Tekameli
Ils sont sept. Six garçons et une fille qui posent leur voix d'or sur des rumbas catalanes, de celles que les gitans chantent et jouent dans les cafés et lors des mariages. Mais surtout Tekameli inscrit à son répertoire des chants sacrés entonnés tous petits déjà dans les assemblées religieuses et peu divulgués au public des payos (les non-gitans). Avec leur nouvel album "Ida et Vuelta" (Epic/Sony) Salomon et Moïse Espinas, Pascal Valles, Tato Garcia, Jean Soler, Julio Bermudes et Sabrina Romero déclinent sobrement l'âme gitane. Tekameli veut dire "Je t'aime" en kaló, l'ancienne langue des gitans d'Espagne...
Gitans de Perpignan
Ils sont sept. Six garçons et une fille qui posent leur voix d'or sur des rumbas catalanes, de celles que les gitans chantent et jouent dans les cafés et lors des mariages. Mais surtout Tekameli inscrit à son répertoire des chants sacrés entonnés tous petits déjà dans les assemblées religieuses et peu divulgués au public des payos (les non-gitans). Avec leur nouvel album "Ida et Vuelta" (Epic/Sony) Salomon et Moïse Espinas, Pascal Valles, Tato Garcia, Jean Soler, Julio Bermudes et Sabrina Romero déclinent sobrement l'âme gitane. Tekameli veut dire "Je t'aime" en kaló, l'ancienne langue des gitans d'Espagne...
Le groupe Tekameli, formé au tout début des années 90, a vu sa formation évoluer, allant du duo jusqu'à 10 personnes. Vous faites partie de la plus importante communauté gitane de France, celle de Perpignan, dans le Languedoc-Roussillon...
Et avec celle de Jerez de la Frontera en Espagne. Tekameli résume bien notre communauté. Nous sommes quatre Catalans et trois Espagnols et venons de quartiers rivaux de Perpignan, Saint-Jacques et le Vernet. A peu près tous en échec scolaire, nous faisions de petits boulots, il n'y a vraiment que la musique qui nous intéresse. On a décidé de se regrouper pour montrer l'exemple. Dans les mariages gitans, on se rencontrait forcément, même venant de quartiers différents.
Depuis toujours vous avez chanté et joué des rumbas catalanes, dans les cafés ou les fêtes, en quoi se distinguent-elles ?
La rumba est la musique caractéristique des gitans catalans. Au début était la rumba flamenca, les Catalans se la sont appropriée et l'ont alors baptisée rumba catalane. Elle se situe entre la rumba et le flamenco moderne, elle a plus de 100 ans et a été amenée par les immigrants cubains et portoricains dans le port de Barcelone. Sa particularité est ce qu'on appelle "le ventilateur", qui est une manière particulière de bouger les doigts en jouant de la guitare. Difficilement explicable, il faut être gitan pour cela. D'ailleurs le fils de Tato, le guitariste soliste de Tekameli, a seulement trois ans, il sait déjà faire "le ventilateur". Certains mettront des années...
La particularité de votre répertoire est qu'il est surtout composé de cantiques religieux, l'église évangélique ayant eu une grande influence sur la vie des gitans…
Personne n'osait chanter de répertoire religieux, par peur sans doute, parce que c'est un répertoire trop enfoui. Nous avons eu ce courage, mais il faut expliquer d'abord que dans les années 60, tous les cantiques chantés à "l'Assemblée" (l'église) étaient enseignés par des pasteurs français non-gitans. Mais les gitans ne trouvaient pas leur âme dans ces chants. Ils se sont donc mis à composer eux-mêmes des cantiques pour les "Assemblées" de leurs quartiers. Par exemple, Trenta, le père de Moïse et Salomon Espinas a composé une bonne partie des cantiques, appelés traditionnels, que toute la communauté gitane de Perpignan connaît bien.
L'une de vos chansons "la Novia" (la mariée) est un traditionnel auquel vous êtes très attaché...
Chez les gitans, "la Novia" est chantée pendant le mariage, en particulier juste après la cérémonie du mouchoir, pendant laquelle est vérifiée la virginité de la mariée. C'est une chanson de fête mais aussi de grande joie car la virginité de la jeune fille représente l'honneur et la fierté de la famille.
Cela nécessite un certain recueillement... Comment réagit le public en dehors de votre région, qui peut vous assimiler à de nouveaux Gypsy King ?
L'aspect religieux est très important dans nos familles et même non pratiquants, nous restons croyants. Alors nous chantons plutôt dans les cathédrales, les églises mais pas seulement, d'ailleurs notre public est plus attentif à écouter qu'à danser. En Italie, par exemple, les gens venaient nous voir en nous disant qu'ils ne s'attendaient pas à entendre des chants gitans aussi purs. Ils pensaient qu'on allait faire du Gypsy King. Même si on respecte ce que font nos cousins d'Arles, on se différencie d'eux et tant mieux si les gitans arrivent à transmettre des émotions différentes. C'est au travers des chants sacrés, ce n'est pas du flamenco non plus même si on s'en inspire. Mais on a de la chance avec le public, on n'entend pas une mouche voler... En Corse, nous avons chanté à Bonifacio et le public est à la fois amateur et connaisseur de voix grâce aux polyphonies. A Vancouver par contre, c'est nous qui étions sans voix devant 20 000 personnes...
Le chanteur algérien Khaled se joint à vous sur un thème "Oh Madre !", comment s'est déroulée la rencontre ?
Nous avons rencontré Khaled au festival des Méditerranéennes de Céret. Nous devions jouer dans les arènes de la ville, malheureusement ou plutôt heureusement, il pleuvait, donc nous avons fait un bœuf ensemble dans une salle pour le public en attendant que la pluie se calme. C'est par l'intermédiaire de Philippe Eidel qui a fait les arrangements de notre disque que nous avons par la suite, ajouté nos guitares sur le dernier disque de Khaled. Le jour où nous avons enregistré "Oh Madre", on cherchait une autre voix et Khaled est entré spontanément dans le studio. Pour le plaisir, il l'a chantée avec nous et nous avons gardé cette version. Sa voix s'est confondue avec le style andalou et cela nous a vraiment plu.
Vous ne vous en tenez pas aux seules guitares mais faites appel à d'autres influences notamment tsiganes avec celles de vos lointains parents d'Europe de l'Est ou du Rajasthan...
Oui avec parfois ce côté oriental que nous avons découvert grâce aux violons. On a été influencé par nos rencontres avec nos lointains parents, en 1995, à Lucerne, en Suisse, lors d'un festival de gitans du monde entier. Il y avait là des Egyptiens, des Hindous, des Hongrois, des roms, des tsiganes et même si nous ne parlions pas la même langue, on se comprenait grâce à la musique. Le vrai concert, il était à l'hôtel, dans les chambres, les portes ouvertes... Le seul qui ait râlé, c'est le gardien de l'hôtel, un payo, mais il s'est résigné.
La présence féminine de Sabrina Romero, 17 ans, chanteuse de flamenco est plutôt inhabituelle dans une formation quasi obligatoire de voix masculines...
Sabrina, originaire d'une famille de gitans andalous de Lyon est depuis un an dans le groupe. Au départ, elle devait juste enregistrer un thème mais c'est vrai que nous cherchions une chanteuse, même si c'est contraire à nos traditions. Sabrina s'est très bien intégrée, et il fallait en même temps qu'elle soit complice car nous composons tous ensemble.
Votre arrangeur et compositeur Philippe Eidel, qui a aussi réalisé les derniers albums de Khaled, est pour beaucoup dans la qualité de "Ida et Vuelta"...
Oui, parce qu'il a complètement respecté notre musique sans la dénaturer. On n'aurait pas accepté de guitares électriques. Lui, il a rajouté des instruments traditionnels comme un quatuor à cordes, des violons, des violoncelles, un accordéon et un orchestre de coplas catalanes.
A l'origine de votre démarche, un ethno-musicologue, Guy Bertrand, créateur du département de musiques traditionnelles à Perpignan, vous a beaucoup aidé ?
Il s'est intéressé à notre communauté et à nos pratiques musicales et religieuses. On doit dire qu'au début, c'était assez académique mais nous avions besoin d'une remise à niveau, on n'a jamais été très copains avec l'école. Mais là c'était différent, grâce à lui, pour essayer de comprendre notre musique, on a fait beaucoup de recherches sur la réalité de la musique gitane et d'où nous venions.