Jean-Louis Murat

Fougueux, libre, dépaysant, "Mustango", le nouvel album de Jean-Louis Murat sort le 24 août (chez Labels). Presque assuré de ne pas passer à la radio ni à la télévision en France, malgré le tempo séduisant de "Jim", le premier single extrait de l'album, Murat peut néanmoins compter sur la fidélité du public qui le suit depuis "Cheyenne Automn" il y a dix ans, et fait de lui la valeur sûre d'une nouvelle chanson française dont il est, à quarante-trois ans, le prototype et le meilleur vendeur. Et cet album enregistré aux États-Unis, avec entre autres Marc Ribot ou les musiciens de Calexico, s'annonce déjà comme une date importante dans la discographie de Murat, avec plusieurs chansons remarquables comme "Polly Jean" (inspiré par la chanteuse PJ Harvey), "Les Gonzesses et les pédés" ou "Au Mont Sans-Souci". Rencontre avec un chanteur à la fois satisfait et bougon, rageur et philosophe.

L'Auvergnat d'Amérique

Fougueux, libre, dépaysant, "Mustango", le nouvel album de Jean-Louis Murat sort le 24 août (chez Labels). Presque assuré de ne pas passer à la radio ni à la télévision en France, malgré le tempo séduisant de "Jim", le premier single extrait de l'album, Murat peut néanmoins compter sur la fidélité du public qui le suit depuis "Cheyenne Automn" il y a dix ans, et fait de lui la valeur sûre d'une nouvelle chanson française dont il est, à quarante-trois ans, le prototype et le meilleur vendeur. Et cet album enregistré aux États-Unis, avec entre autres Marc Ribot ou les musiciens de Calexico, s'annonce déjà comme une date importante dans la discographie de Murat, avec plusieurs chansons remarquables comme "Polly Jean" (inspiré par la chanteuse PJ Harvey), "Les Gonzesses et les pédés" ou "Au Mont Sans-Souci". Rencontre avec un chanteur à la fois satisfait et bougon, rageur et philosophe.

Pourquoi avoir enregistré ce disque aux États-Unis?
J'avais envie de me dépayser, d'aller vers de vrais musiciens, de prendre des risques, de sortir de France. Je ne suis pas pro-américain mais je suis resté quatre mois là-bas et je peux dire que c'est vraiment le pays idéal pour faire de la musique et enregistrer. L'ambiance est super, les musiciens sont compétents, les studios sont sympas, l'album s'est fait tout seul. J'allais voir des concerts tous les soirs et je disais aux types: "J'aime comme vous jouez, voulez-vous jouer avec moi?" J'ai travaillé à New York, puis à Tucson en Arizona, j'ai enregistré avec Calexico, avec des musiciens de Dylan, j'ai travaillé avec un mixeur venu du rap - il a fait Public Enemy, Nas. Je me suis très bien entendu avec tout le monde, j'ai rencontré des gens curieux, ouverts, que ça intéressait de travailler avec un Français.

Il y a quelques années, à votre première tournée, vous disiez n'y pas prendre de plaisir. Vous serez sur les routes en octobre: vous avez changé d'avis?
Il n'y a pas beaucoup de plaisir à partir en tournée après avoir fait un disque. Jusqu'aux années 70, les disques étaient faits dans l'autre sens: on rodait les chansons sur scène puis on enregistrait, ce qui est dans la nature des choses. C'est le business qui a inversé le système: il n'y a rien de naturel à s'enfermer dans un laboratoire pour faire un truc et ensuite seulement sortir pour aller le faire vivre et se rendre compte tous les soirs que c'est bancal. Qu'on ne compte pas sur moi pour reproduire sur scène ce que j'ai fait in vitro. Tous les musiciens vous le diront: ça commence à être bien au bout de trois ou quatre mois de tournée. C'est à ce moment-là qu'il faudrait enregistrer les disques. Maintenant, c'est les tournées que je préfère. J'ai hâte de remonter sur scène. La dernière fois, quand on a arrêté, ça me manquait chaque soir de ne pas monter sur scène. En enregistrant, j'ai essayé de me donner du naturel et de la spontanéité pour avoir du plaisir sur scène à jouer ces chansons. 

Serez-vous, comme à votre précédente tournée, seul en scène avec un seul musicien?
Le côté minimal, les petits formats naïfs de la chanson française, ce sont les conditions du marché et le fonctionnement de la musique qui l'amènent. Quand je fais une tournée minimaliste, ce n'est pas parce que je me dis: "tiens c'est génial de faire minimaliste", mais parce qu'il faut serrer les boulons partout et qu'on se retrouve à un ou deux sur scène avec des machines - et que les machines ne sont pas des intermittents du spectacle. Ce n'est pas par choix...

Pourtant, beaucoup de vos confrères disent que ce retour à la modestie et à l'acoustique sur scène est un choix artistique.
Il y a une langue de bois encore plus terrible chez les artistes que chez les hommes politiques.

Vous ne l'employez jamais, vous-même?
Je vendrais plus de disques et j'aurais plus d'amis dans ce business si je fermais ma grande gueule. La musique que j'aime suppose, pour être bonne, de la sincérité et de l'authenticité. Je ne pense pas qu'on puise faire un bon disque si on ne regarde pas les gens dans les yeux en leur disant la vérité quand ils vous posent une question. Ça pose parfois des problèmes, en interview. Dans ce métier, la référence c'est le faux cul. Moi, je n'ai pas été élevé comme ça.

Comment avez-vous été élevé?
La langue bien pendue, surtout avec ma mère. J'ai été élevé dans un milieu paysan où mentir est la pire chose qu'on puisse faire. On se tait ou on dit la vérité. On n'embobine pas les gens. Trafiquer les choses, c'est un truc de citadin.

Vous êtes toujours en colère?
J'enrage d'être cantonné à la rage et j'enrage d'être toujours petit bras. J'aimerais créer de la richesse, faire travailler des potes, créer des jobs. J'enrage de voir que les meilleurs d'entre nous sont obligés de se barrer à New York pour se bouger le cul. Alors, comme je suis un peu sanguin, ça me met hors de moi. Je déteste que la société m'impose d'être aussi contemplatif.

Vous voudriez travailler plus?
Tourner plus, créer un label, faire travailler des gens... Je pense que la musique est quelque chose de collectif. Ce que je fais ne prend du sens que comparé à ce que font mes collègues. Je ne travaille pas indépendamment du niveau général de la musique qui se fait en France. Je refuse même que l'on dise que j'ai de l'influence car, quand on me cite le côté un peu misérable, minimaliste, misanthrope et dépressif de la musique - tous les qualificatifs pour dire ce que je peux représenter s'il y a des gens qui me suivent ou si j'ai fait vaguement école -, et bien je suis archi-contre. Tout ça, je n'ai jamais voulu l'être. En allant à l'étranger, je me rends compte que c'est le contexte dans lequel je suis qui, avec le caractère que j'ai, m'amène à me comporter comme ça. Je suis simplement conditionné.

Pourtant, un chanteur comme Dominique A dit que vous avez profondément changé la donne dans la musique en France, en prouvant aux maisons de disques comme aux autres musiciens que l'on peut avoir du succès sans correspondre aux critères habituels de la séduction chez un chanteur.
Je verrais les choses différemment. Il y a une grosse part de chance dans ce qu'on fait et je suis arrivé au bon moment. Quand j'ai vendu plus de 100000 disques, tous les labels ont voulu avoir leur Murat. Ce n'est pas vraiment faire école, c'est le mimétisme idiot des maisons de disques. S'il y a un succès dans le kazatchock, tout le monde aura son groupe de kazatchock.

Vous vivez toujours dans un village du Puy de Dôme, très près de votre village natal. Vous vous sentez toujours très auvergnat?
De moins en moins, avec le virage que prend la paysannerie, au fur et à mesure que les paysans que je connais prennent leur retraite et sont remplacés par les petits-fils et les neveux. Comment les paysans traitent le paysage, les bêtes, les pâturages, c'est insupportable. Dans mon coin, les types ont fait des deals avec les élevages industriels de poulets de la Limagne et épandent leurs déchets à 1500 mètres d'altitude dans les prés. J'habite dans un hameau là-haut et pendant des semaines on ne peut pas ouvrir les fenêtres à cause de l'odeur. Il n'y a plus de labours ni de haies, alors les rats taupiers envahissent tout, et on force sur les doses de bromure pour s'en débarrasser, ce qui empoisonne les renards. C'est un peu une paysannerie auvergnate de légende que j'aime. Et plus ça va, moins cette légende ressemble à l'Auvergne réelle.

Jean-Louis Murat Mustango (Labels) 1999