Reggae à la française
A côté des pionniers (Pablo Master, Supa John, Daddy Yod...) et des défricheurs de la nouvelle vague (Raggasonic, Saï Saï, Tonton David, Princess Erika...), il aura fallu attendre la fin des années 90 pour que toute une vague d'artistes reggae "à la française", nourris par la culture occidentale et celle des sound systems, rencontre les faveurs d'un large public. En cette fin de siècle, le reggae semble incarner une alternative toute aussi contestataire, mais plus profonde et constructive, à un rap souvent déprimant. Portrait de trois nouveaux venus aux yeux du grand public: Sinsemilia, Pierpoljack et K2R Riddim.
Sinsemilia, Pierplojak et K2R Riddim
A côté des pionniers (Pablo Master, Supa John, Daddy Yod...) et des défricheurs de la nouvelle vague (Raggasonic, Saï Saï, Tonton David, Princess Erika...), il aura fallu attendre la fin des années 90 pour que toute une vague d'artistes reggae "à la française", nourris par la culture occidentale et celle des sound systems, rencontre les faveurs d'un large public. En cette fin de siècle, le reggae semble incarner une alternative toute aussi contestataire, mais plus profonde et constructive, à un rap souvent déprimant. Portrait de trois nouveaux venus aux yeux du grand public: Sinsemilia, Pierpoljack et K2R Riddim.
Sinsemilia
Disque d'or avec son second album Résistances, sorti en mai 1998, Sinsemilia est le premier exemple de ces groupes reggae, ignorés par le circuit traditionnel des majors, à avoir su fidéliser un public suffisant pour aujourd'hui rivaliser, en termes de ventes de disques notamment, avec une scène rap de plus en plus éphémère pour ses prétendants. En 1996, ils proposent leur Première récolte, un CD autoproduit. Par leurs propres moyens, ils en écouleront 4.000 exemplaires dans la région grenobloise, d'où ils sont originaires. Au final, sans aucune exposition médiatique, ce premier essai artisanal, dont la distribution a été relayée par un indépendant du Sud de la France, Discadanse, cumule près de 40 000 ventes depuis sa sortie.
Unis pour la plupart depuis 1990, la moyenne d'âge des 10 membres de Sinsemilia tourne autour de 26 ans. Adolescents de la fin des années 80, influencés tant par les classiques reggae (Bob Marley, Gladiators, Steel Pulse, Burning Spear...) et ska que par le rock alternatif de cette époque (Mano Negra en tête), ils confient la production de leur dernier album, Résistances, à Erwin Autrique, qui, après avoir travaillé pour la Mano Negra, les Innocents ou Louise Attaque, ne passe pas pour un requin du sérail reggae. Dans la lignée de son prédécesseur, Résistances marque une évolution du groupe vers des textes principalement en français, un changement capital qui ancre un peu plus le reggae dans les possibilités crédibles d'une chanson française en plein renouveau, ouverte comme jamais (en atteste leur reprise de la Mauvaise réputation, de Georges Brassens).
Parallèlement à ce parcours discographique, la scène, depuis le début, est leur meilleur outil de promotion. Au fil de leurs tournées marathon, les occasions de se faire remarquer n'ont pas été gâchées : festival reggae au Zénith de Paris, concerts sold out au Bataclan de Paris comme dans la plus grande salle de Grenoble (4.000 places), Eurockéennes de Belfort, Printemps de Bourges... Le 10 juillet prochain, à la Rochelle, le festival des Francofolies les invitera pour une soirée spéciale, "la Fête à Sinsé".
Pierpoljak
Le succès commercial de Sinsemilia a ouvert les vannes médiatiques à d'autres artisans du reggae français, dont le vétéran Pierpoljak. En 1989, on le retrouvait déjà sur le précurseur Earthquake, une compilation qui regroupait quelques futures célébrités du genre, dont Ricky et Ramsès, du groupe Saï Saï, et Tonton David. La culture reggae, spirituelle et humaniste, a certainement joué comme un facteur structurant dans la personnalité de ce trentenaire, ex-skinhead de Colombes, détenu un temps à Fleury-Mérogis. Aujourd'hui, les chansons de Pierpoljack résonnent de vibrations positives, qui s'échappent notamment de son dernier CD, Kingston Karma, commercialisé l'an dernier.
Auparavant, Pierpoljak n'avait publié qu'un double album au concept original: un CD fait à la campagne, à Doué Dormecy, un autre aux mythiques studios Tuff Gong, à Kingston. Enregistré, lui aussi, à la Jamaïque par le légendaire producteur Clive Hunt (Bob Marley, Jimmy Cliff...), gourou des studios Tuff Gong, encadré par une armada de pointures (le percussionniste Sticky Thomson, le batteur Leroy Wallace, le guitariste Earl Smith, le bassiste Earl Holt...), l'album Kingston Karma, d'une facture musicale extrêmement classique, est celui de la consécration (plus de 100 000 exemplaires vendus en France). Même les radios, qui commencent à peine à se rendre compte de l'existence d'une scène reggae riche, se sont emballées pour ses tubes Je sais pas jouer et Pierpoljak. Les fans, comme les retardataires curieux, ne rateront pas le passage de Pierpoljak cet été dans leur ville (Auxerre, Lyon, Dour, Châtellerault, Calais, Fréjus, Nîmes en juillet). A noter aussi sur l'agenda: les festivals de Nyon, Montréal, La Rochelle (Francofolies) et Belfort (Eurockéennes).
K2R Riddim
S'ils n'ont pas encore accroché la moindre position du sacro-saint Top 50, les K2R Riddim ont néanmoins toutes les raisons de ne pas se décourager. Le persévérant combo de Cergy Pontoise, en région parisienne, grappille lentement mais sûrement les fruits d'une reconnaissance méritée. Si leur premier album, Carnet de roots, ne date que de l'automne 1998, c'est en 1992 que commence leur histoire, autour d'un trio de base. Cinq ans passent. Le groupe se renforce, avec l'arrivée de quatre autres musiciens. K2R Riddim vient de trouver son équilibre actuel. Chacun mélange ses influences, qui vont de Desmond Dekker et les Skatalites aux Upseters, Benny Man et autres Buju Banton, donnant forme à un reggae bien plus métissé qu'il n'y paraît, illuminé d'une touche jazz par-ci, d'un soupçon oriental par-là, et où la flûte traversière et le violoncelle viennent accompagner joliment une musique qui puise sans équivoque dans le patrimoine jamaïcain de ces trois dernières décennies. Et au micro, pas moins de trois chanteurs se relaient.
Malgré un éclectisme qui saute aux oreilles, les sept compères du Val-d'Oise, multi-instrumentistes (guitare, basse, batterie, trombone, percussions, flûte, clarinette, saxophone, clavier, violoncelle, trompette), décident d'appeler Carnet de roots leur profession de foi discographique originelle. Souvent sur les "roots", il est vrai, K2R Riddim n'avait jusqu'alors pris le temps d'enregistrer que deux titres entre 1996 et début 1998, Miss Millie et One by one, respectivement sur les compilations de ska français Stomping with the frogs et Skapellation d'origine contrôlée. Joyeux et festifs et plutôt d'un optimisme combatif sur les sujets graves (comme la discrimination), les 14 morceaux de ce "Carnet de roots" résume parfaitement une formule qui, elle aussi, s'est affirmée par la scène, au gré d'une série de 120 concerts et de quelques premières parties propres à relever leur C.V. (les Toasters, Mad Professor, Toots and the Maytals, Dr Ring Ding, Sinsemilia...). Autoproduit et d'abord autodistribué, l'album a finalement trouvé un distributeur en France, l'indépendant Tripsicord.
Sinsemilia Résistances (Double T Music/Sony Music)
Pierpoljak Kingston Karma (Barclay/Universal Music)
K2R Riddim Carnet de roots (Toucouleurs/Tripsicord)