Le Québec de Plume

Petit retour sur le Festival d'été de Québec qui, le samedi 17 juillet, recevait Plume Latraverse, artiste râleur et assoiffé lequel, que ça lui plaise ou non, a sa place de parking réservée au panthéon de la chanson québécoise. Avec son plus récent groupe, les Timononks, il a donné un spectacle qui sentait la bière et dont la plupart des chansons étaient reprises par un public fidèle et complice. Rencontre.

Plume Latraverse au Festival d'été

Petit retour sur le Festival d'été de Québec qui, le samedi 17 juillet, recevait Plume Latraverse, artiste râleur et assoiffé lequel, que ça lui plaise ou non, a sa place de parking réservée au panthéon de la chanson québécoise. Avec son plus récent groupe, les Timononks, il a donné un spectacle qui sentait la bière et dont la plupart des chansons étaient reprises par un public fidèle et complice. Rencontre.

Tout le monde m'avait dit : "Tu as rendez-vous avec Plume ? Eh bien, bon courage!…". Je me demandais donc qui était ce personnage étrange, figure clé de la culture québécoise depuis les années 70 et qui laissait souvent derrière lui des relents bougons, redoutés, semble-t-il, par beaucoup. Je me suis renseignée, j'ai potassé, et j'ai découvert ce que le Québec sait depuis longtemps : Plume Latraverse est un auteur pour le moins unique, virulent et provocateur. Certains le disent vulgaires, beaucoup le disent génial. Ses chansons sont autant de coups de poings qui dénoncent les travers de la société. Tout l'énerve et il ne manque pas de le faire savoir. Instinct de survie ? Possible. "Là où tout le monde s'exclame, je m'interroge." lance-t-il.
Plume est un personnage dans tous les sens du terme. Derrière lui, il y a Michel Latraverse, travailleur infatigable, écrivain, poète, peintre, voire homme d'affaire. Dernièrement, Michel a retrouvé Plume et est revenu à la chanson alors qu'il pensait ne plus rien avoir à dire. Le FEQ était une excellente occasion de faire parler la bête à deux têtes. Et le monstre s'est révélé tout à fait fréquentable…

Quelques mois avant de sortir votre dernier album ("Mixed Grill" / Dragon-Musicor), vous disiez que vous n'aviez plus guère d'inspiration. Et finalement, vous avez accouché de ce disque à la grande surprise de tout le monde. A votre surprise aussi ?
Oui, je dois avouer. Chaque fois que je fais un disque, c'est comme si je creusais un trou et quand le disque est là, j'ai une espèce de sensation de vide. Chaque album contient un max de chansons. J'essaie de remplir un CD au maximum de sa capacité. Donc forcément, il y a crise existentielle qui accompagne ça. Et je m'imagine à chaque fois que j'ai dit tout ce que j'avais à dire, parce qu'il ne faut pas se répéter. Il faut trouver de nouvelles formules. Et après tous ces albums, tant qu'à en faire un pour ne rien dire, j'aime autant ne pas en faire. Puis à ma grande surprise, l'eau s'est mise à remonter dans le trou et tout a recommencé. C'est toujours un peu la même chose. Il y a une première chanson, puis le train part.

Et savez-vous ce qu'il s'est passé pour qu'un premier wagon entraîne les autres?
Peut-être y a t'il eu un élément déclencheur lors de voyages. Il y a des choses qui s'emmagasinent à notre insu. Ça s'est passé un 1er avril je crois. Un premier du mois, ce qu'on appelle familièrement ici, la journée du chèque, l'assistance sociale. J'ai constaté tout le brouhaha qu'il y avait autour de ça et ça a été la locomotive. Le train a démarré et les wagons, s'y sont rattachés.

Dans une entrevue, vous évoquiez la contradiction entre votre "volonté de rester caché et ce goût irrésistible de monter sur scène". Est-ce que c'est parfois un problème pour vous d'être célèbre?
Ça peut l'être. Parce qu'ayant développé un personnage quelque peu hirsute, qui fait partie de moi, et qui marche sous le sobriquet de Plume, ça crée un personnage de bande dessinée que les gens tentent de s'approprier pour eux. Mais derrière, il y a moi qui fait un travail et qui se donne la peine d'écrire toutes ces choses-là, qui contrôle la carrière en question, le trou dont je parlais précédemment. Alors, ça crée parfois une distorsion entre les gens et moi et surtout une scission entre mon moi et mon soi.

Pourriez-vous vous passer de la scène?
Je dis toujours que je pourrais peut-être me passer de la scène, mais c'est la scène qui vient me rechercher. Je ne voudrais pas faire trop d'affirmation là-dessus. On est toujours à la fois gagnant et un peu victime dans ce métier-là. Et dans le métier de la vie aussi je suppose.
Je crois que j'aimerais travailler un peu plus en coulisses comme un comédien qui décide un jour ou l'autre de passer de l'autre côté de la caméra pour compléter un travail de création qui est tout aussi intéressant. Alors peut-être que oui, je pourrais me passer de la scène.

Dans votre répertoire, vous avez souvent chanté la connerie humaine. Est-ce que ce n'est pas déprimant de consacrer une grande partie de son temps à ça?
J'aime mieux traiter de la connerie humaine, qui est quelque chose de très très constant depuis le début des temps, que de l'amour qui devient un peu languissant à la longue. Je n'ai jamais fait de chansons d'amour comme telles. Ou alors pour les coincer entre deux blocs de connerie humaine pour les rendre plus tendres et juteuses.

Est-ce que dans la chanson québécoise actuelle, il y a des artistes qui vous touchent?
Forcément, il y a les incontournables comme Desjardins, que je connaissais depuis longtemps mais qui a bourgeonné d'un coup sec. Il y en a d'autres moins connus mais qui ne sont pas assujettis au marketing à outrance qui s'est développé depuis 20 à 25 ans. Ces gens risquent à un moment donné d'apporter quelque chose de nouveau en notant qu'il y a une clientèle de spectateurs pour les écouter et s'attacher à eux. Sinon, c'est toujours, comme en France, le hit-parade qui prime avec tout son galvaudage qui nous tache.

Et musicalement, êtes-vous intéressé par le rap ou les musiques électroniques?
Non, ça ne me touche vraiment pas. On a le droit d'être influencé par ce qui nous intéresse. Et moi, j'ai toujours été influencé par les lignes mélodiques, quelque chose qui se transporte aisément, que tu peux aller chanter tout seul avec ta guitare, sans nécessairement être à la fine pointe de la mode. Je suis un troubadour ou un chanteur de cuisine, capable de jouer en groupe aussi mais, j'ai mon âge et je suis issu de ma génération également.

Et pourtant, il y a un site Internet à votre nom plumelatraverse.com. Vous êtes-vous investi dans ce projet?
Non, pas du tout. Je n'en suis pas encore à l'Internet. J'ai à peine le téléphone et je vais peut-être m'acheter une télévision en couleur. Comme disait Brassens, "Je suis foutrement moyenâgeux".

Justement, vous partagez le même amour pour Georges Brassens et pour Charles Trenet aussi. Mais un voit la vie en rose alors que l'autre en a une vision plus sombre. N'est-ce pas contradictoire?
Oui mais, ce n'est pas contradictoire du tout. Surtout si je me réfère au fait que Trenet a été l'idole de Brassens pendant longtemps. Non, je crois que c'est issu d'un certain amour du verbe français. Il y a une référence marquée pour les Fables de La Fontaine, la façon dont les choses sont tournées. Je crois qu'à ce niveau-là, à la fois Trenet et Brassens ont su fouiller ces tournures pour explorer des thème bien sûr différents. Mais c'est difficile de trouver beaucoup de thèmes sans dire "je t'aime, je t'aime, tu ne m'aimes plus".

Vous avez toujours aimé chanter en France. Quand pensez-vous revenir?
La dernière fois, j'ai fait le festival de Marne, il y a deux ans je crois. J'ai adoré la France. J'y avais été à une époque où je faisais affaire avec une petite maison de disques, un petit tourneur. C'était familial. Ça a duré comme ça pendant une dizaine d'années et à un moment donné, toutes ces petites maisons-là ont fermé leurs portes. Je me suis alors retrouvé dans une plus grosse boîte. Ça me les a cassées. Je me suis dit que je n'avais vraiment pas besoin de ça dans la vie. Et j'aimais mieux garder ces vieux souvenirs de Paris, les vieux quartiers, les vieilles madames, les vieux bistros, tout ce qui n'existe plus.
Si d'occasion, il y a un festival qui m'invite… Mais, je l'aurais parcourue la France, dans tous les sens, dans notre super camion, qui n'avait plus l'air d'un camion quand on a fini la tournée. Je ne regrette vraiment pas cette période. J'aime mieux la garder au chaud dans ma tête.

En France, les radios sont soumises à des quotas de chansons françaises. Est-ce que la lutte pour la langue française a de l'importance pour vous ?
C'est important pour nous au Québec. On n'a pas tellement le choix. On est collé au Big Brother américain. Et disons le, on est tenu à l'écart de la France. Il y a des choses qui se passent, mais tous les artistes ne font pas des "Notre-Dame de Paris" qui marchent en France. Donc, il y a une culture qui doit se maintenir ici, même si elle baigne de plus en plus dans le world beat. Mais contrairement aux Français, on n'a pas une admiration quasi religieuse envers ce qui se fait aux Etats-Unis. Ici, on a besoin de lutter contre ça. Quant aux quotas de radio, je n'ai jamais eu vraiment à m'en soucier parce que je n'ai jamais été le gars le plus diffusé en radio.
Je crois beaucoup dans le fait d'aller transporter mon virus parmi les gens. C'est comme ça qu'une carrière se crée. Et que les sentiers peuvent durer s'ils ne sont pas trop fréquentés parce que s'ils deviennent des autoroutes, n'importe qui se lance là-dessus et on n'en finit plus.

Site de la Société des Plumeurs