Arielle
Arielle est un personnage singulier dans les variétés françaises, et son nouvel album, Mortelle (chez Island), révèle une personnalité complexe et séduisante, obsédée autant de spiritualité que de plaisir. Une des grosses sensations pour la critique, ce printemps.
Le feu dans la neige
Arielle est un personnage singulier dans les variétés françaises, et son nouvel album, Mortelle (chez Island), révèle une personnalité complexe et séduisante, obsédée autant de spiritualité que de plaisir. Une des grosses sensations pour la critique, ce printemps.
Dans le monde d'Arielle, il y a toujours une chose et son contraire, un bonheur et une sévérité sereine, une caresse et la promesse d'une morsure. "Si cet album s'appelle Mortelle, ce n'est pas un hasard, dit-elle. On va tous mourir, mais on est presque étonné quand quelqu'un meurt dans notre entourage. Je voulais le rappeler, mais en pariant aussi sur le plaisir. C'est important, de jouir d'un paysage, de jouir d'un café avec un ami, de jouir d'un bain brûlant, de jouir du vent qui passe dans les cheveux, de jouir physiquement, aussi, avec un être qu'on aime."
Il y a dans la chanson française peu de personnalités aussi libres de ton et d'intentions qu'Arielle. Elle fait un peu songer à une Carole Laure en moins bonne santé, à une Brigitte Fontaine sans orages, à une Björk janséniste. Elle apporte une étrangeté dans le paysage des variétés: elle ouvre en grand les portes de ses pensées profondes, entre deux pôles également magnétiques, la prière et le plaisir. Elle chante sa minceur, les "plaisirs extrêmes", le corps, le silence, la sieste, le bonheur des parfums ou sa colère devant le supplice d'Ann Igard, la dernière femme pendue pour sorcellerie en Angleterre.
Sur la pochette, elle apparaît nue et pudique à la fois, allongée dans la neige. "Je souris. On ne voit rien de mon intimité pure. C'est du second degré. J'avais une image d'icône éthérée : ça suffit, j'ai un corps, je suis une femme, j'ai deux enfants, je mange, je ris, je pleure, je prie pour ceux que j'aime..."
Icône éthérée, Arielle l'a été pendant les quelques années où, élue par Helmut Newtown, elle fut un visage et un corps célébrés par le photographe le plus à la mode des années 80. Aujourd'hui, à trente-sept ans, elle a rompu avec le mannequinat: deux enfants, de longues études de psycho-astrologie et quelques années de recherche plus tard, elle est chanteuse. Son album précédent, Toute une vie à une, paru en 1996, la fit remarquer pour sa franchise toute droite, ses atmosphères singulières, ses inventions troublantes.
Mortelleconfirme et amplifie la sensation: l'univers d'Arielle est d'une belle originalité, à mi-chemin d'une sensualité puissamment affirmée et d'un usage très contemporain de textures musicales sèches.
En effet, arrangé et produit par Mathieu Ballet, l'album foisonne de programmations, de cordes ou de rythmiques ouatées, têtues, crissantes. Et l'intervention du Capverdien Bau (compagnon de tournée de Cesaria Evora) sur une coladera fait entrer un peu de souffle marin dans un disque très intérieur, presque hivernal.
"J'ai mis beaucoup de soin aux textes. Sur Toute une vie à une, j'y avais passé dix jours. Sur Mortelle, j'y ai mis un an." Limpides, dépouillés, subtils, les textes de Mortelle touchent souvent au corps, mais souvent, aussi, à des sentiments franchement sombres. "Un seul mot revient trois fois: peine", note Arielle. Car elle avoue aussi des blessures. "J'ai écrit cet album comme Drieu la Rochelle a écrit son Feu follet, dans l'urgence. Et ce n'est pas par hasard si ça s'appelle Mortelle. Sauf que je suis là devant vous - quelle lâcheté de ma part." Rappelant souvent l'importance de la prière dans sa vie, l'expérience qu'a constitué une année de permanences dans une association de soutien psychologique anonyme par téléphone, Arielle affirme:"Je suis dans le Religieux, dans le Sacré" - et elle tient aux majuscules. Sa mystique est plutôt panthéiste que strictement catholique: "Je ne crois pas en Dieu mais je crois en la prière, en la compassion, au partage, en la fraternité."
Et, alors que l'intérêt pour Arielle déborde des seules ondes de Radio-France et touche les grands réseaux FM spécialisés dans les variétés, elle se prépare à monter sur scène avec les chansons singulières de son disque. "J'essaye de m'étonner moi-même avant d'étonner les autres", avoue-t-elle.
Un beau programme.
Bertrand DICALE