Annegarn blues

"Adieu Verdure" vient de sortir, deuxième album du retour de Dick Annegarn au grand jour, après des années de marginalité plus ou moins volontaire. Presque trente ans après "Sacré géranium" et "Bruxelles", le Hollandais de la chanson française reste fidèle au bizarre, au blues, à la liberté.

Aussi sérieux que le plaisir

"Adieu Verdure" vient de sortir, deuxième album du retour de Dick Annegarn au grand jour, après des années de marginalité plus ou moins volontaire. Presque trente ans après "Sacré géranium" et "Bruxelles", le Hollandais de la chanson française reste fidèle au bizarre, au blues, à la liberté.

Un an après avoir réussi son retour avec l'album "Approche-toi", Dick Annegarn revient avec un disque tout neuf, "Adieu Verdure". Dans ses blues aux formes étranges, à la fois molles et diablement maîtrisées, on croise un chanteur aveugle d'Anatolie, le fils d'une bergère qui surveille la route de Pristina, un "colombophile à Lille", une belle de La Rochelle... Singulier, radical, si différent du reste de la production française qu'il ne passe guère à la radio, le nouveau disque de Dick Annegarn pourrait bien suivre la voie de son prédécesseur, Disque d'or en France. Revenu au premier plan avec le soutien actif de Tôt ou Tard, le label le plus créatif de la multinationale Warner (Higelin, Thomas Fersen, les Têtes Raides, Joseph Racaille, Lhasa, Latin Playboys...), Dick Annegarn avoue avoir eu "plus de moyens que jamais" en allant enregistrer son disque avec l'atypique bluesman Olu Dara ou le corsaire de la guitare rock Marc Ribot.

Entretien

Pourquoi enregistrer à New York ?

A l'origine, j'ai une culture blues et jazz. Avec Olu Dara et ses musiciens, je suis revenu à mes sources de blues flamand. Mais j'ai hésité, bien sûr. New York, c'est quand même le symbole de la domination politique, culturelle et militaire américaine à laquelle je n'adhère pas du tout. Mais, sur place, j'ai découvert une ville d'immigrés. Je n'ai rencontré qu'un Américain - un Indien qui faisait la manche. Les autres, c'étaient des Polonais, des Égyptiens, des Chinois, des Noirs. Aujourd'hui, j'ai moins honte d'y avoir été.

Vous êtes revenu au premier plan depuis un an. Vous n'allez pas nous refaire votre coup d'éclat de 1975, quand vous vous étiez "retiré de la circulation" ?

Hum... Je me rends compte que par moments la pathologie du chanteur sur-sollicitté revient. Je m'intéresse trop peu à moi pour m'y consacrer toute une année. Alors j'ai produit le disque d'un groupe berbère, Raïs Mohrand, j'ai créé ma société d'édition. Mais j'ai fait aussi quatre-vingt dates, cent vingt mille kilomètres... Ça m'étonnerait que ça dure jusqu'à la fin, d'abord parce qu'on est tous là, à titre précaire et révocable, et ensuite parce que je peux décrocher, moi. Mais je suis prêt à continuer quelques années comme ça. Maintenant, on a moins tendance qu'avant à presser le citron. On se rend compte que l'artiste, ce n'est pas inépuisable. J'habite toujours près de Lille, j'entends toujours les gens pour qui je suis un pantouflard comme les autres. Maintenant, je prends un avion et quelques heures plus tard, je suis dans ma cambrousse berbère au Maroc - ce qui est beaucoup moins fatigant qu'attendre près du téléphone.

Vous êtes néerlandais mais vous écrivez vos chansons en français. Et votre langue maternelle ?

J'ai écrit une chanson en néerlandais. Assez Kurt Weil, assez lente, assez triste - la Hollande, quoi. Elle parle d'un jardinier qui ramasse les cailloux.

Vous avez déjà chanté là-bas ?

Paradoxalement, c'est dans les Alliances françaises que j'ai fait une tournée aux Pays-Bas. Les Hollandais préfèrent la France amoureuse à un Hollandais bizarre. J'ai l'impression d'être définitivement étranger - d'ailleurs, étrange et étranger, c'est le même mot en hollandais.

Vous vous sentez étrange ?

Pour les psycho-rigides, je suis un mec bizarre. Mais pour quelqu'un qui s'intéresse aux choses de ce monde, je suis aussi bizarre qu'un enfant. Parfois aussi les enfants sont excessifs, radicaux. C'est un jeu. Je me sens plus joueur que bizarre. Aussi sérieux que le plaisir.