Instantanés rennais
Etalée sur trois soirées copieuses (les 2,3, et 4 décembre), la 21éme édition des Rencontres Trans Musicales de Rennes conservera cette année encore son titre de championne des manifestations bigarrées et audacieuses. La programmation World chatoyante et fureteuse y aura été pour beaucoup. Privilégiant les rencontres au sommet entre des univers musicaux réputés dissemblables, ce dernier millésime du millénaire aura également révélé quelques passionnants aventuriers d’une électronique française dansante et ludique. Les nuits bretonnes les plus longues du mois de décembre ont aussi permis de dessiner un panorama historique du hip hop, de Public Enemy à Quannum, avec en point d’orgue le show irrésistible des Frenchies surdoués Saïan Supa Crew. Retour sur quelques instantanés.
Trois soirées aux Trans Musicales
Etalée sur trois soirées copieuses (les 2,3, et 4 décembre), la 21éme édition des Rencontres Trans Musicales de Rennes conservera cette année encore son titre de championne des manifestations bigarrées et audacieuses. La programmation World chatoyante et fureteuse y aura été pour beaucoup. Privilégiant les rencontres au sommet entre des univers musicaux réputés dissemblables, ce dernier millésime du millénaire aura également révélé quelques passionnants aventuriers d’une électronique française dansante et ludique. Les nuits bretonnes les plus longues du mois de décembre ont aussi permis de dessiner un panorama historique du hip hop, de Public Enemy à Quannum, avec en point d’orgue le show irrésistible des Frenchies surdoués Saïan Supa Crew. Retour sur quelques instantanés.
Jeudi 2 décembre - Le Liberté
22h30 - La grande salle du Liberté vient à peine de tressaillir aux envolées flamencas de Tekameli que les sept musiciens issus de la communauté tzigane de Montpellier cèdent la place aux polychromies vocales de la troupe pakistanaise de Rizwan & Muaza Qawwali. Ces neveux du grand et regretté Nusrat Fateh Ali Khan sont accompagnés sur scène de huit musiciens. Leurs mélopées majestueuses et généreuses ont envoûté le public breton qui a pu constater comme un air de famille entre les folklores andalou et indien. Les origines du flamenco remontent en effet à la danse indienne Kathak et la programmation judicieuse des Trans fut l’occasion de rétablir cette filiation méconnue.
Sur les traces de Denez Prigent et d’Alan Stivell, les Armoricains pur teint du groupe Anjel I.K. avaient tenté en début de soirée de réconcilier traditions et groove, fest noz et échantillonnage. Sans grand succès. On sentait ici la formule figée, l’exercice de fusion stérile et trop appliqué. Nettement moins formel et corseté, l’éclectisme gourmand du collectif bordelais Zimpala (alias BMX & Walters) aura régalé les amateurs de pas de danse astucieux de leurs succulents intermèdes électroniques.
2h45 - Au cœur de la nuit rennaise, la magie des Trans Musicales s’impose par petites touches. La bière envahit les gosiers, les galettes-saucisses et autres fars bretons coupent les petites faims nocturnes et la fanfare No Smoking débouche avec force flonflons sur la grande scène illuminée. Après avoir signé la Bande Originale du film "Chat Noir, Chat Blanc", le groupe serbe d’Emir Kusturica a emballé les nombreux spectateurs venus découvrir sa fanfare trépidante et gorgée de bonne humeur. Tout le monde sautillait et tapait dans ses mains et une paire de jeunes spectatrices est même montée sur scène pour danser avec le groupe.
3h30 - La performance de Mei-Tei-Sho aura quant à elle, été une des meilleures surprises des Trans Musicales. Cette jeune formation lyonnaise n’hésite pas à faire se croiser des influences dub, jungle, rock et afro beat et devient en concert une redoutable machine à groove, syncopée et fiévreuse. Trempé de sueur, le festivalier s’aperçoit à la fin du concert qu’il est plus de quatre heures du matin. S’accorder un minimum de repos est vital à Rennes, nous nous dirigeons donc vers le concert final du paisible Morphée.
Vendredi 3 décembre
20h10 - Le lendemain soir, on assiste à une belle rencontre, celle du pianiste jazz Jo Kaiat et des percussionnistes Cheik Fatamady et Ousmane Keita. Le soliste a développé un jeu percussif et ample pour un passionnant échange avec les tamtams nerveux de l’Afrique éternelle.
21h30 - Danyel Waro est venu de la Réunion accompagné de quatre chanteurs percussionnistes pour perpétuer dans la nuit bretonne la tradition du maloya, une sorte de blues rudimentaire et sacré hérité de l’esclavage. Ce concert a fait l’unanimité et le programmateur des Trans, Jean Louis Brossard est monté en personne sur scène pour exiger chaleureusement un rappel.
22h - Le cheminement du quatuor français Mukta est symptomatique d’un désir de rapprochement entre les traditions musicales occidentales et orientales. Mais passer du jazz à la musique indienne n’est pas une mince affaire et, malgré la présence du contrebassiste d’exception Simon Marie, on ne fut pas complètement convaincu par leur concert un peu laborieux et brouillon.
22h40 - Lorsque Paranda a investi l’enceinte du Liberté, un silence respectueux et presque religieux s’est par contre vite très vite imposé. Les neuf musiciens ont fait le déplacement de Belize (Amérique centrale) et ont emmené avec eux, un vieillard de 94 ans aux maracas et à la guitare. Salsa, rumba, bossa étaient au programme mais ils ont su surtout nous émouvoir avec de somptueuses et vibrantes ballades acoustiques.
2h15 - La prestation de Zuco 103 fut une véritable explosion. A la limite de l’orgie, leurs compositions festives (bossa ou samba matinées de breakbeats et de nappes enjouées) furent admirablement servies par leur chanteuse sexy, la Brésilienne Lilian Vieira. Dans la foulée, le jeune trio mexicain Titan a livré un concert efficace et rentre dedans. Un tiers de punk, un autre de hip hop, un dernier de rock psychédélique : secouez, versez et dégustez un des cocktails les plus abrasifs du moment!
4h - Ce fut à Tony Allen, l’ancien talentueux batteur de Fela Kuti que revint l’immense privilège de clore une soirée riche en dépaysements musicaux. Accompagné sur scène d’un DJ et de ses musiciens, il a livré un très bon concert. Son afro beat mâtiné de feulements électroniques et de scratches heurtés fut le prétexte à tous les déhanchements débridés et à l’expression d’une sensualité torride.
Il ne restait plus qu’à se rendre au set drum & bass ravageur des Britanniques de London Elektricity. Epuisés, les derniers danseurs trouvaient encore l’énergie de se trémousser en soubresauts désarticulés sur ces montagnes russes rythmiques, de tressaillir sur des basses explosives. Moment unique où on pouvait lire sur les visages las mais souriants le bonheur de faire la fête sans retenue.
Samedi 4 décembre -l'Antipode
20h - Le concert d’April March, l’égérie du label Tricatel fit le lendemain l’effet d’un pétard mouillé. Les arrangements ingénieux ne sont pas ici en cause, mais le vilain petit filet de voix de l’Américaine ne mérite pas les comparaisons flatteuses (Françoise Hardy) qu’on a jusqu’ici entendues à son sujet.
23h30 à La Cité - Coincé entre Charged, le projet brut et expérimental du bassiste Bill Laswell et les divagations pop électroniques de The All Seing I, Le Tone s’est bien débrouillé et a fait honneur à la scène française. Son set de DJ fantaisiste et iconoclaste a confirmé un statut de trublion en chef de l’électronique hexagonale.
00h30 au Liberté - Les Saïan Supa Crew avaient de quoi être intimidés. Partager l’affiche de ces Trans Musicales avec des légendes vivantes telles que Public Enemy, les Jungle Brothers ou les artisans les plus doués du nouveau hip hop progressif (Quannum, A.D.O.R. ou les Beat Junkies) ne leur a pourtant pas fait perdre leurs moyens puisqu’ils ont samedi soir probablement livré leur meilleur concert à ce jour.
La dernière nuit ne faisait que commencer. Une foule de festivaliers dense et bruissante, des concerts de qualité : on venait d’assister une nouvelle fois au prodige des Trans Musicales de Rennes, à ce qui constitue un cas unique dans l’histoire des festivals français. Une programmation très pointue et des records d’affluence (plus de 20.000 spectateurs) constituent un net paradoxe. Ce miracle est possible chaque année grâce à une équipe de programmateurs passionnés et obstinés et la remarquable vitalité et curiosité du public de la région. Inutile de dire que la perspective du retour à Paris fut un déchirement et que le rendez-vous avec Rennes l’année prochaine est... obligatoire !
Nicolas Mollé