Julien Clerc en Asie
Résumé des chapitres précédents : en dignes héritiers de Tintin, nos héros viennent de boucler avec brio un tour de l'Amérique qui les mena des rives du Saint-Laurent à la Grosse Pomme, en passant par Hollywood et le Golden Bridge. Partout ce ne fut que hourras et bravos ce qui, depuis Maurice Chevalier, ne s'était guère vu au pays du roi rock'n roll.
Le patineur par 35° à l'ombre
Résumé des chapitres précédents : en dignes héritiers de Tintin, nos héros viennent de boucler avec brio un tour de l'Amérique qui les mena des rives du Saint-Laurent à la Grosse Pomme, en passant par Hollywood et le Golden Bridge. Partout ce ne fut que hourras et bravos ce qui, depuis Maurice Chevalier, ne s'était guère vu au pays du roi rock'n roll.
Ayant amplement mérité de la mère-patrie, nos héros auraient pu sans rougir s'arrêter là, et savourer un repos salvateur sur quelque terrasse de bistrot parisien, dont on se doute qu'elles durent leur manquer chez un oncle Sam qui n'aime pas consommer sur les trottoirs.
Mais ce serait mal connaître nos vaillants défenseurs de la culture francophone en général, et de la chanson française en particulier : à peine le temps d'un verre de sauvignon sur le pouce, et voilà nos héros repartis à la conquête du monde.
Cette fois, c'est vers l'Orient que se jette leur dévolu. Mal remis d'une tripotée de décalages horaires, ils se jettent sans hésiter vers le soleil levant. Première escale : Bangkok. Moins alertes qu'eux, nous allons rater ce premier rendez-vous asiatique. Mais nous serons au second : Phnom-Penh.
Passablement en avance sur l'horaire, la saison des pluies a transformé les rues de la capitale du Cambodge en canaux vénitiens. Le taxi-mobylette soulève des gerbes de flotte, aspergeant généreusement les passants imprudents. Tout compte fait, il est moins dangereux pour son pantalon d'être assis derrière le chauffeur-arroseur que debout sur le trottoir. Au bout de quelques aqua-plannings acrobatiques, nous atteignons la salle Chaktomuk, au bord du majestueux Mékong qui ondule vers le Vietnam.
Pas le temps d'admirer le coucher du soleil sur ces embarcations d'un autre temps, glissant vers la nuit du fleuve. Julien Clerc est déjà en coulisses, dans les starting-blocks, prêt à entrer sur scène au signe de Fifi, son fidèle " Indien ". Il a une grosse serviette autour du cou, Julien, qu'il jettera bien sûr au dernier moment : 35° degrés à l'extérieur, 15° dans les chambres d'hôtel et les avions, c'est radical pour l'angine. Alors, il faut redoubler de précautions pour ne pas casser cette voix qui, depuis quelques semaines, enchaîne les changements de température .
Et c'est parti, la bête est sur scène. Pour la combientième fois, depuis ce jour de 1968 où Clerc donna son premier concert ? Incalculable. Pourtant, ce soir, ce sera différent. Forcément différent. Quand, à plus de 50 ans, on n'a plus rien à gagner, ni gloire, ni honneurs, ni argent, qu'est-ce qui vous pousse donc à faire autant de kilomètres pour aller remettre son titre en jeu devant un public qui ne vous connaît guère ? Car si ce soir sont bien sûr présents tous les français de Phnom-Penh, il y a aussi dans la salle de très nombreux Khmers, jeunes pour la plupart, attirés par la rumeur publique.
Inutile de se leurrer : le Cambodge, encore mal remis de ses années de drame, vit très replié sur lui-même. En matière de musique, il n'écoute guère que sa musique, et celle de la Thaïlande voisine. Même Michael Jackson est ici un inconnu. Quant à la francophonie, il suffit de demander plusieurs fois son chemin dans la rue pour se faire une idée de sa vitalité…
Mais le Centre Culturel Français, via la radio, a bien fait sa promo. Et, dans cette ville où il ne se passe pas tous les jours quelque chose d' " international ", on ne va pas rater une occasion de se distraire. La salle Chaktomuk est pleine à craquer.
Tout cela, Julien Clerc le sait bien. Il faudra convaincre, séduire, comme à se débuts. Parions que pour cet artiste qui n'aime vraiment que la scène, là est le piment attendu. Pour corser le tout, pas de batterie, pas de cuivres ni de cordes, pas de choristes ; un piano et une guitare, c'est tout. Autrement dit, pas le droit à l'erreur.
D'erreur, il n'y aura pas. Des " Séparés " à " Jaloux ", suivis de trois rappels hystériques, Julien va voir se succéder sur scène des dizaines de splendides jeunes filles, venues lui faire la bise entre deux chansons. Il manquera même se casser la figure en glissant sur le véritable tapis de fleurs jetées par le public. Là pourrait commencer la description d'un de ses habituels récitals, à Dunkerque ou Marignane. Sauf qu'on est à huit mille kilomètres de là, et qu'il y a deux heures encore, personne ne reconnaissait Julien Clerc dans la rue. Chapeau, l'artiste.
Prochaîne étape : Singapour.
Qui sera hélas la dernière de cette tournée asiatique, les concerts en Chine ayant dû être annulés à la dernière minute pour cause de conjoncture défavorable.