Les Têtes brûlées

Ces allumés, phare du bikutsi scénique, reprennent du service. Le public des Bals-concerts du parc de la Villette, à Paris, peut en témoigner. Le déluge de sons déballés dimanche 15 août au soir valait bien le déplacement. Avant-goût d'une tournée prévue en France en novembre.

Ahanda à la barre…

Ces allumés, phare du bikutsi scénique, reprennent du service. Le public des Bals-concerts du parc de la Villette, à Paris, peut en témoigner. Le déluge de sons déballés dimanche 15 août au soir valait bien le déplacement. Avant-goût d'une tournée prévue en France en novembre.

On croyait le groupe Les Têtes brûlées, fini et déphasé. Après la disparition du leader virtuose Zanzibar, on pouvait penser que le destin signait définitivement leur mort. Par capitulation. Mais c'était probablement parler sans tenir compte de l'acharnement et du talent qui caractérisent cette formation camerounaise. Au début c'est vrai, le navire a semblé dériver quelque peu. Une réputation sulfureuse d'enfants trop gâtés par la réussite les poursuivait. Le manque d'inspiration menaçait de les prendre à la gorge. Au cours d'une bizarre tournée concoctée aux Etats-Unis par une politicienne camerounaise, certains membres du groupe se sont mis à vendre du play-back et à jouer de la grosse tête, à cause de quelques rencontres sans lendemain qui leur ont promis la gloire. Décalage aidant, le navire faillit prendre l'eau au bout d'un moment. Plusieurs mois après leur dernière sortie d'album ("Be Happy" en 95), on pouvait sérieusement craindre le pire.

Mais il n'en fallut pas plus à Jean-Marie Ahanda et à son bassiste Martin Maah, tous les deux membres fondateurs de cette fabuleuse équipée, pour reprendre du poil de la bête. En virant les brebis galeuses pour éviter le pourrissement des idéaux du début. En remettant du sang neuf pour contourner le syndrome du vieillissement. Et en traçant de nouvelles orientations pour faire évoluer le répertoire.

La devise choisie consiste à pousser encore plus loin la logique du bikutsi. Il s'agit de continuer à sortir une palette complète de ce rythme hypnotique et énergique (6/8), issu de la forêt équatoriale, en déclinant de nouvelles variantes inconnues du public. En s'ouvrant de temps à autre à de nouvelles sensibilités apportées par le reggae ou le makossa dans une forme un peu plus délurée. Cela correspond à l'état d'esprit de ces têtes brûlées du son électrisant d'une Afrique urbaine qui sait s'abreuver à la source du passé. Une Afrique qui sait surtout mettre en valeur ses racines et son patrimoine, lorsqu'elle fait le grand saut de la modernité. Ce sont des valeurs que revendique le groupe. A travers un nouveau répertoire qu'ils ont mis en place durant ces deux dernières années, sur lequel ils privilégient de plus en plus le talent de chacun des instrumentistes à la place d'une performance de groupe qui a désormais fait son temps. Plus de liberté à chacun des maillons de la chaîne pour une orchestration plus riche au final. Beaucoup de percussions aussi, des pièces plus élaborées, un travail qui promet d'être encore plus entraînant.

Au niveau des textes, l'ensemble continue avec les constats basiques qui ont fait leur succès auprès du grand public. Ils essayent de mimer les premières réactions qui s'expriment chez les petits, quand la galère arrive. "Ça ne va pas", "ce n'est pas normal", "ce sont des hauts et des bas", "il faut qu'on fasse quelque chose"… le message se veut positif.

Par ailleurs, Jean-Marie Ahanda s'est découvert une mission. Au cours d'un manga, cérémonie rituelle - typique de la côte au Cameroun - supposée réconcilier les hommes, la terre et l'océan, là où tous les fleuves retrouvent la mer, il a fait une rencontre du troisième type. Allongé sur une plage face à l'Atlantique, il a vu un individu de race blanche sortir de l'eau, passer devant lui et retourner dans l'eau ensuite. Un présage. Une expérience personnelle de communion possible avec des êtres parallèles vivant sous l'océan en tous cas. "Dans cette rencontre, dit-il, il y a eu comme une suggestion, qui comptera dans mon travail" L'inspiration repart donc de plus belle. Avec une dose de mystique, juste ce qu'il faut pour ne pas sombrer dans la culture décadente de ce monde. Spirituelle, la nouvelle mouture des Têtes Brûlées s'annonce également chaude. Le public du parc de la Villette hier s'est laissé littéralement happer par le beat frénétique lâché sur scène par ces messieurs. Du grand art pour mélomanes danseurs.

Soeuf Elbadawi

PS. Urgent : Têtes Brûlées cherchent maison de disques !