Idir

Idir, figure de proue de la chanson kabyle engagée, sort son troisième album Identités (Saint George /Columbia). Le minoritaire dont il se revendique s'inscrit dans l'universel grâce à des duos dans lesquels influences musicales se mélangent et se partagent. Idir est rejoint sur cet album par Karen Matheson, Manu Chao, Zebda, Geoffrey Oryema, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Thierry Robin, Gilles Servat et Dan Ar Braz, l'Orchestre National de Barbès et Frédéric Galliano. Ensemble, ils seront à l'Olympia les 11, 12 et 13 décembre prochains.

Chanteur kabyle

Idir, figure de proue de la chanson kabyle engagée, sort son troisième album Identités (Saint George /Columbia). Le minoritaire dont il se revendique s'inscrit dans l'universel grâce à des duos dans lesquels influences musicales se mélangent et se partagent. Idir est rejoint sur cet album par Karen Matheson, Manu Chao, Zebda, Geoffrey Oryema, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Thierry Robin, Gilles Servat et Dan Ar Braz, l'Orchestre National de Barbès et Frédéric Galliano. Ensemble, ils seront à l'Olympia les 11, 12 et 13 décembre prochains.

C'est un pont que jette le chantre de la chanson berbère avec d'autres cultures pour ce troisième album ?
Le but de cet album est de partager une chanson avec des gens de sensibilités différentes même s'il est présenté comme l'hommage à un artiste de la part d'autres artistes. Bien évidemment, je n'imaginais pas que je puisse mériter cela. Mais je tenais absolument à créer un échange avec des artistes venus d'autres horizons musicaux. Les artistes que j'ai réunis sur cet album ont donc répondu présent en acceptant, soit de composer ensemble, soit d'adapter l'une de mes chansons et de l'interpréter à leur manière. Sans en perdre l'âme originelle.

Vous dites avoir choisi des artistes en devenir, en phase de décollage...
Oui, comme Zebda, Gnawa Diffusion ou Manu Chao, en pleine ascension et qui sont complètement décomplexés par rapport à leurs identités. L'important étant d'exprimer d'abord ses propres émotions artistiques. Par exemple, Zebda peut se dire kabyle de Toulouse, mais ce qui est important en premier lieu, c'est la façon dont ils communiquent avec le public français. Je préfère cela plutôt que des créneaux restrictifs où l'émotion ne passe pas. Bien sûr, des artistes comme Maxime Le Forestier, Gilles Servat ou Dan ar Braz, ont déjà fait de belles carrières. J'ai pourtant quelques regrets, ceux de n'avoir pu, pour des raisons de disponibilités, enregistrer avec Cabrel, Goldman ou Bashung.

Vous revendiquez votre appartenance à une minorité, est-ce à dire que vous vouliez partager votre identité, minoritaire et musicale, et vous inscrire ainsi dans une culture universelle ?
Effectivement, je ressens ce besoin de partager une tradition en lui donnant plusieurs dimensions, plusieurs facettes. Vous savez, lorsque l'on vit en France, on a une maladie qui s'appelle identité : j'appartiens à un bout de territoire qui s'appelle Algérie et qui m'a vu naître. S'agit-il de garder ma "kabylité" ou de rencontrer monsieur Dubois ou Dupont en moi ? Je ne veux pas prendre la nationalité française pour une seule question de commodité, ce ne serait pas honnête, vis-à-vis de vous, par exemple. C'est vrai que j'ai toujours cette dualité conflictuelle dans ma tête. Mais revenons à l'album où plutôt que de juxtaposer des sensibilités différentes, j'ai eu le souci de jouer sur l'osmose et la fusion.

C'est dans cet esprit qu'est né le trio Idir-Dan Ar Braz-Gilles Servat sur le titre "Illusions" ?...
Je ne pouvais imaginer faire ce disque sans leur participation. On essaie d'intellectualiser, historiquement, les choses entre les Kabyles et les Celtes. Moi je ne retiens qu'une chose, celle des affinités musicales et minoritaires qui existent entre nous. Le coup de guitare de Dan m'a subjugué lors des concerts donnés à l'Olympia par Alan Stivell et je suis la carrière de Gilles Servat depuis toujours. En plus, la Bretagne est une région chère à mon cœur car elle a toujours lutté pour marquer sa différence.

Revenons sur la chanson qui vous a fait connaître dans le monde entier "A Vava Inouva", et qui a largement dépassé les frontières de la Kabylie...
Une chanson que j'ai chantée pour la première fois en 1973, lorsque j'ai dû quitter mon village kabyle pour aller en fac à Alger faire mes études de géologue. A l'époque, j'avais composé une berceuse pour Nouara (grande vedette algérienne, ndlr) qui devait venir la chanter sur Radio Alger, je me trouvais par hasard dans les couloirs de la radio lorsque au dernier moment, j'ai dû la remplacer in extremis et l'interpréter moi-même. C'est comme cela que tout a commencé. Puis on m'a demandé d'enregistrer une face B, "A Vava Inouva" (Mon petit père), dont j'ai tiré le refrain d'une légende, et qui décrit très naïvement l'ambiance des veillées dans les montagnes du Djurdjura. Le succès a été immédiat, et moi dans ma caserne à Blida où je faisais mon service militaire, j'entendais ma chanson sur Radio France...

Et avec laquelle vous ouvrez l'album, en duo avec Karen Matheson, la chanteuse écossaise de Capercaillie...
Je l'avais entendue chanter à deux reprises, au Zénith avec l'Héritage des Celtes et plus récemment à Bercy pour "Bretagnes" et j'ai été époustouflé par sa voix. J'ai émis l'idée de pouvoir un jour enregistrer avec elle... Je ne le regrette pas.

Des Celtes, on passe à l'Afrique avec ce très beau duo en compagnie de l'Ougandais Geoffrey Oryema, exilé comme vous...
C'est l'un des duos qui me tient le plus à cœur. Geoffrey et moi avons sensiblement le même parcours d'exilé : lui ayant quitté son pays, il y a 23 ans, dans des conditions particulièrement difficiles. Il se trouve que chacun de notre côté, nous avions déjà composé une chanson intitulé "Exil" (3ème album de Geoffrey Oryema). Elle raconte ceci : "J'ai la chance d'avoir deux pays/Je suis un peu d'ici, un peu de là-bas..." sur laquelle Geoffrey y chante des vocalises en acholi, (la langue parlée en Ouganda du Nord), et a voulu y rajouter un peu de ses racines avec le lukémé, sorte de sanza sans caisse de résonance.

De même, vous flirtez avec la musique électronique de Fred Galliano, en passant par le Mali...
Il a été très honnête avec moi et m'a avoué trop peu connaître l'Afrique du Nord ainsi que la musique algérienne. Il m'a donc proposé d'intégrer mes mélodies et de les passer au travers d'un filtre électronique et africain. Il est allé pour cela au Mali enregistrer la voix de Ramata Doussou Bagayoko (la fille de Nahawa Doumbia, avec qui Galliano a déjà enregistré). Je me suis senti complètement à l'aise avec la guitare malienne et les chants de Ramata qui me rappelaient un peu les chants des vieilles femmes de Kabylie.

Et cette adaptation de "San Francisco" de Maxime Le Forestier qui devient Tizi Ouzou ?
Je suis très reconnaissant à Maxime pour ce geste. C'est un hommage au chanteur berbère Matoub Lounès, assassiné en juin 1998. Sur ce morceau, Maxime Le Forestier chante le refrain en kabyle, adapté par Brahim Izri, né dans le même village que le mien. Maxime a voulu rendre ainsi hommage à une culture minoritaire qui est la nôtre et que Matoub défendait ardemment.

Vous êtes heureux d'avoir posé des jalons avec Gnawa Diffusion et avec l'Orchestre National de Barbès ?
D'autant qu'ils font partie de cette nouvelle génération de musiciens maghrébins vivant en France. Je pense que le chanteur de Gnawa représente l'avenir. Amazigh Kateb, (fils de l'écrivain d'expression française Kateb Yacine) est très doué, c'est un révolté, il déteste l'injustice, est réfractaire aux pouvoirs d'où qu'ils viennent. J'avais cette chanson "Révolution" dans mes tiroirs et je trouvais qu'elle lui allait bien. Quant au duo avec l'ONB, j'ai composé "Tiwizi 2" sur un mode traditionnel, d'ailleurs ma force, c'est de composer des morceaux et que les gens me disent "Mais cela existe depuis des siècles !

En trente ans de carrière, vous n'avez enregistré que trois albums, et pourtant vous ne cessez de tourner, comment expliquez-vous que vous soyiez si peu médiatisé ?
Les choses sont toujours venues à moi et non le contraire. Le destin y est pour quelque chose, même pour ce disque, on est venu me chercher. Je suis d'un naturel discret et ce n'est pas évident de durer dans ce métier, surtout lorsque l'on a fait, comme moi, une carrière avec trois disques. Je reste persuadé que la chance a beaucoup compté, j'ai eu peut-être les chansons qu'il fallait au moment où il fallait. Même si j'ai toujours été un mauvais militant, un mauvais général de brigade, je ne fais que raconter la vie des gens au quotidien.