Takfarinas

Près de deux heures et demi de show sur la scène du Zénith à Paris : voilà le cadeau de rentrée que Takfarinas, le Kabyle algérois, a voulu offrir à ses fans le samedi 25 septembre. Plus de 5000 personnes, 80% de public communautaire, enfants et adultes, pour l'homme qui titille la scène du raï à coup de Yal. Concert à guichets fermés : un demi Zénith supplémentaire aurait certainement contenté tout le monde. Tant pis pour ceux qui doutaient de son succès…

Rocky berbère s'en va t-en guerre…

Près de deux heures et demi de show sur la scène du Zénith à Paris : voilà le cadeau de rentrée que Takfarinas, le Kabyle algérois, a voulu offrir à ses fans le samedi 25 septembre. Plus de 5000 personnes, 80% de public communautaire, enfants et adultes, pour l'homme qui titille la scène du raï à coup de Yal. Concert à guichets fermés : un demi Zénith supplémentaire aurait certainement contenté tout le monde. Tant pis pour ceux qui doutaient de son succès…

Nombreux sont ceux, en effet, qui en étaient restés au succès du raï dans la France de l'intégration. Surtout après "1,2,3… soleil", le fameux tiercé gagnant de Bercy qui, l'an dernier, noyait Rachid Taha entre Khaled et Faudel. Seulement, il est vrai que depuis quelques années, Takfarinas, dont le nom est un hommage aux guerriers berbères de l'époque romaine, prêche un autre discours musical qui se veut éloigné des sentiers battus de la Barbès production from Oran.

Le Yal, sorte de mélange qui emprunte au patrimoine berbère, en partie à la première génération des folksingers kabyles (Idir ou Djamel Allam) ainsi qu'au rock tendance funky world, voire hip hop ragga par moments, est une expérience qu'il impose avec beaucoup de succès en 86. "Way Telha", morceau furieusement dance, le propulsera à l'époque sur la grande scène. On parle de 2 millions d'albums vendus grâce à cette belle surprise. Khaled lui-même en fera une reprise en arabe, histoire de rendre hommage à celui qui a failli lui reprendre le titre de King de la pop maghrébine. La suite, un peu moins heureuse, oblige Tak', comme le surnomment ses disciples, à se morfondre dans son coin, malgré ses autres albums. Question de mode, le raï, disons, a eu plus de chance. Mais voilà, la chance tourne un jour… Et samedi, sa nouvelle maison de disques (BMG) a du s'en convaincre. Tak' est un bon numéro.

Après avoir passé les barrages de fans sans ticket, on arrive dans la salle vers 21h00. Pas moyen de circuler dans la fosse, pas un seul siège de libre non plus dans les tribunes : cris et surtout applaudissements. Les premières notes lâchées par le mandole électrique à deux manches de Tak', un instrument qui vaut le détour à lui tout seul, remue le public. On siffle, on pousse un peu pour souffler, on reprend le refrain en chœur. Le père du "Yal" promet d'avoir une pêche d'enfer. Son apparition sur scène relève de celle d'une rock star. Orgie de lumières et de sons : le Zénith retentit dans son ensemble et se laisse happer.

Même les plus curieux comme moi succombent au charme. Une demi-heure plus tard, Tak' se fend d'un bonsoir. Le public rugit son bonheur en réponse. Et la suite reprend. Vers 22h00, les mains papillotent, les épaules se balancent, les hanches se relâchent. Et les choristes se retirent en coulisses. Le public s'inquiète, anticipe de suite : "une autre, une autre…" C'était juste pour un changement de tempo. Un poster de Matoub remonte de la salle à la scène. On fait péter les percus. L'applaudimètre également. Hommage au frère rebelle, "Lounès" le titre se veut prophétique contre ceux qui l'ont hier condamné à la mort : "Ce pourquoi tu es tombé/Ils se l'approprieront". La complainte est lourde de sens, elle fait siens les pleurs Imazighen. Au coin, on projette un symbole d'homme libre, devise consacrée par son peuple. Les lumières baissent, des briquets s'allument. Dès lors, l'appréhension de la fin du concert hante le public.

Voix de femme pour intro, le quart d'heure ballades s'impose. On alterne. Swing légèrement rock, rythmique berbère, on finit en reggae. Trois drapeaux amazigh s'élancent au devant de la scène, de gauche à droite. Tak' regonflé à bloc annonce un invité surprise : "je vous présente mon ami Nino". Et c'est parti pour un tour, façon Gypsy King, avec une légère touche zouk qui ne s'avoue pas comme telle. On nous fait un petit numéro flamenco. La danseuse est-elle gitane ? Peut-être. S'affirmer kabyle n'est pas se fermer au reste du monde de toutes manières. Un coup de chaâbi/berbère audacieux sert ensuite à brouiller un peu plus les pistes. La 2ème partie du concert confirme la tendance : nous sommes là pour nous amuser. Rien que ça ! A 22h50, un nouveau "je vous présente…" et voici les rappeurs franco de port de Manau. Kabylie/Bretagne : même combat ? Du tout ! Juste un deal d'artistes heureux de se faire plaisir. Le feu reprend. "Chaud, chaud… Tout le monde !". Riffs de mandole, cuivres, claviers, percus, free-style… Dix minutes plus tard, la griffe rock revient en plus fort.

Avec le tube de son dernier album, "Zaama zaama", il feint de saluer le public une dernière fois. La chorégraphie, genre clip d'été sur chaîne musicale à grande audience, enflamme de nouveau la salle. On en redemande. Le show est mené de main de maître. Guest star suivante : Rabah Asma. Tak' tient à partager cette scène avec ses potes. Un bonheur ne se consomme pas seul. Encore un morceau et c'est la fin.

La nomination de Takfarinas aux dernières Koras (sorte de Grammy Awards des musiques africaines) en Afrique du Sud semble justifiée par ce concert. Et je ne suis pas sûr de pouvoir dire le contraire.

"Yal", son dernier album, est sorti chez BMG.