Malavoi
Le groupe emblème de la Martinique revient avec "Fléch Kann", un nouvel album qui raconte en neuf titres le plus beau des combats que mènent ces artistes à temps partiel depuis une trentaine d'années : la défense du patrimoine. Symbole d'une identité forte, la musique de Malavoi, aidée en cela par ses cordes somptueuses, a toujours su décliner cependant son ouverture sur l'ensemble de la Caraïbe pour éviter l'enfermement. Entretien avec Pipo Gertrude, le crooner de service, un charmeur de premier ordre.
Comme on l'aime !
Le groupe emblème de la Martinique revient avec "Fléch Kann", un nouvel album qui raconte en neuf titres le plus beau des combats que mènent ces artistes à temps partiel depuis une trentaine d'années : la défense du patrimoine. Symbole d'une identité forte, la musique de Malavoi, aidée en cela par ses cordes somptueuses, a toujours su décliner cependant son ouverture sur l'ensemble de la Caraïbe pour éviter l'enfermement. Entretien avec Pipo Gertrude, le crooner de service, un charmeur de premier ordre.
Quel tournant représente cet album pour Malavoi ? "Fléch Kann", c'est quelque chose qui revient toutes les années et c'est une fleur. La fleur de la canne à sucre, c'est comme ça qu'on l'appelle en Martinique. Cet album qui est un retour aux sources, veut continuer à défendre la musique du terroir, la biguine, la mazurka… Les danses et les rythmes du pays, le quadrille, comme la haute taille… Malavoi, c'est aussi du son local avec des arrangements modernes et des cordes qui nous amènent à des harmonies fantastiques. On peut faire plein de choses.
Du Malavoi comme on l'aime…
Ce nouvel album est là aussi pour faire comprendre aux gens que le groupe continue. Et il y a une surprise. Le fondateur du groupe est revenu. Il n'y était plus pour des raisons professionnelles, même s'il n'a jamais vraiment lâché Malavoi. C'est Mano Césaire. Il est notre patriarche, le maître-pièce comme on dit. L'album sort donc pour montrer que Malavoi existe, pour rappeler que Malavoi c'est les odeurs et les senteurs, pour signaler que Malavoi reste ouvert au monde avec la Caraïbe, pour dire enfin que Malavoi c'est aussi un brin de soleil. Face à la jungle de béton qui nous envahit de plus en plus, il est encore des valeurs qui méritent d'être défendues. L'importance des échanges entre les hommes en est une. Nous y tenons. C'est aussi ce que nous disons dans l'album.
Comparé au précédent qui était lié à l'actualité du 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage, "Fléch Kann" part un peu moins dans tous les sens ?
Cet album, c'est du pur Malavoi. L'album "Maronnages" dont vous parlez, était un concept sur lequel nous avions invité toute la Caraïbe, en passant par la Réunion. C'était les DOM et les TOM quoi… Alors que celui-là, c'est véritablement du Malavoi. On s'est recentré sur notre propre musique. C'est notre façon de voir les choses avant d'attaquer l'an 2000.
C'est un album qui porte un certain message ?
Il y a toujours un message dans un album? En général. Je crois que notre message à nous, c'est de défendre toujours l'ouverture qu'on a sur la Caraïbe, tout en défendant le patrimoine culturel. Chaque pays a sa spécificité. Mais on est un carrefour musical tellement important en Martinique qu'on se doit de continuer à défendre justement la spécificité du pays et celle des autres pays avoisinants. Maintenant, cet album doit aussi contribuer à montrer à notre jeunesse que nous avons des racines dont il faut être fier.
Cette musique sera toujours gaie parce qu'on vit quand même dans une certaine gaieté. Mais Malavoi développe un mouvement qui est tout autre. Celui de l'histoire du pays et de tous les phénomènes qui seront présents aujourd'hui comme en l'an 2000 parce que c'est une continuité dans le temps. Je prends un titre sur le disque en exemple. "Lavi agrikiltéa", un morceau écrit par Bruno Lopez, un jeune homme dont les parents sont agriculteurs. C'est un petit concours que Malavoi avait organisé pour inciter les jeunes à participer à cette musique que nous faisons, donc à défendre le patrimoine, qui nous l'a fait connaître. Son texte remonte à l'Histoire, à la période 39-45, pendant la guerre quand l'amiral Robert, un administrateur venant de France sous le régime de Vichy dirigeait l'île. Alors les gens là-bas avaient des difficultés à exister, à survivre. Les agriculteurs devaient traverser le pays en mulet pour aller vendre leurs produits afin de survivre, parce que les bateaux n'arrivaient pas. Il y avait des allemands dans la baie de Fort de France qui coulaient les bateaux venus d'un peu partout. Et là… c'était une période difficile. Malavoi va puiser dans ce genre d'événements qui ont marqué la vie de nos parents, de nos arrière-grands-parents et à travers cette réalité-là par exemple se poser des questions sur le futur. Comment cela sera ? Est-ce que ça ne va pas recommencer ? Il y a quand même une certaine crainte au niveau des gens. C'est l'état d'esprit dans lequel on travaille. Cela dit, le côté engagé au niveau de la Martinique en musique est un problème. Peut-être parce que c'est un pays qui reçoit tout de la France. C'est un pays assisté en fait ! Donc les gens sont tous à l'aise. D'où cette musique souvent gaie.
L'ouverture est un mot que vous aimez bien ?
La terre, c'est un vaisseau spatial. On fait partie des passagers de la terre ! Et je crois qu'on doit apprendre à connaître celui qui est en face de soi. C'est important au niveau musical comme au niveau social, comme au niveau humain. C'est obligatoire de s'ouvrir au monde. C'est le seul moyen de faire évoluer une musique qui nous appartient. Mais je crois aussi qu'avec cette musique, on a encore beaucoup de choses à dire.
Vous disiez que Mano Césaire avait dû s'arrêter pour des raisons professionnelles. Est-ce que Malavoi continue justement à fonctionner comme à ses débuts, c'est à dire en "amateur"… De bons artistes qui se retrouvent de temps à autres pour une belle aventure musicale mais qui retournent ensuite à d'autres obligations dans leur vie de tous les jours. C'est un choix depuis un certain nombre d'années. Je crois que c'est aussi un moyen de mieux composer, parce qu'on a le temps de le faire à ce niveau-là. Ils sont tous fonctionnaires ou commerçants ou travaillent dans le domaine médical. Il n'y a que moi qui sois professionnel ou à plein temps dans cette histoire musicale. C'est vrai que c'est un peu embêtant parce qu'on ne peut pas vraiment voyager tout le temps pour faire connaître un peu plus le groupe dans le monde entier. C'est dommage pour ça. Et d'un côté, c'est aussi ce qui fait le mouvement Malavoi. C'est ce choix. Tu sais, quand tu deviens professionnel, tu peux finir aussi par faire de la soupe. Aux Antilles, ça se passe parfois comme ça. Parce qu'il faut vendre, il faut vendre, il faut vendre pour vivre. Là c'est un choix qui a été fait. C'est un choix qui est sage quelque part et qui nous rend plus libre.
*"Fléch Kann" est sorti le 22 novembre 1999 (Globe Music/Sony). Malavoi sera en tournée dans les Caraïbes en décembre. Une tournée européenne prévue entre les mois de février et de mai 2000 les amènera sur la France.