Le retour éclatant de Patriiick !
Avec l'album Juste avant, Patrick Bruel réussit son retour sur le devant de la scène discographique française: thématiques très quadragénaire et sagesse musicale très raisonnable.
Le succès entre douceur et douleur
Avec l'album Juste avant, Patrick Bruel réussit son retour sur le devant de la scène discographique française: thématiques très quadragénaire et sagesse musicale très raisonnable.
L'album Juste avant, sorti le 19 octobre, a dépassé ces jours-ci les 350.000 exemplaires vendus en France, soit plus que le disque de platine. Ce n'est pas une performance unique pour Bruel, dont le potentiel de ventes est autour du million d'albums, mais cela confirme la réussite de son retour.
Quadragénaire, Patrick Bruel est revenu avec un disque de quadragénaire. Paradoxalement, la pochette de Juste avant semble cousiner avec celle du nouveau disque d'Alain Souchon, Au ras des pâquerettes : même présence sobrement érotique du corps féminin, même distance de la part du chanteur qui semble ne pas s'impliquer dans le rapport de séduction, même impression de tendre lassitude, comme si le charme ou la sexualité n'étaient plus au centre de son monde. D'ailleurs, que font les mains de femme qui encadrent son visage sur la photo ? Le titre de l'album dit Juste avant, mais, dans leur position figée et comme réticente, elles semblent plutôt s'éloigner de son visage...
C'est un disque en demi-teintes que Bruel signe là : l'amour n'est pas aisé, devenir adulte exige des renoncements, la nostalgie habite plus souvent notre coeur que l'élan des nouveautés... La voix toujours un peu voilée de Bruel défend ces thèmes avec une fermeté attendrissante, la solide chaleur qu'on attend des vieux amis. D'ailleurs, Pour la vie, qui est ouvertement la suite de Place des grands hommes, dit bien une certaine forme de désenchantement réaliste : "C'est la vie qui nous change et qui dérange/Toutes nos grandes idées sur tout (...) A quoi ça sert d'aller contre/On perd son temps/Et quand on r'garde nos montres/Tout à coup on comprend."
Rien d'étonnant alors que le retour de Bruel soit salué par la presse comme une oeuvre de maturité: le long mûrissement de cinq ans de silence, des thématiques moins adolescentes que jamais... Les jeunes filles qui hurlaient "Patriiiick" deviennent mères, et leur idole a eu le temps de réfléchir.
Par ailleurs, la matière musicale de cet album est d'une telle habileté que l'on n'ose imaginer son insuccès: la chanson Juste avant s'ouvre par une introduction à la Goldman, suivie d'un refrain qui semble écrit par Cabrel ; J'te mentirais, premier single extrait de l'album, bénéficie d'un refrain très années 70, comme Tout s'efface; le duo Nunca Mas avec Nilda Fernandez a de forts parfums de rock progressif ; Elie plonge en plein dans la nostalgie de l'Afrique du Nord perdue mais pourtant chaque jour plus proche pour les oreilles du public français ; et le disque s'achève par Une chanson qui sert à rien, d'un classicisme propre qui évoque la manière de Romain Didier, par exemple...
Très sobre, sans audace mais sans banalité trop flagrante, cet album est sans doute le plus musicalement raisonnable de Bruel. Et cette prudence éloigne le spectre de l'humeur sombre qui rôde dans ses textes, entre douceur et douleur.