Le Festival du Vent 1999
Inventeurs fous, scientifiques sérieux et artistes déjantés se sont retrouvés dans la baie de Calvi en Corse, du 24 au 31 octobre, pour cette 8ème édition du Festiventu. Parrainé par la navigatrice Isabelle Autissier, ce festival pas comme les autres, placé cette année sous le signe des Droits des Femmes est dédié au prix Nobel de la Paix, l'opposante Birmane Aung San Suu Kyi. Un festival du vent dans lequel s'engouffrent la musique, les arts plastiques, les spectacles de rues, rythmé par le lent passage des montgolfières.
Les souffles de Calvi
Inventeurs fous, scientifiques sérieux et artistes déjantés se sont retrouvés dans la baie de Calvi en Corse, du 24 au 31 octobre, pour cette 8ème édition du Festiventu. Parrainé par la navigatrice Isabelle Autissier, ce festival pas comme les autres, placé cette année sous le signe des Droits des Femmes est dédié au prix Nobel de la Paix, l'opposante Birmane Aung San Suu Kyi. Un festival du vent dans lequel s'engouffrent la musique, les arts plastiques, les spectacles de rues, rythmé par le lent passage des montgolfières.
Trois énormes poissons blancs aux nageoires fluorescentes virevoltent dans le ciel de Calvi, de drôles d'engins telle cette soucoupe volante à boudins qui clapote dans la baie, ces cerfs-volants géants en forme de fossile ou de crocodile, ces rangées de pingouins stoïques sur la plage. Tous, dominés au loin par la citadelle où naquit un certain Cristofanu Culombu.
Mais laissons aux acteurs locaux le soin d'ouvrir ce festival avec l'ensemble polyphonique A Filetta (la fougère) qui s'est produit dans un lieu qui sied à la solennité de ces chants sacrés, celui de la cathédrale Jean-Baptiste, perchée sur la citadelle du Libecciu. Originaires de la Balagne, ce groupe vocal de dix chanteurs, fondé en1978, emmené par Jean-Claude Acquaviva, est resté profondément ancré dans la tradition. Il a néanmoins inscrit à son répertoire des extraits des compositions originales pour la bande son du film de Jacques Weber, "Dom Juan", d'autres pour la tragédie de Sénèque "Médée", mais aussi des chants empruntés aux patrimoines géorgien et sarde. A noter que A Filetta a participé à la BO du film d'Akhenaton du groupe IAM, sur la ville de Marseille. Au loin, les catamarans font claquer leurs voiles.
Un festival qui ressemble à une joyeuse colonie de vacances et qui abandonne ses baptêmes de l'air en aéroplume ou en parapente pour rejoindre, le temps d'un tournage de clip, les Suprêmes Dindes. Ces quatre secrétaires décalées en tailleurs faux-Chanel (et vrai tergal), espèrent bien tenir là le tube de l'été 2000 avec "La Zumbarala"... La veille, elles chantaient dans un arbre, le lendemain la scène est tout aussi surréaliste (l'une ayant de fortes hormones masculines), lorsque s'engage une chorégraphie "à la vas-y comme j'te pousse", malgré la bonne volonté évidente des festivaliers.
"Maximum respect pour la ville de Calvi", c'est à peu près tout ce qui aura été audible du concert des rappeurs marseillais de Prodige Namor, qui n'auront pas réussi à rameuter les foules sous l'énorme bulle gonflable de 1200m² construite par le plasticien Hans Walter-Müller.
E
n revanche, l'un des moments les plus attendus de ce festival était la fête de Néry et ses amis. Le chanteur, ex-Nonne Troppo, ex-VRP, et en vieil habitué du Festiventu, a concocté une création-improvisation des plus surréalistes. Passons sur les quartiers de viande qui pendent à l'étal d'une boucherie, le décor étant en accord parfait avec son récent disque "La vie, c'est de la viande qui pense" (Musisoft).
Après une seconde de bruit contre les tortures dans le monde et ce joli mot de Néry : "Etre adulte, c'est se compliquer l'enfance", c'est parti pour un grand délire joyeux où se succèdent un lapin guitariste, une fée (Aziza Higelin) qui jette des paillettes (pas des paillotes), un homme aux oreilles décollées, Christophe Salengro, des danseurs de la compagnie Decouflé, un maire ceint de son écharpe tricolore. Soudain des éclairs grondent dans la nuit : "Esprit, je vous remercie de nous avoir à Calvi", encapée de bleu nuit, la sorcière Jacques Higelin, parfaite sous sa coiffe à cornes, s'acharne sur son piano. Les enfants jubilent, veille d'Halloween. Entre Néry qui déboule en short tyrolien ou en robe de tulle rouge en léchant des quartiers de viande (en plastique) et Higelin en grande prêtresse, la suite est irracontable et c'est tant mieux car il s'agit d'un conte de fées pour adultes. Le public est ravi, même lorsqu'il se fait traiter de goret!
A
utre ambiance, autre lieu. Le centre névralgique de ce festival se trouvant à deux pas de la plage, la plupart des activités y sont concentrées. Lorsqu'elles ne sont pas officielles, elles sont officieuses. Entre deux réunions de femmes qui militent pour la paix dans le monde et la diffusion d'un film sur la Transat en solitaire présenté par Isabelle Autissier, la musique a aussi sa place. C'est donc sous une tente berbère, plantée à même le sable, que Arthur H (photo), le fils de son père, improvise quelques chansons à l'accordéon, voix superbement éraillée et distanciation de rigueur lorsqu'il commet quelques fausses notes. La famille est au grand complet puisque sa demi-sœur, Maya Barsony, s'essaie au chant yiddish avant que les deux ne chantent en duo, et a capella, l'histoire de cette femme aveugle et de son mari sourd-muet.
Durant la journée, à Calvi, Jasmine, tel Icare, se fait tracter en aéroplume. Le soir, cette Américaine joue de l'accordéon, en beuglant en français et en anglais, un peu à la manière d'une Nina Hagen. Le trio Jasmine Bande et son trash-musette (ou rétro-future) aura conquis les noctambules à plusieurs reprises. Leur album "Didjoohaffun" (Night & Day) aura eu également les faveurs de Charlélie Couture, venu se poser sur un titre. Gros, gros son que celui des bidouilleurs de L'œil du voisin, un duo composé de Number 9 et Lavo qui abolissent, quant à eux, les frontières entre rock et techno. Denis Barthe et Jean-Paul Roy de Noir Désir sont venus confronter leurs guitares électriques aux samples pour un set des plus performants de ce Festiventu.
Envoûtants sont les chants de L'Alba, ces cinq polyphonistes de la nouvelle génération, eux aussi originaires de la Balagne. Belle performance également du grand Jacquot (et quel cabotin) lors de son récital marathon et ce, même lorsque les spectateurs épuisés par tant d'énergie s'en vont. Lui continue jusqu'à plus soif. Mahut, son inséparable percussionniste, en costume de lin rouille, ne cille pas, lui qui en a vu tellement d'autres. Pari en tous les cas réussi que celui de Serge Orru, le créateur de ce festival pluridisciplinaire, qui était de faire se rencontrer les acteurs des vies artistiques, intellectuelles et scientifiques. Une dernière fois, le plus grand ballon à air chaud du monde, "le Canopée", passe avec lenteur et majesté, au-dessus de la pinède.