Angélique Kidjo à Lafayette
Pour la première fois, la célèbre chanteuse béninoise Angélique Kidjo, s'est produite au Festival International de Louisiane à Lafayette. Rencontre conviviale à l'heure du déjeuner.
Interview
Pour la première fois, la célèbre chanteuse béninoise Angélique Kidjo, s'est produite au Festival International de Louisiane à Lafayette. Rencontre conviviale à l'heure du déjeuner.
Nous sommes dans un festival de musique francophone, vous êtes vous-même francophone ?
Oui, je suis toujours francophone, il n'y a rien à faire, comme je serai toujours une Béninoise quoiqu'il arrive, je n'ai pas envie de changer non plus.
En France, vous faites partie des artistes francophones même si cela peut paraître étrange…
Au départ, quand on a commencé à parler de la francophonie, du temps du ministre français Alain Decaux (cela date d'il y a plusieurs années), il était clair que l'on prenait en compte les autres langues parlées dans l'espace francophone. A partir de ce principe , je pense que je suis francophone comme un Camerounais ou comme un Ivoirien, un Togolais, etc. Mais d'un côté, on veut que la francophonie existe, que la langue française continue à exister dans le monde, et de l'autre, des quotas sont instaurés en France (ndlr : pourcentage de chansons en françaisdiffusées sur les ondes). Il y a là une contradiction. La francophonie s'arrête t'elle aux frontières de la France ? Moi je trouve que ce n'est pas normal que nous qui parlons français, qui sommes Africains francophones, on vienne nous bassiner avec ça. Ça ne m'intéresse pas. La francophonie, ça ne nous nourrit pas l'Afrique, ça n'arrange pas les problèmes de santé, de pauvreté, de pollution, d'éducation, ça ne change rien à notre vie, je trouve que c'est une perte de temps et d'argent que de faire des réunions, des sommets de la francophonie avec des chefs d'état alors que ce qui peut faire le lien entre la francophonie et la France, c'est l'art en général, je ne parle pas que de la musique. C'est à ce niveau là qu'il peut y avoir un échange effectif entre la France et les autres pays qui parlent le français. Si on est frileux au point de ne pas pouvoir s'ouvrir aux autres parce qu'on a peur que la langue française disparaisse, on ne parle pas de francophonie. Moi, ça ne me gène pas du tout, je parlerai toujours français.
Et l'anglais ?
J'ai toujours parlé l'anglais parce que le Bénin est un pays limitrophe du Nigéria et j'ai une partie de ma famille qui est du Nigéria. J'ai parlé cette langue en même temps que le français. Pas de problème.
Sur notre site RFI Musique, on peut consulter votre biographie et discographie au même titre que celle de Khaled ou Michel Sardou…
Ça c'est bien, nous sommes tous francophones. Moi j'aime bien le mode de communication d'internet parce que ça touche le monde entier sans manipulation de média derrière, même si çà commence à venir. Au départ, ça n'était pas ainsi. Le fait qu'internet aille chez les gens, ça permet quand même une manipulation limitée parce que s'ils n'ont pas envie de le voir, ils vont zapper sur un autre site. Ils arrivent sur un site et ils voient que ça ne les intéresse pas, qu'il est rempli de clichés et d'idées reçues, ils zappent. On peut zapper et aller ailleurs. On peut communiquer autrement. En même temps le danger d'internet, c'est de couper les hommes les uns des autres, on peut faire plein de choses sur internet (comme le shopping) et puis on ne sort plus, la vie sociale disparaît si on ne fait pas attention. A chaque évolution, il faut voir son côté négatif.
Pour en revenir à la musique, vous avez commencé très tôt à faire de la scène avec votre mère, c'est presque une seconde nature pour vous ?
Je ne me suis jamais posé la question de savoir si j'allais être une chanteuse ou pas, j'ai poursuivi mes études (ndlr : de droit) parallèlement en me disant qu'un jour si j'avais envie de faire de la chanson, je le ferais. Il s'est avéré que je n'avais plus envie d'être avocat des droits de l'homme, je n'avais pas envie de faire avec la politique. La loi et la justice sont toujours en train de se faire la guerre. Je n'avais pas envie de me trouver au milieu des problèmes qui existaient avant ma naissance, de me bousiller la vie à rendre le monde plus juste. Donc je me suis dit que j'allais faire de la musique, je serais beaucoup plus heureuse, j'atteindrais beaucoup plus de gens dans le monde et je ferais beaucoup plus pour les gens que si j'étais avocate.
Jamais vous ne vous êtes sentie lasse de faire de la scène ?
Moi j'adore. Dès que je sens que je vais partir en tournée, je revis. Je déteste le studio mais il faut que j'y passe. C'est une discipline, un travail que j'ai fait sur moi-même. Le travail de studio n'est pas dans ma culture du tout. Le chant et la musique ont toujours été un art et une communication directe. J'ai commencé à travailler en studio quand je suis arrivée en Europe. Jusqu'à maintenant, je n'aime pas trop le côté froid et technique de la chose. C'est pour ça que je continue à écrire avec mon petit magnéto et mon petit bout de papier, avec mon oreille. L'ordinateur, j'y vais à reculons. Je ne sais toujours pas m'en servir sur le plan musical. Mon mari le fait très bien. Le studio a un côté très technique pour moi, cela ne m'empêche pas d'être très vigilante sur ce qui se fait, sur mes productions, quand je choisis un producteur. J 'écoute toujours s'il a choisi tel son par rapport à tel autre. Même si je ne connais pas les termes techniques, je sais ce que je ressens. Si je n'aime pas, je ne le fais pas.
Vous venez donner un concert au festival de Houston et un autre en club à Austin, n'est-ce pas ?
J'ai beaucoup aimé. C'est la première fois que je viens jouer toute seule au Texas. La dernière fois que je suis venue, c'était en 96 en première partie de Carlos Santana. J'ai reçu plein de courrier depuis, me demandant quand je reviendrai jouer au Texas, ça fait trois ans que les gens insistent !
Dans ces cas là, vous adaptez votre show au public local ?
Je fais toujours le même spectacle.
Que vous soyez en Europe au Japon ou en Afrique, c'est la même chose ?
La même chose. Pour que le spectacle soit efficace, il faut le répéter longtemps à l'avance. Les morceaux se mettent en place petit à petit. On a beau les jouer de la même façon, c'est toujours par rapport au public qu'on les joue.
Aujourd'hui, comment définiriez-vous votre style musical ?
Je n'en sais rien. Je pars du principe que quand un artiste a envie de dire quelque chose, ce n'est pas forcément dans un certain style. Je fais ce qui me plaît, j'écris et je chante les musiques qui me parlent. Si ça ne parle pas, je ne peux pas les porter, je ne peux pas aller sur scène, faire des concerts durant une année avec, impossible. Vous imaginez quelqu'un sur scène qui fait quelque chose qu'il n'aime pas. Moi je ne peux pas. Déjà dans mon spectacle, d'un morceau à l'autre ça change. Je déteste faire la même chose et je change tout le temps, album après album parce que je n'ai pas envie de m'emmerder. J'ai envie de m'éclater et que le public s'éclate aussi.
Vous fonctionnez au feeling au gré de vos rencontres ?
Absolument, je suis toujours ouverte aux rencontres, à d'autres idées qui arrivent. Ces idées apportent un plus à vos chansons. Ça n'enlève rien à votre créativité, ni à votre originalité. Ça s'intègre.
C'est ce qu'on appelle le métissage musical ?
Ça a toujours été et ça le demeurera toujours. Les musiques ont toujours été métissées depuis que l'univers est univers ! Toutes les musiques se sont interpénétrées à un moment ou à un autre, que ce soit la musique classique, la musique moderne ou la musique traditionnelle. En Afrique, ceux qui parlent de musique traditionnelle " pure ", ce sont des gens qui ne sont au courant de rien, qui ne connaissent pas l'histoire des populations. Ces musiques sont passées par tellement de mutations que ce qu'on entend maintenant est le résultat du travail de plusieurs générations. Dans un siècle, elles auront toujours les mêmes racines, mais elles auront évoluées parce que nous évoluons aussi. Les enfants d'Afrique évoluent. Par exemple, la musique que jouent les jeunes dans les grandes villes en Afrique est différente de celle qui est jouée dans les villages.
Votre musique a évoluée elle aussi depuis vos débuts, est-ce que c'est lié aux lieux et donc aux milieux artistiques que vous avez côtoyés, à Paris dans les années 80 ou New York maintenant ?
Non, c'est lié à l'évolution de l'oreille, de la musique en général. Celle qu'on écoutait dans les années 70 n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui même si on la retrouve dans des samples de certains groupes. C'est dû aussi aux rencontres diverses. La musique que je fais aujourd'hui fait partie de mon évolution personnelle et émotionnelle. Paris a été le premier pas que j'ai fait vers l'Occident. Le premier disque que j'ai enregistré, c'était à Paris. Deux jours de suite et je suis repartie aussi sec. Le Bénin est un pays francophone, il était plus facile de venir dans un pays dont on parle la langue. Quand je suis arrivée, on m'a dit que je parlais un français académique celui que j'avais appris à l'école !
Vous faites souvent référence dans vos interviews à Myriam Makeba, c'est un modèle pour vous ?
Absolument. Quand on est femme et qu'on chante en Afrique, soit on a le soutien de tout un peuple, soit on ne l'a pas. Moi j'ai eu le soutien de ma famille, c'est la raison pour laquelle je suis là aujourd'hui. Quand on est une jeune fille en Afrique, à la limite travailler dans un bureau est acceptable mais la priorité, c'est être mère, mariée, bien mariée. Chanter… Ce n'est pas facile. La première fois que j'ai découvert la musique de Myriam Makeba je me suis dit : " Elle est africaine comme moi, elle y est arrivée, pourquoi pas moi ? ". Je continue aujourd'hui de chanter ses chansons. Il avait aussi Bela Below, la chanteuse togolaise qui est morte il y a 25 ans. Ces deux artistes ont joué un rôle déterminant dans ma décision inconsciente de devenir chanteuse.
Finalement vous êtes comme Myriam Makeba, une citoyenne du monde ?
C'est vrai. C'est éclatant et en même temps c'est effrayant parce qu'on se rend compte qu'il y a tellement d'incompréhension dans le monde, d'idées reçues, du Nord au Sud, que le travail ne doit pas être accompli par nous seuls, artistes.
Est-ce le rôle de la musique d'œuvrer dans ce sens ?
Oui, elle le fait mais on essaie toujours de la mettre dans des catégories. Les médias sont dans une logique commerciale. Dans les années 60/70, il y avait des mouvements qui allaient avec la musique. Aujourd'hui, c'est impossible, tout est canalisé, les radios ne passent que certains titres. C'est la drogue du peuple. Personne ne veut entendre ce qui sort de l'ordinaire. Quand ta musique est différente, tu ne passes pas sur les ondes. Heureusement qu'il y a les concerts et qu'il y a des gens qui refusent le lavage de cerveau, ceux qui vont dans les magasins, qui font l'effort de découvrir des choses qui ne sont pas dans les charts. Sinon les gens comme moi, nous n'existerions plus. C'est pour ça que je continue, pour ceux qui m'écoutent depuis longtemps, qui m'écrivent pour me dire qu'ils préfèrent tel disque à tel autre. Je préfère ça. Une relation se crée, qui n'a rien à voir avec des choses commerciales.
Je ne renie pas le succès commercial du tout mais il ne faut pas que ce soit quelque chose de téléguidé, un truc qui vous arrive dessus.
Cela vous ait déjà arrivé d'écrire un tube, n'est-ce pas ?
Pour "Agolo", j'étais heureuse. Je l'ai écrit en une journée en compagnie de copains. On s'est bien éclaté à le faire. Jamais je n'ai pensé que cela pourrait être un tube. Il n'y a pas de recette. Ça plaît ou ça ne plaît pas au public. Mais avant tout il faut que le résultat me plaise.
Finalement, vous chantez en combien de langues ?
Sept. Maintenant je suis en train d'apprendre le portugais du Brésil. J'aime beaucoup. J'irai peut-être faire un tour dans ce pays. Après, j'attaque l'espagnol. Je veux parler autant de langues que je peux parce que je pars du principe qu'on ne se comprend pas assez. Beaucoup d'idées reçues circulent. C'est le racisme, la xénophobie. Les langues sont autant de barrières qu'il faut franchir. J'ai envie d'expliquer aux gens d'où je viens, dans leur langue.