Richard Bona

Finaliste aux "Découverte RFI" en 95, connu avant cela pour son jeu de basse très cadencé et très rapide, Richard Bona s'est vite aligné auprès des meilleurs sur la scène internationale. Rien à voir avec la chance en réalité... De Manu Dibango à Zawinul, en passant par Stéphane Belmondo, Higelin ou encore les frères Marsalis en studio, on ne manque pas d'éloge à son égard. Son premier album, "Scenes from my life", vient combler un manque. Ses escapades en solo méritaient bien un opus. Entretien.

Scènes de sa vie

Finaliste aux "Découverte RFI" en 95, connu avant cela pour son jeu de basse très cadencé et très rapide, Richard Bona s'est vite aligné auprès des meilleurs sur la scène internationale. Rien à voir avec la chance en réalité... De Manu Dibango à Zawinul, en passant par Stéphane Belmondo, Higelin ou encore les frères Marsalis en studio, on ne manque pas d'éloge à son égard. Son premier album, "Scenes from my life", vient combler un manque. Ses escapades en solo méritaient bien un opus. Entretien.

Dieu mène à tout. Que celui qui doute de cette sage parole, aille poser la question à Richard Bona. Né en 67 à Minta au Cameroun, il est entré en musique comme on entre en religion. A l'âge de six ans. Son grand-père œuvrait pour la parole du Seigneur. Il lui a fabriqué son premier balafon et l'a invité à faire ses premiers pas en rythme au sein de l'Eglise Chrétienne. Depuis, la grâce ou le talent (devrait-on dire) n'a cessé de l'accompagner sur sa route jusqu'à ce premier album, très éclaté.

En écoutant l'ensemble des titres, on a l'impression que vous avez choisi de naviguer dans plusieurs eaux à la fois. On passe d'un genre à l'autre...
Cet album représente comme son titre l'indique les scènes de ma vie. C'est le parcours que j'ai eu, qu'il soit musical ou autre, que j'ai voulu retracer à travers ce disque. J'ai essayé d'y réunir différentes musiques qui m'ont influencé, en gardant la voix comme fil conducteur et en essayant surtout de refléter ma personnalité. C'était le plus important. C'est pour ça qu'il y a cet accent jazz, ce côté salsa ou encore cet aspect world. Je pense aussi que c'est un album qui est lié au temps. En l'an 2000, on va être confronté de plus en plus à ce type d'album qui réunit plusieurs influences à la fois. Quand tu vas à Cuba aujourd'hui, tu y vois les musiciens jouer de la musique classique, du jazz, pas de la salsa uniquement. Au Japon, aux Etats-Unis, en Afrique, les musiques se rencontrent. On va vers une fusion des genres. Je ne sais pas ce que ça va donner. Mais c'est sûr que cette tendance va amener d'énormes changements dans le monde de la musique. Ce n'est que le début...

Vous pensez que c'est ce qui va caractérise le style Bona ?
Je ne sais pas s'il faut un qualificatif pour ça. Ma musique c'est moi. C'est mon accent, c'est mon état d'esprit, ma façon de vivre. C'est ce que je ressens. C'est une musique qui paraît improvisée, qui paraît spontanée. Je ne la planifie pas. J'arrive, je vois une situation donnée et je crée par rapport à ça. C'est tout. Et je suis passé un peu par toutes les musiques pour arriver à ce que je suis aujourd'hui. Même au départ, quand je n'aimais pas les autres musiques, j'essayais d'aller vers elles avec une oreille très réceptive, déjà prête à recevoir. Je n'y vais jamais comme un connaisseur, plutôt comme quelqu'un qui veut se nourrir de l'autre. Il est vrai que dans toute musique, on découvre quelque chose de bien. Moi j'essaye de puiser le meilleur de chacune d'entre elles pour enrichir la mienne. Mon truc, c'est d'apprendre. Le jour où je n'aurais plus l'impression d'apprendre, je ne le ferais plus. Et où est-ce que t'apprend généralement ? Tu n'apprends pas des gens qui vivent comme toi. T'apprends avec ceux qui sont différents de toi. C'est pour ça que je suis allé vers les autres musiques. Beaucoup de gens ont peur de la différence, moi pas. C'est grâce à ça que je construis et que j'enrichis en permanence ma musique. Et si je puise partout, c'est aussi parce que je n'ai pas envie de contenter les gens de mon bled uniquement. J'ai envie de faire plaisir à tout le monde.

Que racontent vos textes ?
La vie, l'amour, mon environnement... Je pense que la musique doit nous servir à passer des messages. C'est important. Nous devons dire ce qui se passe, donner des conseils, être près des gens. Même si ça paraît avoir déjà été dit, les choses que l'on raconte doivent continuer à être dites. Si ça avait été assez entendu, on ne serait pas là aujourd'hui, avec les problèmes que l'on connaît. Les gens ont chanté ce genre de choses avant moi. Je ne suis pas le premier, je ne serai pas le dernier à le faire non plus. Mais il ne faut pas non plus qu'on lâche l'affaire, quand on voit ce qui se passe autour de nous. T'as qu'à voir au Kosovo... Quand on y pense, c'est quand même hallucinant tout ça. Les gens qui se tapent dessus, les gens qui sont déplacés de chez eux. Et si on ne dénonce pas ça, qui va le faire? Les politiciens nous mentent tous. Personne ne les écoute plus. Il n'y a plus que l'art qui capte l'attention des gens, qui permet de rassembler les masses et de leur dire ce qui ne va pas.

Quatre années à New York, des collaborations prestigieuses qui vont de Harry Belafonte à Joe Zawinul, un premier album chez Columbia... peut-on parler enfin de la réussite d'un jeune Camerounais au pays de l'Oncle Sam? Le rêve américain vous sourit à belles dents?
Pas encore... Je me bats pour ça. Mais je ne peux pas dire que j'ai réussi. J'essaie de rester très lucide pour ne pas dérailler. Et puis l'essentiel en fait pour moi est que je puisse continuer à faire de la musique comme je le souhaite. Après, si ça tombe, tant mieux. Sinon, j'aurais toujours la musique avec moi. Après Douala, Paris, New York me pousse à travailler un peu plus pour mériter ma place. Voilà ce qui est intéressant. On se sent poussé derrière, on t'attend toujours au tournant. Tu n'as pas le droit à l'erreur.

Richard Bona Scenes from my life (Columbia/Sony) 1999