CD de la semaine : Cheikh Lô

A l'heure où l'on spécule volontiers sur la sortie prochaine du nouveau Youssou N'dour, Jololi, son label dakarois préfère plutôt focaliser l'attention des médias sur "Bambay Gueej" le dernier album de Cheikh Lô, son protégé. Un cadeau surprenant pour les fanatiques du mbalax* pur, sur lequel plane un total esprit d'ouverture, renforcé par les contributions de quelques invités au talent prestigieux. Oumou Sangaré la diva malienne, Pee Wee Ellis ancien comparse de James Brown au saxo, Richard Egües flûtiste de l'Orquesta Aragon de Cuba, Bigga Morrison du groupe Aswad à l'orgue Hammond, ainsi que d'autres pointures, sénégalaises notamment Babacar Faye et Jimi Mbaye entre autres.

Le Baye Fall planétaire…

A l'heure où l'on spécule volontiers sur la sortie prochaine du nouveau Youssou N'dour, Jololi, son label dakarois préfère plutôt focaliser l'attention des médias sur "Bambay Gueej" le dernier album de Cheikh Lô, son protégé. Un cadeau surprenant pour les fanatiques du mbalax* pur, sur lequel plane un total esprit d'ouverture, renforcé par les contributions de quelques invités au talent prestigieux. Oumou Sangaré la diva malienne, Pee Wee Ellis ancien comparse de James Brown au saxo, Richard Egües flûtiste de l'Orquesta Aragon de Cuba, Bigga Morrison du groupe Aswad à l'orgue Hammond, ainsi que d'autres pointures, sénégalaises notamment Babacar Faye et Jimi Mbaye entre autres.

A la première écoute, il y a comme une espèce de malentendu qui s'installe. "M'beddemi", le titre qui ouvre les hostilités sur l'album est une adaptation d'une musique du Cubain Portabales. Une guajira revisitée que l'album "Buena Vista Social Club" avait rendu plus que populaire dans sa version originale. On se dit alors que Nick Gold (World Circuit), un des principaux orfèvres du succès de Buena Vista, coproducteur de "Bambay Gueej" avec Youssou N'dour, a peut-être voulu l'inscrire légèrement dans le succès remporté par ce son des vieux papys qui déboule en force de la Havane sur les scènes internationales depuis plus de trois ans. La réponse de Cheikh Lô est sans équivoque : "Ce n'est pas la maison de disques qui a voulu faire ça, c'est moi qui ai voulu reprendre cette musique pour rendre hommage à la musique cubaine, qui a eu beaucoup d'influence chez nous depuis plus de trente ans. C'est aussi pour marquer mon ouverture au monde. Il existait déjà une version pop de "M'beddemi", j'ai voulu l'arranger différemment pour que ça sonne autrement sur ce disque".

Le changement correspond donc à un double questionnement qui a toujours accompagné l'artiste depuis ses débuts sur la scène internationale. Comment réarranger certains titres, déjà présents sur le marché sénégalais de la cassette audio par exemple, pour ne pas laisser une impression de déjà vu aux fans de toujours ? Seconde question : comment éviter l'enfermement sur sa propre culture, tout en la revendiquant d'une façon indiscutable ? Ce ne serait pas la première fois que Cheikh Lô mélange les influences latines à son mbalax national pour régénérer ses sources d'inspiration et pouvoir parler au plus grand nombre. "Ne la Thiass" son premier opus international faisait déjà du clin d'œil aux tempos latinos. "C'est une musique tellement forte qu'elle ne peut que me séduire, insiste-t-il pour ajouter, et sur le plan rythmique et sur le plan mélodique. Et puis la musique n'a pas de frontières aujourd'hui. Les Européens jouent du tama (tambour d'aisselle) et du balafon, samplent nos rythmes. Pourquoi les Africains n'auraient pas le droit à leur tour de jouer d'autres choses, situées en dehors de leurs frontières ?". Le sujet est donc clos. Car "M'beddemi", qui n'incarne que la cerise avant le gâteau sur cet opus, demeure, avec son orchestration bien sénégalaise, un joyau pour pistes de danses d'ici et d'ailleurs.

Éclectique et renforcé par une batterie d'invités, tous aussi confirmés les uns que les autres, le reste de l'album puise ainsi dans d'autres univers comme le reggae ou l'afro-beat, sans perdre son identité sénégalaise. La percussion ou bien le chant évitent au mélomane non averti le champ de la confusion. Le tama ou le sabar (tambour) viennent en renfort rappeler à tous que cette puissante voix de 'baye fall'** quadragénaire n'a pas séduit Youssou, son protecteur actuel, par pur hasard. Il y a des émotions communes qui vous ligotent un jour ou l'autre. Mystique et profondément hanté par l'Afrique de demain, Cheikh Lô campe l'espoir dans la jeunesse, indexe les pouvoirs abusifs qui mènent la destinée du continent noir, rend hommage aux génies du mouridisme** (à son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba notamment, "notre sauveur"), prie à haute voix pour Fela Kuti ("Que la terre lui soit légère"), se veut critique envers tous ses contemporains ("Pardonnez-nous, enfants d'Afrique / Pardonnez-nous, enfants du monde / La guerre détruit quand la mort devrait être naturelle/ Pardonne-nous et faites que les peuples de la terre s'unissent"). Un discours porteur de sens pour un homme qui aspire à la paix : vaste programme… Un très bel album dans tous les cas.

Soeuf Elbadawi.

*Mbalax ou mbalakh : rythme populaire sénégalais, rendu célèbre par Youssou N'dour et le Super Etoile de Dakar dans les années 80.
**du mouvement mystique, issu du mouridisme, confrérie soufi du Sénégal, auquel appartient Cheikh Lô. Leur philosophie imprègne toute sa musique.

Bambay Gueej (Jololi / World Circuit / Night & Day).