Senge

Telle une sentinelle, vigilant, il veille. Jamais il ne laissera ses traditions musicales s'étioler. Mieux, il les portera au-delà des mers, il s'en fera le messager. Lauréat du Prix Découverte RFI Afrique 99, le trio vocal Senge chante sa terre, l'Androy, située dans le Sud de Madagascar, une région boudée par l'eau et surnommée «le pays des épines».

La voix des épines

Telle une sentinelle, vigilant, il veille. Jamais il ne laissera ses traditions musicales s'étioler. Mieux, il les portera au-delà des mers, il s'en fera le messager. Lauréat du Prix Découverte RFI Afrique 99, le trio vocal Senge chante sa terre, l'Androy, située dans le Sud de Madagascar, une région boudée par l'eau et surnommée «le pays des épines».

Aride, hostile, l'Androy est le territoire de l'une des dix-huit ethnies de la Grande Ile. Celui d'une population fière et rebelle, qui donna bien du souci à l'administration coloniale. «Cela a pris du temps pour faire accepter la présence française, rappelle Sengemana, voix basse et leader de Senge. Il y avait une forte résistance.» Les colonisateurs ont cherché par tous les moyens à la faire plier. «Des avions ont lâché sur la région des parasites pour détruire les cactus entre lesquels les habitants savaient se cacher et se mouvoir. L'écosystème en a été sérieusement bouleversé, la sécheresse s'est aggravée».
S'il vit aujourd'hui à Antananarivo, la capitale, comme ses deux compagnons, Sengemana reste profondément attaché à sa région. C'est pour elle qu'il chante, hier au sein de Salala, aujourd'hui dans Senge, le trio vocal, dont il est l'initiateur. Un nom brandi comme une bannière, un nom qui signifie «fierté».

Les Senge sont fiers d'appartenir à cette terre où les traditions sont encore et toujours irriguées d'une sève forte et nourricière. C'est à cette source qu'ils boivent, c'est de là que viennent leurs polyphonies chatoyantes. Ils s'inspirent essentiellement du beko, un style de chants sacrés interprétés notamment lors des funérailles, événement social majeur dans la société androy. «La mort n'est pas triste chez nous, raconte Sengemana. C'est une étape avant de rejoindre les ancêtres qui nous protègent et que l'on honore en sacrifiant des zébus.»
Sans être sacralisé, comme la vache en Inde, le zébu occupe une place à part chez les Androy. Passerelle entre le monde des vivants et celui des défunts, il est une marque de prestige. On ne l'élève pas pour en tirer des espèces sonnantes et trébuchantes. «L'essentiel pour nous, c'est d'avoir une fille pour perpétuer le lignage et des troupeaux de bétail pour être reconnu dans la société et avoir ensuite un bel enterrement.»

Investi de ce rôle cardinal, le zébu est l'objet de tous les désirs, de toutes les convoitises. Les dahalo, les voleurs de zébus, sont courants en pays Androy. Pour représenter au chant et à la danse celui qui possède plusieurs têtes de ce précieux ruminant, les Androy ont inventé un rythme, le banaike. Accompagné de halètements ou de raclements de gorge, celui-ci inspire également Senge, qui s'empare aussi du sabo, une variante du beko. On chante le sabo pour éliminer l'esprit maléfique possédant un malade. «C'est une force, une énergie faisant couler les larmes, palpiter, suer, trembler, explique Sengemana. Il y a des artistes professionnels pour interpréter ce chant particulier. Une fois la crise nerveuse du malade terminée, l'esprit est parti. Pour moi, en tant que médecin, cette pratique équivaut à une forme de musicothérapie»

Et oui, c'est un lieu commun que de le rappeler, mais tous les chemins mènent à la musique. Avant de se lancer dans l'aventure artistique, Sengemana s'investissait dans la médecine. Une activité vers laquelle, il retournera peut-être un jour, dit-il, quand il sera trop vieux pour pouvoir danser.

Patrick Labesse.

ALBUM : Arembelo (Cobalt)

CONCERTS : Paris (New Morning) le 1er décembre, Dakar le 2 pour le concert Découverte/RFI, Montreuil le 4, Haguenau le 7, Gand (Belgique) le 8, Bilzen (Belgique) le 9, Maison Alfort le 11, le Pré St Fervais le 17, Bruxelles (Espace Senghor) le 22, Saint Denis (Festival Africolor) le 23.