DROITS D'AUTEUR ET INTERNET
Il n'est pas forcément très simple pour les néophytes, voire même pour certains professionnels de la musique de comprendre les positions affichées par la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique, la SACEM en matière de musique sur Internet. En effet, cet organisme français qui s'occupe de la protection juridique des œuvres et de la perception des droits d'auteur tente de préserver les droits acquis devant les changements qu'engendrent les développements du réseau mondial. Rencontre et explications avec Catherine Kerr Vignale*.
Rencontre avec un des directeurs de la SACEM, Catherine Kerr Vignale
Il n'est pas forcément très simple pour les néophytes, voire même pour certains professionnels de la musique de comprendre les positions affichées par la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique, la SACEM en matière de musique sur Internet. En effet, cet organisme français qui s'occupe de la protection juridique des œuvres et de la perception des droits d'auteur tente de préserver les droits acquis devant les changements qu'engendrent les développements du réseau mondial. Rencontre et explications avec Catherine Kerr Vignale*.
Avant d'essayer de comprendre quels sont les enjeux de la musique sur Internet aussi bien pour l'industrie musicale que pour les artistes eux-mêmes, nous avons demandé à Catherine Kerr Vignale de redéfinir la notion d'auteur qui est au centre du débat : "La loi de 1958 a décrit ce qu'est un auteur, c'est celui qui fait œuvre de création. C'est un individu, personne physique qui crée une œuvre originale qui porte l'empreinte de celui qui l'a créée. La loi française a reconnu sur la propriété littéraire et artistique très largement la qualité d'auteur : auteur de musique, peintre, photographe, c'est aussi l'auteur d'une adaptation dans le domaine musical." Pour mettre les points sur les i, il est utile de rappeler que l'interprète n'est pas auteur. "Dans l'esprit du public, on confond souvent celui qui interprète une œuvre avec celui qui l'a écrite. Et comme il y a un côté star system qui met en avant l'interprète, du coup on oublie l'autre. L'auteur dans le domaine musical, c'est l'auteur des paroles et le compositeur de musique."
Reste qu'avec l'introduction de nouvelles technologies dans la pratique de la musique, les données du problème ont tendance à évoluer et ont poussé ainsi la SACEM à prendre de nouvelles dispositions dans un domaine, la techno, qui dépassait sans doute un peu les responsables de cette honorable maison. "Aujourd'hui, on reconnaît aussi une certaine qualité d'auteur aux DJs parce qu'ils utilisent leur personnalité en compilant des enregistrements existants (dont ils ne sont pas les auteurs) d'une manière qui leur est propre et qui porte l'empreinte de leur personnalité. Le résultat représente donc une sorte d'œuvre composée d'autres œuvres qui est considérée comme une création. C'est un peu à la marge. Les DJs avaient besoin d'une certaine reconnaissance. Ils utilisaient des œuvres sans reconnaître la qualité d'auteur derrière ces œuvres. Il a fallu faire un peu d'information et de formation. Une manière de faire passer tout ça fut de leur expliquer qu'ils pouvaient créer quelque chose mais qu'il fallait respecter les droits de ceux qui avaient créé avant eux."
Musique en ligne
Quand on vient à évoquer la création sur Internet, cela paraît assez complexe. "Vous avez des sites très sophistiqués, plus lourds en terme de création que des programmes de télévision car ils ont l'interactivité en plus. La création peut se situer à plusieurs niveaux : graphisme, textes, photos, reproductions de peintures, sons, etc. On ne peut confondre sur Internet un site répertoriant les horticulteurs du Val d'Oise et des sites très créatifs." On ne peut donc considérer tous les sites que l'on trouve sur Internet comme égaux devant les problèmes de droits d'auteurs.
Catherine Kerr Vignale précise ainsi qu'un des aspects les plus attractifs du réseau mondial, à savoir sa gratuité et sa facilité d'accès à côté de l'espace de liberté qu'il constitue, ne peut garantir le respect du principe des droits d'auteur. Bien sûr, chacun peut utiliser ses propres œuvres bien que cela soit déconseillé, l'évolution technologique et la difficulté de régulation ne permettant pas de connaître l'avenir en matière de piratage. En revanche, "vous ne pouvez utiliser des œuvres protégées que ce soit une photo, un extrait sonore, une reproduction de tableau sans avoir demandé l'autorisation à ceux qui ont créé ces œuvres. Nous, société d'auteurs, avons réagi dans les cas les plus graves. Nous avons constaté que sur les sites la première création utilisée était la musique." Quand il s'agissait de simples illustrations musicales ou de "morceaux favoris" sur de sites de particuliers, la SACEM s'est demandée qu'elle en était la réelle utilisation et n'a pas cru important d'intervenir. Son action s'est donc surtout portée sur "des sites complets avec des propositions de téléchargement de toutes les œuvres musicales, toutes les nouveautés et dans des quantités importantes avec une possibilité de diffusion considérable. On a lancé des opérations de lutte contre la contrefaçon car il s'agit de cela, contre des sites qui proposaient des œuvres musicales sous forme de fichier MP3. On a agi en les portant devant les tribunaux. On a ainsi deux trois affaires en cour."
Position des maisons de disques
La lutte à mener contre la non-reconnaissance des droits doit se faire avec tous les acteurs du domaine musical. "Les producteurs de disques sont tout aussi frappés que nous (ndlr : SACEM) si ce n'est plus. Leur manque à gagner est encore plus important que la seule rémunération de l'auteur." Catherine Kerr Vignale insiste sur le fait qu'il faut déjà utiliser la loi là où elle existe. "La diffusion potentielle d'Internet est mondiale mais les lois sont appliquées pays par pays. On mobilise déjà les sociétés d'auteurs qui existent. Mais il est évident qu'il y a des trous. Prenons le cas du Yémen où il n'existe pas de sociétés d'auteurs. Personne ne peut combler les manques et ils existent déjà dans l'utilisation traditionnelle des œuvres. Il y a alors de la piraterie mais qui est limitée au Yémen. Ce qu'on essaie de faire quand un serveur ou un fournisseur de contenu se place dans ce genre de pays pour inonder le monde entier, tous les pays qui ont une protection tente de faire front, de bloquer, de faire fermer au niveau de l'hébergeur français par exemple, qui lui, doit appliquer les lois françaises. On commence par mener une action dans les pays où il y a une protection. On conserve notre expérience de protection des auteurs et on ne va pas laisser perdre ça parce que Internet est un grand espace de liberté. On essaiera d'obtenir par des lobbyings que les choses soient faites." L'action commune semble en effet être la meilleure solution face à une piraterie de plus en plus organisée alors que la course technologique s'emballe. L'introduction du format MP3 sur le marché inquiète les sociétés d'auteurs ainsi que l'industrie du disque.
MP3
"Ce format standard de compression des données n'est pas sécurisé. C'est son défaut majeur. Une fois que quelqu'un numérise le son et l'envoie partout, on ne peut pas tracer, identifier l'œuvre et vérifier que les autorisations ont bien été données. Les auteurs, compositeurs, artistes ou producteurs indépendants devraient réagir contre ça." On sait pourtant que certains d'entre eux, se lancent sans retenue dans l'aventure Internet sans à priori se préoccuper du piratage potentiel de leurs œuvres. Catherine Kerr Vignale insiste sur le fait que la diffusion en ligne de musique n'est pas forcément un réel moyen de se faire connaître pour un artiste peu connu ou inconnu, perdu au milieu des Madonna ou Elton John, les artistes les plus représentés en fichiers MP3 sur le réseau en ce moment.
La diffusion sur Internet n'est pas non plus la panacée pour certains artistes connus qui ne touchent pas de droits d'auteurs dans la mesure où ce ne sont que des interprètes. Le manque à gagner semble réel pour eux : "Un artiste comme Hallyday vit de la vente des disques. Quand on a écouté tous les morceaux que l'on souhaite sur des sites Internet, on n'achète plus de disques parce qu'on en a plus besoin. Il faut être vigilant quant à la rémunération." En effet, les maisons de disques tirent bénéfice de la vente des disques mais il est clair qu'elles permettent aussi de réinvestir dans l'enregistrement d'autres œuvres quelles qu'elles soient.
Plan d'action
Catherine Kerr Vignale souligne que l'on ne peut envisager l'avenir sans faire attention aux arguments financiers concernant la création artistique. "Il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui investisse dans la captation de l'interprétation. C'est au niveau de l'enregistrement que les choses se passent. Nous avons un plan très important au sein de la CISAC (Confédération internationale de Société d'Auteurs et de Compositeurs) qui permet de codifier et d'identifier l'œuvre de manière unique. C'est déjà un grand progrès." L'harmonisation des codes entre toutes les sociétés d'auteurs semble être un point essentiel : "Rien que le code de l'œuvre doit permettre à n'importe quel pays de savoir à qui payer les droits. La CISAC (150 sociétés) a voulu assez vite arriver à cette identification unique de l'œuvre. Quand on a vu l'annonce du Secure Digital Music Initiative (SDMI), on a pris contact avec eux au Midem en janvier 99. On leur a dit qu'on voulait participer. Nous n'avons pas un siège de décideur car cet organisme regroupe des techniciens, des industriels, des producteurs de disques, des fabricants (rio, Philips par exemple). C'est un moyen d'aboutir à une certaine sécurisation des enregistrements musicaux. On leur propose de marquer les enregistrements, de faire un lien avec les codes œuvres. Ainsi on pourrait tracer les utilisations et répartir aux ayants droit ce qu'il leur revient parce que c'est aussi une de nos missions." L'Europe doit donc elle aussi, s'organiser de son côté. "Depuis janvier 99, on a annoncé une plate-forme commune avec les producteurs de disques pour voir quelle est la meilleure manière de nous protéger." Catherine Kerr Vignale réaffirme que l'emploi du lobbying semble être la meilleure façon de mener la lutte contre le piratage.
SESAM
Catherine Kerr Vignale est aussi une des responsables de SESAM. Elle nous explique l'action de cet organisme qui rassemble cinq sociétés d'auteurs dont la SACEM et qui gère les droits d'auteur pour les œuvres reproduites sur des supports multimédias. "Demain, il n'y aura peut-être plus les supports dédiés comme dans le passé. Aujourd'hui en gros, sur les disques il y a de la musique, sur les vidéos des films. Avec le CD-ROM est apparu un support non dédié. Plusieurs types d'œuvres peuvent être mis sur un même support. Il faut apprendre à régir tout cela. Nous avons donc décidé de créer une structure élargie à tous les répertoires, photos, arts graphiques, musique, etc. en regroupant les sociétés d'auteurs qui existent. Mais Sesam veut être aussi le guichet unique. Les producteurs de multimédias ne savent pas toujours à qui s'adresser. Il faut donc les aider. Dans les pays européens, se créent des organismes à l'image de Sesam. On espère avoir un réseau européen de "guichets uniques". Ce n'est pas encore prêt."
Perspectives d'avenir
Il est difficile d'imaginer aujourd'hui tous les développements qu'Internet va pouvoir engendrer. Chaque jour, des nouveautés technologiques viennent bouleverser le mode de fonctionnement du réseau. En matière de musique, le format MP3 joue pour le moment les grands méchants loups. En passant des accords, certains organismes tentent de réglementer le réseau. En juin dernier, aux Etats-Unis, un accord entre le site Internet de MP3 et l'ASCAP, (American Society of Composers, Authors and Publishers) a été passé portant sur la rémunération du droit d'auteur. Le 10 novembre dernier, la SACEM et une radio diffusant exclusivement sur Internet (Net Radio) ont signé le même type d'accord. Il semble en effet que la négociation entre les différentes parties soit le meilleur moyen de concilier les intérêts de tous.
*Catherine Kerr Vignale est Directrice du département des droits phonographiques et vidéographiques de la SACEM et membre du directoire. Elle est aussi Gérante de SESAM.
Valérie Passelègue