du Désert : "Donna di sole"...

Jean-Claude Demari

Petru Guelfucci : Vita (Odéon/ EMI, 724349 80022).