Tony Allen

L'ex-batteur de Fela signe Black Voices, un nouvel album qui marie l'afro-beat aux samples électroniques et qui tente de réconcilier l'homme et la machine, avec la complicité de Docteur L. (Liam).

Afro-beat sous perfusion électronique ?

L'ex-batteur de Fela signe Black Voices, un nouvel album qui marie l'afro-beat aux samples électroniques et qui tente de réconcilier l'homme et la machine, avec la complicité de Docteur L. (Liam).


Il a longtemps servi le charisme du Black President, avant de s'envoler vers l'Europe en 77 pour y chercher d'autres sources d'inspiration. Leur rencontre date de 1964. Tony Allen jouait dans un groupe de jazz. Il passait pour être le meilleur batteur de la place, au Nigeria. Il n'en fallait pas plus pour que Fela l'embarque dans son aventure. A l'époque, le groupe du père Kuti se prénommait Koola Lobitos. Il incarnait le laboratoire d'idées qui allait engendrer plus tard, l'afro-beat. Un mélange sonore de musiques africaines (highlife, juju…), de jazz revisité, sur lequel sont venus s'ajouter des influences funk et un discours très engagé politiquement. Une bombe rythmique bâtie sur un concept militant : "une idée, un morceau". Les deux amis en feront même une devise. C'était en 69, au retour d'une tournée américaine que le contact avec les Black Panthers a été déterminant.

Lorsque Tony quitte le Nigeria, il est à la recherche d'un nouveau souffle, d'une nouvelle pratique du son. L'afro-beat est un genre qu'il faut savoir renouveler pour mieux l'inscrire dans le temps. L'afro-beat est une métaphore de la rencontre et des échanges. Il monte alors un projet ("N.E.P.A") qui l'amène à collaborer avec des artistes de renommée internationale tels que Ray Lema, Manu Dibango ou encore Roy Ayers. On se l'arrache dès qu'on peut sur les scènes, aussi bien underground que grand public. A Londres et à Paris, on suit son évolution jusqu'à ce qu'il se fasse signer par un jeune label français, Comet Records, qui lance un premier maxi en 98, "Ariya", histoire peut-être de tâter le terrain… 3.000 exemplaires vendus en vinyle en un temps record. Un début d'aventure heureuse qui avait pour but en réalité d'annoncer "Black Voices".

Un projet unique qui part d'un constat. La scène électronique carbure à un rythme inhabituel en ce moment et se ressource de façon éclectique dans toute la galaxie. On a beaucoup parlé par exemple du label new-yorkais Spiritual Life, du miracle asiatique sur Londres. Ils ne représentaient bien sûr qu'une face cachée de l'Iceberg. Dans l'ensemble, on a surtout retenu des expériences osées en matière de mariage sonore. On injecte de nouvelles choses dans l'esprit des machines. On leur apporte des pratiques instrumentales qui n'existaient pas jusqu'alors. On ne souhaite plus renforcer les barrières qui l'opposent à une certaine humanité. En France, la tendance a choisi il y a bientôt un an, de se tourner vers l'Afrique pour des raisons que l'on peut facilement imaginer. Le sample de Fred Galliano pour citer un exemple, est parti rencontrer Nahawa Doumbia et Neba Solo. Sur le continent noir, des artistes s'y essayent avec bonheur. Babacar Faye, Issa Bagayogo… les noms défilent autour de cette nouvelle dynamique. On n'oublie pas que Wally Badarou avait été le premier à le faire avec son fameux "dansometter" il y a de cela plusieurs lunes.

Là-dessus s'amène un ardent défenseur du son authentique, qui a toujours su montrer son ouverture en matière de création musicale. Tony Allen, fort de l'expérience accumulée aux côtés de Fela Anikulapo Kuti, ressort une vieille audace, jamais aboutie complètement pour des raisons que l'on ne s'explique pas. L'afro-beat n'est pas mort. Pourquoi ne pas continuer son histoire, en le renouvelant au contact des machines. Cela lui ressemble en tous cas. Doctor L. (Liam) est appelé à la rescousse. Les séances de réflexion commencent sur le maxi "Ariya" et débouchent sur cet album qu'il a entièrement produit, avec les contributions de quelques illuminés du son (Clip Payne et Mudbone Cooper des P-Funk All Stars, le guitariste Seb Martel déjà entrevu en compagnie de Sinclair, le bassiste César Anot connu pour ses collaborations avec Alpha Blondy et Cheikh Tidiane Seck. Un album entre acoustique et électronique au groove défiant tous les rituels en vigueur jusqu'alors sur les pistes occidentales. A la Winter Conference de Miami, une rencontre de Dj's qui a eu lieu en mars, on avait l'air d'apprécier. L'afro-beat version 2000 s'annonce prometteur pour les maîtres clubbers. Le mariage sonore a l'air d'avoir réussi. On peut ne plus parler de perfusion électronique : c'est ce qu'on craignait.

Soeuf Elbadawi

Black Voices (Comet Records)