Roch Voisine à l'Olympia

Alors que Roch Voisine remonte ce soir sur la scène de l'Olympia à Paris avant d'entamer une tournée à travers la France, Pascal Evans revient avec lui sur une carrière entre deux pays et en deux langues.

Du star system à l'anonymat

Alors que Roch Voisine remonte ce soir sur la scène de l'Olympia à Paris avant d'entamer une tournée à travers la France, Pascal Evans revient avec lui sur une carrière entre deux pays et en deux langues.

Au Canada, que tu chantes en anglais ou en français, le succès reste le même. Mais en France où tu as été absent pendant cinq ans, les attentes sont énormes d'autant plus que tes fans français n'ont guère suivi ta carrière anglophone et qu'ils se sont arrêtés à "Hélène".
C'est vrai. Mais "Chaque Feu" n'est pas un album qui a la même image, l'artiste a changé, il ne dit pas les mêmes choses et de la même façon. Je fais ce que je faisais avant mais dans ma peau d'un homme de 36 ans, c'est à dire avec les messages et les textes qui vont avec, et une recherche musicale un petit peu plus sophistiquée. Cet album, c'est un virage et je m'aperçois que les gens ont besoin de s'habituer à ça et surtout en France où Roch Voisine, c'est "Hélène". Dans leur mémoire collective, ce phénomène là n'a pas évolué et dans les médias, on me regarde un peu comme un membre de boys band qui aurait mal vieilli. Mais au bout de quelques minutes, ils se rendent compte que je suis un artiste qui a grandi même si je ne suis pas devenu totalement quelqu'un d'autre. Mais sincèrement je ne pensais à avoir à partir d'aussi loin avec ce nouvel album.

L'enregistrement en 96 de l'album "Kissing Rain", destiné au marché américain où il avait été préparé et enregistré mais ou il n'est jamais sorti, t'avait permis de te découvrir meilleur guitariste et chanteur. Dans le cas du nouvel album, as-tu eu d'autres surprises ?
Pour "Kissing Rain", j'étais à Los Angeles où les grandes voix sont importantes. Je me sentais un peu poussé par les gens qui m'entouraient à l'époque, dès que je chantais fort, tout de suite, il y avait une réaction, ils étaient touchés, plus que par des ballades douces de type un peu latine ou française, le genre de chose que nous aimons aussi. Donc j'ai été un peu malgré moi dirigé par les producteurs, les auteurs et compositeurs qui me proposaient des chansons avec des tonalités plus hautes, dès qu'ils voyaient que je pouvais monter ma voix, ils se mettaient à m'écrire des lignes mélodiques dans ce sens. Alors qu'avec l'album "Chaque feu", ce que j'ai découvert c'est que quand on a des choses à dire, on n'a pas forcément besoin de les crier. J'ai aussi appris à construire un album par rapport aux textes, c'est à dire que les chansons ont d'abord été écrites et que par la suite ont a fait suivre les arrangements et les interprétations derrières ces textes-là.

Les critiques sont le lot quotidien des artistes et tu n'y échappes pas. Même si ton album est dans l'ensemble bien accueilli, certains se font durs comme Jean-Christophe Laurence dans La Presse (quotidien montréalais, ndlr) qui écrit que "Chaque Feu "a les défauts de ses perfections, émotions en mélanine, sentimentalisme de papier glacé, histoires de cœur désincarnées, arrangements cosmétiques".
J'accepte les critiques de quelqu'un qui est honnête, c'est à dire qui aime ou qui déteste ou qui est totalement indifférent, mais qui a des arguments constructifs. C'est une personne qui ne se cache pas derrière des beaux mots, de belles phrases un peu fabriquées comme le gars de La Presse.

On peut quand même être fan et être critique à la fois?
Tout à fait, c'est possible mais sincèrement je ne pense pas avoir raté mon coup avec cet album-là. Le phénomène de la critique est assez étonnant parce que la plupart des critiques n'ont pas le sens de la mélodie, ne sont ni auteur, compositeur ou interprète, ne sont pas des musiciens et ils se permettent pour des raisons un peu obscures de dire que ça c'est bon et ça c'est pas bon. Selon leur humeur, ils peuvent nous faire beaucoup de mal.

S'il y a un virage sur lequel tout le monde s'entend, c'est sur celui que le public à pris. L'hystérie d'hier a laissé place à plus d'écoute, plus de respect. Tu l'as constaté toi aussi?
Quand je suis revenu à Paris il y a un peu plus d'un an maintenant, c'était beaucoup plus calme qu'avant. Ce n'était pas l'anonymat que j'ai connu en Californie mais j'ai quand même pu avoir une vie normale, aller au restaurant, faire du sport, aller dans les Alpes faire du ski ou tout simplement marcher dans la rue. C'est devenu un peu plus ce que ça a toujours été au Québec, les gens me reconnaissent mais il n'y a plus cette hystérie. J'ai donc pu redécouvrir Paris et ça m'a fait énormément de bien parce que j'ai quand même passé de nombreuses années là-bas dans des chambres d'hôtels, assis sur un siège arrière de voiture à me cacher. Nous devions le faire de cette façon mais la France est trop belle pour la vivre comme ça. Les choses à présent sont plus raisonnables.

Avec ce nouvel album on découvre un Roch Voisine plus sociable. On te voit dans des émissions comme" Les Enfoirés" où tu ne faisais aucune apparition avant. J'ai l'impression qu'il y a un rapprochement très marqué avec les autres artistes français, d'où les duos avec Goldman, Anggun etc.
Je n'ai jamais été un gars très sociable. Je jouais au hockey dans une équipe, je me donnais à 110 %, ils pouvaient compter sur moi mais je n'étais pas nécessairement de la fête le soir, je n'allais pas faire la tournée des bars. Je n'étais pas très impliqué. Aujourd'hui, c'est pareil. De plus, dès que l'on a du succès dans ce métier-là, on s'isole. Plus on a de succès, plus l'entourage augmente et moins les contacts se font. Les seules personnes à nous comprendre ce sont les autres artistes et les occasions comme par exemple "Les restos du cœur", sont fantastiques. Ça ma permis de me relaxer un petit peu, de découvrir des artistes, j'ai adoré l'expérience. Je me suis fait des copains, des copines, maintenant ça ne veut pas dire que je suis devenu extrêmement sociable.

On ne te verra pas aux Bains Douches?
Non, non absolument pas, ça ne fait pas partie de ma vie, tout ce show business, tout ce glam, la jet set, je ne ferai jamais partie de ça, ce n'est pas vraiment mon truc.

C'est justement pendant une de ces émissions que tu as rencontré Erick Benzi qui a réalisé ton album et qui signe la chanson "les Lys blancs" en hommage à ton meilleur ami et manager Paul Vincent (décédé en 97, ndlr). Tu es un excellent auteur, tu décris très bien les sentiments, pourquoi ne pas avoir aussi écrit le texte de cette chanson. C'était trop pénible, trop personnel?
Moi et Erick, d'une façon un peu étrange, on a vécu à peu près la même chose en même temps. Erick a perdu sa femme à la suite d'une longue maladie, il y a deux ou trois ans. Moi j'ai perdu mon meilleur ami, mon manager. Donc il y avait une complicité dans les sentiments qui était indéniable sur un sujet comme celui là. Je me suis donc laissé un peu guider. Et sur bien des aspects de l'album, entre autres au niveau de la réalisation ou j'ai laissé Erick faire presque tout ce qu'il voulait. Il est arrivé avec des mots, et avec énormément de sentiment il a dit la vérité et expliqué une partie de ma vie. Je n'aurais pas pu faire mieux.

Dans la plupart de tes biographies, il n'est jamais fait mention de tes deux vrais premiers albums avant "Hélène". Peut-on espérer voir ces albums un jour réhabilités?
Le premier album était une compilation de productions, de reprises que nous avions faites pour la télévision. On avait fait ça pour survivre parce que je ne jouais pas en club, je faisais juste de la télévision (en tant qu'animateur, ndlr) et il fallait exploiter le plus possible cette voie musicale parce que la télé, ce n'était pas très payant.
Le deuxième album, c'était plus de la recherche. Il a été retiré des bacs tout simplement parce qu'il était en anglais et que sur un marché francophone je n'avais que peu de chance à l'époque. Donc, nous avons repris de cet album-là des chansons comme "Hélène", ou "Mi Calgary" qui est devenue "la Fille de pluie", ou encore "Little devil's lullaby" transformée en "la Berceuse de petit diable".

Sais-tu que ces deux albums valent aujourd'hui plus de 200 $CA chacun?
Oui, parce qu'il n'y en a pas beaucoup. Je les garde parce qu'un jour on va pouvoir les mettre à la disponibilité des fans qui veulent acquérir quelque chose de très rare.

Dans tous tes albums, y compris les deux premiers, on retrouve une chanson du précédent traduite en français. "All I know" par exemple ("Kissing Rain") est devenu "Doucement" dans ton nouvel album. Pourquoi systématiquement ces reprises?
Quand je venais en France, on prenait l'habitude aussi de faire sur scène des versions françaises de chansons en anglais. Je trouvais qu'elles étaient bonnes et qu'il était dommage de les garder dans une langue qui est un peu éloignée du public. Mais on le faisait uniquement parce que la chanson était bonne et qu'elle s'intégrait bien à l'album. En revanche, je ne débute pas l'écriture d'un album français en me demandant quelles chansons on va pouvoir traduire.

As-tu le temps de profiter de la vie, de sortir, d'assister à des spectacles maintenant que ta vie publique est moins contraignante?
J'ai le temps mais je ne le fais pas trop. C'est une habitude que je n'ai de ne pas aller voir les autres en spectacle. J'y vais très rarement. En fait, j'ai vu deux shows cette année, celui de Jean-Jacques Goldman au Zénith et celui de Céline au Stade de France. Et pourtant les invitations sont nombreuses. Mais finalement je n'y vais jamais parce que souvent, je travaille. Pourtant, je me demande à chaque fois pourquoi je n'y vais pas plus souvent. Je ne vais pas au cinéma et je crois que cela manque à ma culture. Je pense que sortir de mon cocon, voir ce qui se passe ailleurs, me ferait du bien et me donnerait des idées.

Roch Voisine Chaque Feu (BMG) 1999