AMINA

Oum Kalthoum techno


"Annabi" n'est pas un disque, c'est une fantasia musicale d'aujourd'hui. Les hordes de musiciens arrivent au galop par vagues entières jusqu'à nos oreilles avec comme grande prêtresse la splendide carthaginoise. Il s'agit d'une grande fête où tous les genres sont invités. Un exercice de voltige vocal où chacun à son mot à dire, sa note à pousser. Les gnawas prennent le tempo d'un rythme drum'n'bass. "My Man" l'hymne de la chanteuse jazz Billie Holiday devient un OVNI technnoïde porté par le sirocco. La grâce, la luxuriance des rythmes arabes et jungle, tout est harmonieux. Il n'est que d'écouter "Allah Ya Moulenah", chanson où les voix des Nass El Ghiwane répondent au chant plaintif d'Amina sur fond de rythmique techno.

Autre moment extatique, celui du rendez-vous fort improbable et pourtant remarquablement honoré entre Christophe et Amina sur "Les Mots Bleus". Ce duo fait du plus suranné des slows des années 70, une splendide perle méditerranéenne, à l'indigo profond comme la voix d'Amina. Le charme de cette voix feutrée, parfois nasal sur "Lirrili" opère tant et si bien que l'on passe sans sourciller d'un tempo groove en anglais "Eight O'Clock" à une balade en français "l'Inconditionnel Amour". Puis on revient à un morceau en arabe "Men Jibb !".

Bien sur, ce n'est pas la première fois qu'Amina accompagné de son Pygmalion de mari Martin Meissonier (producteur de Khaled, Carmel ou Manu Dibango) fait dans le patchwork et le métissage, mais jamais l'harmonie n'avait atteint ce degré de perfection. Meissonier a lui, un début d'explication : "Un jour, un percussionniste marocain m'a expliqué un truc génial à partir d'une étude linguistique. Quand tu parles en français, tu parles en 6/8 (mesure musicale). C'est 1, 2, 3, 4, 5, 6. Et le temps fort en français, c'est le deuxième. Celui qui correspond à la caisse claire dans le rock. C'est pour cela que le rock et le français ne font pas toujours bon ménage parce que la fréquence de la voix est dépassée par celle de la batterie". Plus poétiquement, on se contentera de dire que l'alchimie ça ne s'explique pas, ça se savoure. Le fait que des vocalises arabisantes se conjuguent aussi parfaitement aux rythmes drum'n'bass, que les violons de Joseph Racaille et les percussions des Nass El Ghiwane se jouent aussi bien du carcan techno dans lequel on les loge, laisse rêveur. Avec "Annabi", Amina chanteuse tunisienne nous enveloppe dans le taffetas de sa voix chaude et signe de sa griffe son meilleur album.